Protéger l’enfance #7 : Maud – 27 ans – Ancienne animatrice

 Pour une mise au point historique et de procédure c’est par ici. Pour comprendre les enjeux politiques actuels de la protection de l’enfance, c’est par .

 

De mère institutrice et de père gérant d’une petite entreprise, Maud a un parcours scolaire classique et obtient un Baccalauréat Économique en Social. Elle passe ensuite quelques années à l’Université, d’abord en faculté d’Histoire de l’Art. Parallèlement, pour financer ses études, elle cumule les petits boulots, quelques cours particuliers d’anglais et de maths puis de la vente. Déçue par la formation d’Histoire de l’Art, Maud se réoriente en DUT carrières sociales puis enchaîne avec une licence professionnelle de médiation scientifique et d’éducation à l’environnement. Elle est aussi un temps hôtesse de bar, expérience qui lui donne envie de creuser les problématiques de la misère sexuelle et du milieu du travail du sexe si bien qu’elle s’inscrit dans la foulée en Licence de Sociologie.

Finalement, quelques mois plus tard, à 22 ans, elle arrête ses études pour des questions financières et s’oriente naturellement vers les métiers du secteur socio-culturel qui répondent le mieux à ses aspirations de travail au contact du public, d’éducation populaire et d’expérimentations politiques d’émancipation grâce à la culture, à la prise de parole et à la création collective.

Elle trouve rapidement un travail à mi-temps en tant qu’animatrice dans un centre de formation pour apprentis qui met en place un dispositif « dernière chance » à destination d’étudiants en grande difficulté avec des problématiques de violence, d’addiction, de prostitution et de travail forcé. Maud s’occupe des activités et du temps libre mais sans trop de moyens : jeux de société, sorties en ville, cinés, ateliers de cuisine constituent la base de ce qui est proposé au jeunes. Elle quitte ce poste à la fin de l’année scolaire à cause de tensions dans l’équipe puis elle part en colonie de vacances.

LE POUCE

C’est lors d’une de ces colonies, dans les Vosges qu’elle connaît un de ses plus beaux moments professionnels : elle organise pendant trois jours avec un petit groupe une pièce de théâtre collaborative dans laquelle les enfants gèrent tout, depuis le scénario jusqu’à la mise en scène en passant par les décors. Maud se souvient de l’émotion liée à la représentation finale, l’énergie dégagée par le processus créatif et la fierté des gamins d’avoir réussi à monter un spectacle.

A la rentrée suivante, elle devient Assistante d’Éducation (AED) à temps plein dans le très huppé lycée Descartes. Elle y travaille au SMIC, 37 heures par semaine et très vite, les méthodes de management « à la dure », la pression, le manque d’autonomie et d’initiative, les discours élitistes et très « start-up nation » de la direction lui posent problème. Lors des mouvements sociaux liés aux lois El Khomri (2016), la chasse aux grévistes la dégoûte et elle décide de ne pas rempiler l’année suivante. De nouveau, Maud passe l’été à travailler en colonie de vacances.

Un peu plus tard, Maud est engagée pour un service civique à l’Entr’aide Ouvrière de Tours où elle s’occupe de la gestion des stocks de nourriture, de la logistique, des maraudes et de la cuisine. Ce travail très physique et précaire lui pose question car il ressemble plus à un poste de salariée à tout faire plutôt qu’à un véritable service civique. Payée moins de 500 euros par mois, Maud cumule avec un travail d’animatrice dans un centre aéré. Épuisée par cette expérience, elle change de ville, touche quelque temps de maigres indemnités de chômage et voyage un peu.

De nouveau à Tours, Maud contacte Telligo, la boîte qui a obtenu la gestion de certains centres d’accueil périscolaire de la ville. En effet, la Mairie avait décidé à la rentrée 2018 de lancer un appel à projets dans ce domaine afin de mettre les prestataires en compétition et faire baisser les prix, évinçant ainsi les associations historiques et provocant de longues procédures aux Prud’hommes au sujet des indemnités versées aux salariés licenciés. C’est un recruteur de Telligo qui descend de Paris afin de réaliser les entretiens d’embauche des animateurs dans une salle polyvalente et qui engage Maud immédiatement avec un CDI intermittent de 20h par semaine, sans rémunération pendant les vacances, les heures supplémentaires étant comptabilisées en RTT – elle en cumulera plus de 30 en moins de six mois -. Elle s’occupe désormais des enfants les soirs et le mercredi au foyer Mirabeau. En sous-effectif, presque sans matériel, avec des collègues en situation de précarité, une chef d’équipe novice qui débarque d’Orléans et un directeur qui reste à Paris, les débuts sont difficiles. Après quelques mois et des restructurations en interne, Telligo est racheté par le leader mondial de la restauration collective, Sodexo, via sa filiale spécialisée dans la petite enfance, Crèche Attitude Kids. Maud est relativement libre en ce qui concerne les activités proposées et elle peut organiser des ateliers maquettes et cartes, des jeux de coopération et des pièces de théâtre collaboratives. Cependant, l’atelier philosophie, considéré comme trop clivant et difficile à gérer vu les sujets abordés – la mort, l’abandon…- est vite supprimé.

MONDIALE DE FOOT (10)

Dans cette structure , Maud a connu des épisodes difficiles, à devoir gérer les moments d’angoisse liés aux contradictions entre les consignes de la hiérarchie et la réalité des moyens. La tâche devient impossible, d’autant plus avec la somme de contraintes qui pèsent sur les projets à mener à bien. Il faut que chaque activité avec les enfants cadre avec la thématique du centre, avec les partenariats, avec des objectifs de « positivité » mais aussi avec l’actualité de la Mairie, les événements municipaux et les fêtes. Et tout cela, avec la pression des parents qui attendent de plus en plus que leurs enfants ramènent une production finale à la maison, même si c’est une petite babiole. Ainsi, il ne s’agit plus d’organiser des ateliers peinture avec les gamins mais de coordonner une action qui rentrera au forceps dans une cascade de cadres : la thématique annuelle « bien dans ma ville », la thématique de l’hiver « l’art dans ma ville » et les ateliers proposés par le CCCOD, le centre d’art contemporain de Tours, subventionné par la municipalité. Les maigres heures de réunion rémunérées des animateurs – 2h/semaine – seront consacrées à la visite préparatoire du CCCOD et les échanges par mail avec le médiateur du centre d’art se feront au bon vouloir des anims sur leur temps libre. Maud est donc réduite au statut d’accompagnatrice et de logisticienne des sorties, la créativité et la reconnaissance liées au travail avec les enfants s’estompent rapidement.

 

Tout se fait sur ce mode la, au pas de charge, dans l’urgence et avec l’injonction subliminale de prendre sur son temps libre pour améliorer ce qui est proposé aux enfants car « c’est un métier-passion » et que « c’est important pour les enfants ». Maud arrive 30 minutes avant son service pour préparer la salle et les jeux et elle reste souvent après pour discuter avec les parents, tout cela, pas payée. Les mercredis, il faut travailler non-stop pendant 9h30, sans salle de pause et en enchaînant activités, cantine, temps calme, pointage des enfants et traitement individuel en lien avec les parents, de plus en lus exigeants et consuméristes.

Pour Maud, les soucis du secteur de l’animation sont d’abord liés au manque de moyens. D’abord sur un plan matériel, pour permettre aux enfants d’avoir des supports à leur créativité, mais également sur le plan de la rémunération et de l’organisation du travail : horaires éclatés, grande mobilité, faible nombre d’heures de concertation, de réunion et d’analyse de pratiques empêchent de concevoir des activités stimulantes et pertinentes à la fois pour les enfants et pour les professionnels. Cependant, d’autres problématiques propres à ce milieu viennent s’additionner, comme par exemple la faible syndicalisation qui nuit à l’amélioration des conditions de travail ou du moins à la défense des acquis. Il y a aussi l’image sociale dévalorisée du métier d’animateur, que les travailleurs intériorisent en culpabilisant et en compensant par une charge de travail toujours plus importante. Résultat : « le métier est très individualiste », analyse Maud, «nombre de mes collègues pensent que le bon anim’ est bon tout seul ». On retrouve d’ailleurs ce tropisme dans la manière souvent trop personnifiée d’envisager les enfants : les soucis sont renvoyés à des problématiques individuelles – hyperactivité, agitation, insolence, crise de l’adolescence -, rarement à un contexte, une situation ou une mécanique de groupe. Là encore, le manque de temps de réflexion et de travail d’équipe dans les centres ne permet pas de construire des réponses collectives adaptées et rend le travail frustrant.

En désaccord avec la tournure que prend le projet désormais noyé dans une grosse multinationale – Sodexo – et déçue par le manque de dynamique collective dans les équipes, Maud a démissionné et est devenue cheffe de cuisine dans un restaurant du coin.

Images © Copyright 2019 Clarisse Robin, Martin Daguerre, Vanessa Lamorlette-Pingard et YG | Tous droits réservés

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