Pour une mise au point historique et de procédure c’est par ici. Pour comprendre les enjeux politiques actuels de la protection de l’enfance, c’est par là.
Le père de Nicolas était peintre en bâtiment et sa mère a été vendeuse puis caissière dans un péage autoroutier. Sportif depuis l’enfance, Nicolas a fait beaucoup de gymnastique à haut niveau au collège puis au lycée où il passe un Baccalauréat Professionnel Mécanique non par passion, mais parce qu’il avait besoin d’un bac pour espérer intégrer ensuite les Pompiers de Paris. Cependant, à la suite d’une blessure, il lui faut revoir ses perspectives. Dans un premier temps et afin d’éviter le services militaire, Nicolas s’inscrit en faculté d’Administration Économique et Sociale.
Parallèlement, le jeune homme se met à travailler dans l’animation et il passe le Bafa puis la formation de directeur de colonie de vacances. Rapidement, il intègre l’équipe de l’espace Gentiana, haut lieu de l’éducation populaire associative à Tours dans les années 80 et 90. Marqué par cette expérience et la rencontre de certaines figures locales de l’action sociale, Nicolas arrête la fac et trouve un boulot dans un Point d’Accueil Jeunesse (PAJ) qui étoffait son équipe grâce au dispositif de contrats aidés dit Emplois-Jeunes mis en place par Lionel Jospin en 1997. Il découvre alors le travail avec des jeunes sur la pente de la marginalité : l’ennui, l’alcool, la déscolarisation et la misère culturelle, étant particulièrement présents dans cet environnement rural. Il propose des activités, s’occupe des locaux du PAJ et accompagne les jeunes à la mission locale pour avancer sur leur projet professionnel tout en s’intéressant aussi à la problématique de l’intégration des jeunes issus de la communauté des gens du voyage.
Nicolas passe dans la foulée un diplôme d’animateur socio-culturel mais le travail avec un public en difficulté l’attire de plus en plus et après son emploi-jeune, il cherche des remplacements dans l’éducation spécialisée. Il enchaîne les CDD en Institut Thérapeutique, Éducatif et Pédagogique (ITEP) où il est au contact d’adolescents présentant des troubles psychologiques et du comportement. Quelque temps plus tard, il part en séjour de rupture avec trois autres éducs pour encadrer quatre jeunes délinquants à la suite d’une décision du Juge des Enfants. Le stage a lieu à l‘étranger, en pleine forêt, avec une dimension de découverte de la nature et des bases de la survie en milieu sauvage. Au retour, Nicolas réalise encore des remplacements dans des foyers de l’Aide Sociale à l’Enfance et il décide de passer le concours d’entrée en formation d’Éducateur Spécialisé… il intègre ainsi un Institut du Travail Social à la rentrée suivante.
Ses stages, il les réalise dans trois structures différentes : d’abord dans une institution qui s’occupe de jeunes autistes, puis à la Clinique Psychiatrique de la Chesnaie, lieu expérimental dans lequel il travaillera aussi en remplacement l’été suivant. Il termine son cycle de stages dans une association agrée qui accompagne des adolescents placés vers la vie en autonomie dans des appartements.
Avec le diplôme en poche, Nicolas est embauché par la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), d’abord e en milieu ouvert puis ensuite dans une unité éducative d’activité de jour qui accueille, sur décision d’un juge, de jeunes délinquants déscolarisés ayant besoin d’un encadrement mêlant profs spécialement formés et éducateurs. Passionné par ces expériences, Nicolas décide de passer le concours d’éducateur de la PJJ et il est reçu pour la formation à Roubaix. Il réalise son stage de titularisation en foyer pour jeunes délinquants, c’est d’ailleurs là où il a vécu ses pires souvenirs professionnels, au contact d’un public très difficile. Par exemple, ce soir de garde où il est forcé de monter à l’étage pour calmer un petit groupe qui fait trop de bruit. Après être rentré dans leur chambre, les quatre gars éteignent les lumières et le plus costaud bloque Nicolas devant la porte, l’empêchant de sortir. Le jeune éducateur est obligé de parlementer de longues minutes avant de désamorcer la situation sans perdre son autorité et en refusant d’utiliser des moyens violents. Une fois titularisé, il part travailler dans une Unité d’Hébergement Diversifié (UHD) qui suit les mineurs pris en charge par la Justice et placés dans des familles.
Au bout de quelques années, Nicolas demande une mutation, cette fois dans des services de l’ASE, d’abord dans une antenne rurale, ensuite dans une grande agglomération : désormais, il est référent pour des enfants confiés par l’ASE, dans un territoire populaire. Son travail est assez diversifié car il suit en parallèle 35 mineurs placés soit dans un foyer géré par une association agrée qui recrute ses propres éducateurs spécialisés, soit auprès d’assistantes familiales, à leur domicile.
Nicolas a pour mission principale l’accompagnement à la parentalité et le travail sur le lien parents-enfants après la constatation de dysfonctionnements lourds qui ont conduit à un placement provisoire. Au delà du temps effectif où il reçoit les jeunes et leurs parents, le travail de Nicolas au quotidien est très diversifié. Tout d’abord, il encadre le parcours administratif des jeunes placés, faisant le lien avec les parents, les autres éducateurs et le lieu de placement, foyer ou assistante familiale. Par ailleurs, il visite ces lieux d’accueil pour s’assurer que tout est conforme à ce qui est demandé par l’ASE. Il doit également participer à l’organisation du travail des assistantes familiales en gérant leurs congés et arrêts maladie qui peuvent impacter le quotidien des jeunes placés. Nicolas reçoit aussi les assistantes maternelles pour faire le point sur le jeune, évoquer d’éventuelles difficultés, prodiguer des conseils et aider à trouver la juste distance. Il s’occupe en partie de certains aspects pratiques du placement, par exemple du calcul des majorations à verser aux assistantes familiales pour l’accueil de gamins avec des situations particulières – maladies, troubles du comportement – ou plus simplement des achats nécessaires pour le jeune – vélo, ordinateur, fournitures scolaires ou sportives -. Ce poste implique aussi pas mal de coordination afin de centraliser les rapports réalisés par les différents professionnels qui s’occupent du jeune placé. Nicolas se doit donc de rédiger pas mal de notes aux magistrats qui suivent les jeunes et qui ont besoin de synthèses régulières et d’être mis au courant lorsqu’un événement important survient. Parfois, le référent se charge des rappels à l’ordre en cas d’écarts légers, soit auprès du jeune soit auprès des parents. Il participe aux réunions essentielles dans le suivi du jeune, notamment celles où il est question du projet à long terme et il assiste aux Audiences chez le juge. Plus rarement, au vu de son expertise, on lui demande d’évaluer des dossiers remontés à la cellule d’évaluation des informations préoccupantes. Il faut ajouter à cela, bien sûr, tout le temps de déplacement.
En principe tout cela rentre dans des semaines de 39 heures et Nicolas essaye de ne pas ramener trop de travail de rédaction à la maison…pas toujours avec succès. Il est payé à ce stade de sa carrière et avec sa formation 1700 euros net chaque mois. L’absence de travail de nuit ou les week-ends, la totale autonomie dans la gestion de son planning et la confiance de la hiérarchie représentent des atouts importants, même si Nicolas passe à son goût un peu trop de temps au téléphone à gérer des urgences sans voir assez les jeunes dont il s’occupe.
Le public suivi par Nicolas est assez classique, essentiellement placé à cause de violences, parfois sexuelles, subies au domicile familial dans un contexte de misère sociale, économique et culturelle où sont sur-représentées les familles monoparentales et les parents…eux-mêmes passés par l’ASE dans leur jeunesse, montrant la difficulté de sortir du cycle de reproduction de la maltraitance. Par rapport à son précédent poste en milieu rural, Nicolas constate aussi la fréquence élevée des problématiques psy en ville alors que la prégnance de l’alcoolisme est plus forte à la campagne.
Malgré des conditions de travail globalement satisfaisantes, Nicolas sent bien autour de lui, notamment de la part des collègues avec plus d’ancienneté, un épuisement certain et la généralisation d’un pessimisme relatif en ce qui concerne l’avenir des politiques publiques à destination de l’enfance en danger. Car les référents d’enfants placés ont vu leur métier muter en quelques années : désormais, ils travaillent davantage à la coordination des services, dans un bureau, déléguant des missions éducatives aux éducateurs et assistantes familiales des structures d’accueil, diminuant par conséquent le temps au contact des jeunes et des familles, ce qui crée chez certains référents un sentiment de frustration par rapport à l’idée qu’ils se font de leur métier.
De manière générale, le turn-over des cadres, les postures politiciennes de certains élus, l’augmentation de la pression des gestionnaires financiers, la multiplication des écrits et statistiques à faire remonter, les injonctions contradictoires, l’accumulation de réformes et l’inflation des commissions et groupes de travail livrant des expertises tendent à complexifier l’exercice du métier et à plonger les travailleurs du secteur dans un sentiment d’insécurité professionnelle. Bien sûr, le manque de moyens et l’augmentation du travail demandé sont perçus comme centraux pour expliquer la situation. Un peu moins de dossiers à suivre par référent et plus de psys – actuellement, un psy suit 350 jeunes et est censé aider également les éducs et assistantes familiales – serait un bon début. De même, les besoins en structures d’accueil souples, diversifiées, expérimentales et à taille humaine sont criants. D’une manière générale, tout ce qui pourra réinjecter de l’humain dans le secteur sera très bien accueilli.
Toutes ces remarques sur les évolutions de son travail ne doivent pas être prises comme des signes de désespoir ou d’une nostalgie envers les « anciens temps bénis de la DDAS » : Nicolas reste très attaché à ses missions et se dit épanoui au quotidien. Les relations humaines qui se construisent avec les jeunes, l’humour et le rire comme antidotes quotidiens à la dureté des situations, le fait de voir d’anciens gamins placés avancer et réussir leurs projets… tout cela fait partie des très beaux moments qu’offre le métier.
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