Protéger l’enfance #6 : Isabelle – 46 ans – éducatrice à la Protection Judiciaire de la jeunesse

 Pour une mise au point historique et de procédure c’est par ici. Pour comprendre les enjeux politiques actuels de la protection de l’enfance, c’est par .

 

Fille d’un médecin et d’une psy, elle passe un Baccalauréat Scientifique dans un lycée assez mixte socialement, à la périphérie de Poitiers. Ses parents, de gauche, sont très investis dans le milieu associatif et cela influe profondément Isabelle qui, dès son adolescence, développe un certain idéalisme et un intérêt pour l’humain, pour les personnes vulnérables avec des trajectoires compliquées, pour la marginalité. Elle s’inscrit alors assez naturellement en faculté de droit et entend devenir avocate, dans l’idée – un peu naïve concède-t-elle maintenant – de défendre les personnes en grande difficulté. Elle passe parallèlement le BAFA et devient animatrice en colonie de vacances et en centre socioculturel, expérience qui lui fait toucher du doigt la question des déterminismes sociaux et le sentiment d’injustice face aux inégalités. Elle part également étudier en Espagne quelques mois avec le programme Erasmus, toujours dans cette quête de découverte d’autres personnes, d’autres cultures, d’autres manières de voir.

Après un Master de droit et un premier échec à l’examen du Barreau, elle finit par l’obtenir l’année suivante. Cependant, après des stages dans des cabinets d’avocats, Isabelle est assez déçue : le niveau de stress, la quantité de travail, l’obsession de l’argent et la clientèle que l’on ne choisit pas ne cadrent pas avec l’idée qu’elle se faisait du métier. Malgré tout, Isabelle découvre à ce moment un peu par hasard la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) – dont elle n’avait pas entendu parler lors de ses études – et décide rapidement que c’est le métier d’éducateur dans cette structure qui convient le mieux à ses aspirations professionnelles et personnelles.

Pour comprendre un peu la nature de ce travail et ce qui le sépare des éducateurs spécialisés qui peuvent travailler avec un large public (enfants, adolescents mais aussi personnes handicapées ou jeunes mères), il faut rentrer un peu dans le détail de la procédure concernant les mineurs.

Après un signalement d’enfant en danger réalisé par une assistance sociale, un voisin, un prof, un membre de la famille ou par le jeune lui-même, un Procureur est saisi pour évaluer les problématiques rencontrées par le jeune en difficulté. Si la famille est coopérante, un contrat peut être passé avec l’Aide Sociale à l’Enfance afin de décider d’un accompagnement de quelques mois pour régler les problèmes. Sinon un juge des enfants prend le relais par une action civile et, après une investigation menée par des éducateurs, décide soit d’une action éducative en milieu ouvert (AEMO) – plus contraignante – soit d’un placement en famille d’accueil ou en foyer à l’Aide Sociale à l’Enfance – en général au sein d’une association habilitée.

Lorsqu’un infraction est commise par un mineur, c’est une procédure pénale qui s’applique car le jeune est alors considéré comme un délinquant, même si le Juge des Enfants va prendre en compte ses difficultés familiales ou sociales. Après arrestation par une patrouille de police dans le cadre d’un flagrant délit ou après une enquête, un Procureur est saisi et si les faits le justifient, le mineur est mis en examen et un suivi éducatif est confié à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ). Parfois, un placement dans un foyer ou un Centre Éducatif Fermé est ordonné par le Juge des Enfants. C’est donc vers ce service, la PJJ, que s’oriente Isabelle.

LA ROSACE ET LA JEUNE FILLE

Elle passe donc le concours et est reçue du premier coup. Isabelle part donc pour Roubaix afin de suivre une formation qui alterne cours théoriques et stages pratiques en foyer et en milieu ouvert. C’est justement lors d’un stage auprès d’un Juge aux Enfants dans le cadre d’une action éducative en milieu ouvert décidée par le tribunal qu’Isabelle prend véritablement la mesure de son nouveau métier : elle suit une jeune de 16 ans pour une aide éducative à domicile, en pleine enquête familiale pour une suspicion d’enfermement, de maltraitance et d’abus sexuels subis par la sœur jumelle de l’adolescente. Après l’absence des parents à une audience, la jeune fille se confie à Isabelle et dévoile un certain nombre de faits graves. En quelques minutes, il faut prendre une décision, se rendre au domicile familial en catimini, empaqueter quelques affaires et mener l’adolescente en foyer d’urgence. Après cette journée éprouvante et intense, Isabelle sait qu’elle est enfin à sa place.

Isabelle continue d’apprendre pendant des mois les rouages du métier : l’accompagnement éducatif qui nécessite empathie et fermeté, les missions de surveillance, le contrôle judiciaire, la probation, l’action en centre éducatif fermé ou en prison, les méthodes pour la rédaction des rapports de préconisations à fournir aux juges…

Au terme de sa formation et après quelques années d’exercice, Isabelle est mutée à Tours où elle travaille depuis un moment, dans une équipe qui fonctionne bien et où elle peut s’épanouir. Mais, concrètement, à quoi ressemble une semaine d’éducatrice PJJ ?

Lundi dernier, Isabelle a passé la matinée au téléphone pour chercher une place en établissement fermé avec prise en charge psychiatrique pour un jeune qui va de plus en plus mal et qui a été mêlé à une affaire d’agression quelques jours plus tôt. Elle part ensuite à Nevers où se trouve le jeune pour le rencontrer et discuter également avec le psy pour analyser la situation et proposer éventuellement au juge une modification des mesures décidées pour le jeune. Aucune place n’a pu être trouvée.

Mardi, Isabelle multiplie les rendez-vous avec des jeunes qu’elle suit afin de faire le point sur l’évolution de la situation et vérifier que les mesures éducatives sont bien respectées. Un cas pose problème ce jour-là : un jeune qu’elle suit pour des problèmes de stups s’est fait attraper par les gendarmes avec de la résine de cannabis, une arme et du cash…alors même qu’il finissait sa mesure de réparation (une sorte de travail d’intérêt général) au Secours Populaire qui s’était bien passé. Isabelle doit recevoir l’éducateur de l’ASE qui encadre le jeune ainsi que la maman, totalement dépassée, puis le jeune pour faire le point et rédiger quelques propositions au juge.

Le reste de la semaine est consacré aux écrits pour les magistrats qui suivent les jeunes : les mesure judiciaire d’investigation – sortes d’enquêtes globales pour comprendre le contexte social, psychologique, médical, scolaire, familial et économique du jeune afin que le juge ait une vue d’ensemble de la situation-, les rapports semestriels pour chaque jeune avec une synthèse et des préconisations pour la suite, les rapports de fin de mesure éducative pour en dresser un bilan et les rapports d’incident lorsqu’il faut porter à la connaissance des juges le non-respect de certaines obligations. Parfois, Isabelle termine ces écrits en dehors du temps de travail, à la maison.

LE PERE DES TUILERIES

Il faut ajouter à ces écrits la tenue de la réunion hebdomadaire de service avec les chefs, l’assistance sociale, les deux psychologues et tous les éducateurs de la PJJ, soit environ 25 personnes. Il s’agit de faire le point sur les dossiers, d’organiser la semaine suivante pour ce qui est des déplacements et permanences et de discuter des problèmes éventuels. En général, cette réunion est suivie par un repas pris en commun, absolument nécessaire pour avoir un temps convivial pour décompresser, relativiser et mettre à distance le quotidien bien souvent difficile. En plus de ces réunions et des écrits, il est fréquent que les juges demandent à Isabelle de venir assister aux audiences du tribunal pour enfants lorsque les jeunes qu’elle suit sont convoqués.

Parfois, Isabelle est d’astreinte le week-end auprès du Tribunal au cas où un mineur serait déferré, nécessitant la constitution d’un dossier et d’une recherche de placement. Elle reste à la maison mais peut être appelée à tout moment.

En principe, tout cela devant tenir dans une semaine de 37h20…

Isabelle est heureuse au travail, malgré la difficulté de la tâche et la confrontation régulière à l’horreur. Elle se souvient du cas d’un mineur particulièrement violent auteur du meurtre d’un sdf puis de sa petite amie, dont le corps était devenu méconnaissable tant les coups furent nombreux et brutaux. Isabelle parle aussi du sentiment d’impuissance, de la colère et de la culpabilité ressenties en voyant un jeune s’enfoncer peu à peu à cause d’un environnement toxique et dénué d’affection et d’un manque d’efficacité des mesures sur fond de moyens inadaptés et de rigidités du système, scolaire notamment. Le pire constat d’échec pour Isabelle étant l’emprisonnement d’un mineur.

Car le manque de moyens et de places dans les structures et l’inflation du nombre de jeunes suivis par éduc – 25 en moyenne à Tours – Isabelle le constate chaque semaine, surtout depuis les réformes Sarkozy qui ont détricoté en partie la souplesse et la variété des solutions à disposition de la PJJ pour adapter la réponse éducative à chaque jeune. Désormais, la philosophie est plutôt la multiplication des Centres Éducatifs Fermés, héritiers modernes des maisons de redressement et anti-chambres de la prison. L’épuisement bureaucratique guette également les services de la PJJ, avec la volonté croissante du contrôle des dépenses et des agendas par des gestionnaires hors-sol. Toutefois, les chefs de service, largement issus de la promotion interne après des années de terrain font de la résistance passive pour garantir la nécessaire autonomie de leurs éducateurs.

Pour autant, Isabelle reste optimiste : l’équipe de la PJJ est très soudée et écoutée par les juges, les syndicats, eux, restent influents et très vigilants sur les conditions de travail. Et puis, il y a les jeunes suivis dont la majorité finit par s’en sortir, leur fierté d’avoir réussi à changer et à se reconstruire malgré le manque d’amour et d’affection, leurs remerciements lorsqu’elle les croise dans la rue, ce sentiment de faire quelque chose qui a du sens.

 

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