Protéger l’enfance #4 : Zoé – 20 ans – Animatrice socio-éducative et formatrice BAFA

 Pour une mise au point historique et de procédure c’est par ici. Pour comprendre les enjeux politiques actuels de la protection de l’enfance, c’est par .

 

De mère comptable et de père archéologue, Zoé avoue ne pas spécialement avoir été enchantée par l’école. Cependant, le lycée lui laisse la possibilité de s’investir dans la vie de l’établissement et dans des projets collectifs de la Maison des Lycéens, la motivant un peu plus. Voulant déjà travailler dans le domaine éducatif auprès d’enfants, elle passe son Bafa en Première et réalise un stage d’accueil-loisir en centre aéré. Même si son premier jour constitue un de ses pires souvenirs – elle a du sans aucune préparation et seule assurer deux heures d’animation devant trente gamins surexcités, déguisée en Viking – c’est aussi lors de ce stage qu’elle rencontre pour la première fois un enfant autiste dont la vision du monde, le rapport à la norme et la mise à l’écart dans le groupe l’interpellent profondément. L’année suivante, elle obtient un Baccalauréat littéraire puis intègre une faculté de Psychologie.

Parallèlement, elle est embauchée dans un centre aéré qui accueille un public mixte, mêlant valides et handicapés de classes sociales différentes grâce aux aides pour les familles modestes. Le taux d’encadrement y était plutôt satisfaisant, avec un animateur pour 10 jeunes, contexte assez rare pour le noter. Ce mélange des publics lui permet de travailler avec les enfants à partir de cas de la vie quotidienne – par exemple ce jour où un jeune autiste s’assoit par terre dans une file d’attente à la piscine, provoquant la moquerie de ses camarades – afin de déconstruire ce qu’est la norme, la honte et le regard des autres.

Comme ce travail d’animation est à temps partiel et qu’elle doit financer ses études, elle bosse aussi chez Mc Do et malgré la bonne ambiance en cuisine, cette expérience l’interroge beaucoup sur le monde du travail et sur son avenir professionnel. Après un mois de mal au dos et de rêves obsessionnels sur les tâches répétitives du boulot, elle démissionne.

La smala

Elle profite alors des recrutements liés aux Temps d’Activités Périscolaires qui se développent avec les réformes des rythmes scolaires sous François Hollande. Elle est embauchée par une association agrée à l’année et Zoé peut y construire des projets sur le long terme et obtient rapidement la confiance de la direction. Elle devient d’ailleurs formatrice Bafa à ce moment. Parallèlement, Zoé s’investit bénévolement dans des projets de camps d’été, partant plusieurs semaines avec un groupe de gamins et quelques animateurs en pleine nature en essayant d’être totalement autonomes, sans laisser de déchets et en bricolant collectivement tout ce dont le groupe à besoin : cabanes, douche, espace pour cuisiner….

Après quelques mois, on propose à Zoé de prendre en charge un dispositif expérimental d’accompagnement scolaire financé en partie par la Caisse d’Allocations Familiales, en lien avec l’école, les parents, l’assistance sociale, les éducateurs de prévention et les classes spécialisées d’accueil des élèves étrangers. Une quinzaine d’élèves qui vont du CP au CM2 a été identifiée pour des problématiques très diverses : handicap moteur ou mental, soucis de comportements violents, dégradations, conflits répétés avec l’adulte, incapacité à gérer ses frustrations, difficultés en français en lien avec des parcours migratoires complexes. Zoé reçoit l’aide d’une personne en Service Civique – non formée – parfois plus vieille qu’elle et qu’il faut encadrer dans le travail quotidien, rajoutant à la charge et à la difficulté de gestion du groupe.

Même si les débuts sont durs, sans accompagnement ni formation, avec des enfants souvent violents et avec un horaire éclaté, peu à peu Zoé trouve sa place. Chaque jour de la semaine, sauf le mercredi, elle se rend vers 16h dans les locaux mis à disposition dans une école d’un quartier plutôt populaire. Elle installe la salle, discute avec les instituteurs pour prendre les pouls de la journée puis elle accueille les enfants à la fois pour aider au travail scolaire mais aussi pour monter des projets à l’année et garder des moments de jeu et de sorties, importantes pour ces élèves issus de milieux dans lesquels l’auto-censure spatiale est très importante. Les parents sont également associés le plus souvent possible, notamment par l’organisation de goûters partagés, afin d’avoir des moments de sociabilité et des espaces de discussion moins formels que dans l’institution scolaire. De ce fait, Zoé finit souvent après 19h, sans bien sûr bénéficier d’heures supplémentaires. Tout cela, pour 300 euros par mois avec un salaire annualisé. Elle doit donc multiplier les formations BAFA pendant les vacances scolaires pour lesquelles elle perçoit 200 euros par session, complétant ainsi ses revenus.

Cette situation financière précaire n’est pas sans conséquences : des soucis avec les services de la scolarité à l’Université pour la régularisation de certaines absences liées au travail et des problèmes administratifs car ses revenus, même minimes, limitent ses possibilités de demandes de bourse ou de logements sociaux. Zoé galère donc à trouver un appartement et tout cela impacte bien sûr le moral de la jeune femme et nuit à ses études et à ses résultats, comme cela a été démontré maintes fois par les statistiques portant sur les étudiants obligés de travailler pour financer leurs études.

LA TROTINETTE-LICORNE

Avec la pratique et une connaissance plus précise des enfants, Zoé voit bien vite les limites du dispositif censé corriger les dysfonctionnements scolaires dont elle s’occupe. Selon elle, il manque singulièrement de moyens pour être véritablement efficace : en effet, comment régler seule en deux heures par jour les problématiques scolaires lourdes de quinze enfants ? D’autant plus lorsque l’institution scolaire ne prend que très peu en compte les contextes familiaux et alors que la collaboration entre instits, services sociaux et judiciaires manque de fluidité et de temps aménagés pour ce travail de fond… Les rapports homme/femme dans différentes cultures, le rapport au corps et à la sexualité, les problématiques administratives liées au statut de réfugié ou d’handicapé, les difficultés psychiatriques ou l’alcoolisme, l’isolement social, la mauvaise maîtrise du français, la concentration des difficultés socio-économiques dans les quartiers dits « prioritaires », la faible qualification scolaire, les problèmes de logement, le manque de place, la précarité salariale, le travail difficile à horaires décalés (BTP, intérim’, gardiennage…), l’absence de permis de conduire, le déclassement social à la suite d’un exil, la peur de l’école, l’analphabétisme, les dyslexies, les complexes d’infériorité et l’auto-censure sociale sont autant de facteurs qui traversent l’existence de ces familles et qui se répercutent sur les enfants, impactant fortement leur capacité à se plier aux contraintes scolaires en termes de résultats, de comportement et d’investissement dans le travail.

Et tout cela, les enfants le comprennent bien et rapidement, se baptisant eux-mêmes « cassoces » à la création du dispositif. C’est donc selon Zoé tout un travail collectif qu’il faut mener pour une Ecole véritablement inclusive et mixte qui soit capable de prendre en compte les existences des élèves et qui rendrait caduque l’utilisation de ces dispositifs « rustine ». Plus de formation professionnelle, plus d’adultes dans les écoles, moins d’élèves par classe et moins de pression scolaire semblent être les piliers d’une réforme pertinente de l’Ecole, selon Zoé.

Malgré tout, cette expérience est très forte pour Zoé. Elle s’est beaucoup attachée à ces enfants, qui le lui rendent bien, mais aussi aux familles. En construisant une relation de confiance et de proximité par opposition à la distance institutionnelle de l’Ecole elle a pu à amener des discussions importantes – par exemple au sujet de la puberté et du corps dans des familles très religieuses – et à l’apaisement de certains enfants. Ce sentiment d’utilité et de reconnaissance constitue le socle de l’identité professionnelle des travailleurs de ce secteur. Et Zoé ne se voit pas ailleurs dans les années qui viennent.

 

Images © Copyright 2019 Clarisse Robin, Martin Daguerre, Vanessa Lamorlette-Pingard et YG | Tous droits réservés

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