Protéger l’enfance #10 : Virginie – 49 ans – assistante sociale dans une structure universitaire

 Pour une mise au point historique et de procédure c’est par ici. Pour comprendre les enjeux politiques actuels de la protection de l’enfance, c’est par .

Virginie est fille d’un père instituteur devenu professeur d’Histoire et d’une mère secrétaire dans les services de l’Éducation Nationale. Après un Bac littéraire, Virginie s’inscrit en Faculté d’Histoire mais, relativement déçue par le contenu, elle s’oriente vers une licence de Sociologie et d’Anthropologie. Elle s’inscrit en Maîtrise d’Anthropologie à Nanterre mais, faute de moyens, elle ne peut terminer ses recherches et elle décide de passer le concours d’Instit. Après deux échecs et en s’appuyant sur son expérience en tant qu’animatrice socio-culturelle en centre aéré et en centre de vacances pendant presque dix ans, elle tente le concours d’Éducatrice Spécialisée, qu’elle obtient du premier coup. Cependant, à cette époque, la formation n’est pas rémunérée et Virginie est obligée de trouver des petits boulots qui l’empêchent de suivre les cours. Elle est ainsi obligée d’arrêter et elle se retrouve pendant quelques années à travailler dans un cinéma, profitant des vacances pour voyager le plus possible. C’est à ce moment qu’elle fonde une famille et qu’elle choisit de s’occuper à plein temps de ses enfants. C’est aussi à cette époque qu’elle s’engage dans le militantisme politique, de plus en plus préoccupée par l’écologie.

A 40 ans et avec des enfants qui grandissent, Virginie s’interroge sur son avenir et sa vocation pour « le social » la taraude de plus en plus. Elle décide alors de passer le concours d’Assistante Sociale qu’elle obtient puis elle suit dans la foulée la formation de trois ans. Cette dernière est ponctuée de stages en Maison des Solidarités – lieu polyvalent existant dans chaque département qui propose une aide sociale au public dans les domaines de la parentalité, la maternité, les relations conjugales, l’insertion, le logements, l’aide à la rédaction de dossiers, les problématiques du vieillissement et du handicap – et à la Petite Maison, lieu d’accueil et d’accompagnement des familles dont un enfant est détenu en Maison d’Arrêt.

Diplôme en poche, elle obtient un poste dans un grand Service de Santé Universitaire (SSU) qui mêle médecins, infirmiers, psys, diététiciens, dentistes, praticiens de shiatsu, gynécologues, conseillers conjugaux et assistants sociaux, soit une trentaine de professionnels qui proposent gratuitement des soins aux presque 30.000 étudiants que compte la ville. Dans les faits, le public accueilli par les services de l’assistance sociale est composé aux deux tiers d’étudiants étrangers en situation de précarité économique mais aussi administrative en cas de demande d’asile ou de titre de séjour. Dans l’autre tiers, on retrouve d’une part des étudiants en situation de handicap qui ont besoin d’une aide pour remplir les dossiers d’inscription dans les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH) afin de faire valoir leurs droits ; d’autre part, on trouve une multitude d’étudiants sans profil particulier ayant besoin d’aides ponctuelles pour trouver un logement, apprendre à gérer un budget, payer une facture imprévue, rédiger un dossier de demande de bourse, faire part de leur isolement social ou de problématiques familiales qui rendent le quotidien difficile, par exemple en cas de divorce des parents et de refus de payer une pension au jeune étudiant, sans que ce dernier puisse demander une bourse. On note également parmi les étudiants accompagnés d’anciens mineurs placés par l’ASE – presque 10% des étudiants suivis par les services sociaux – qui bénéficient d’une bourse au dernier échelon et d’un logement, conditions censées favoriser leur réussite, même si les statistiques à leur sujet dans les études secondaires et supérieurs sont assez inquiétantes.

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Ces dernières années, le SSU a pas mal grandi, notamment pour faire face aux nouvelles problématiques auxquelles sont confrontés les jeunes quittant le lycée et le cocon familial : pression accrue à la réussite dans un contexte de compétition généralisée et de chômage de masse anxiogène, ce qui provoque fatigue, alcoolisme, utilisation de drogues et médicaments, comportements sexuels à risque et parfois tendances suicidaires ; isolement social important dû au changement de ville et parfois de pays ; aide parentale défaillante que ce soit à cause de soucis financiers et, de plus en plus souvent, à cause de problématiques psys ; mal-être propre à cette classe d’âge, pas encore sortie de l’adolescence et confrontée à un environnement rempli d’incertitudes, les problématiques d’identité sexuelles étant d’ailleurs de plus en plus fréquentes ; soucis financiers importants, imposant de travailler à côté des cours, avec les effets connus que cela peut avoir sur les résultats universitaires… on constate d’ailleurs la prégnance du recours à la prostitution comme source complémentaire de revenu ; grandes difficultés pour les étudiants étrangers, surtout demandeurs d’asile, dont les conditions de vie se sont dégradées à cause de l’impossibilité de trouver un travail déclaré, si bien que pour ne pas sombrer dans la misère, ils sont contraints d’accepter des petits boulots au noir – dans la restauration notamment – ou alors de pédaler pour UberFoods ou Delivroo.

D’ailleurs, signe d’une volonté politique de l’Université où travaille Virginie, un service spécial à destination des étudiants demandeurs d’asile a été crée. Ce dispositif propose un soutien dans les procédures engagées par les personnes auprès de l’OFPRA (office français de protection des réfugiés et des apatrides) qui met de plus en plus de temps à délivrer des titres de séjour, provocant des difficultés. Le SSU propose aussi un suivi médical, souvent défaillant auprès de l’autorité compétente, l’OFII (office français de l’immigration et de l’intégration). Parfois, c’est même directement la présidence de l’Université qui intervient auprès de la Préfecture pour tenter de faire libérer un étudiant étranger envoyé en centre de rétention en vue d’une expulsion, à la suite d’un banal contrôle d’identité…

Virginie, elle, reçoit environ 300 étudiants chaque année, chacun demandant un suivi variable allant d’un simple entretien pour faire le point à une quinzaine de rendez-vous dans les cas où le difficultés s’accumulent. En moyenne, elle reçoit chaque étudiant demandant de l’aide environ trois fois. Elle commence ses journées à 8h30 et elle mène en général six entretiens quotidiens auxquels il faut ajouter pas mal de coups de fil et de mails afin de contacter les divers services compétents en fonction des problématiques soulevées par les étudiants reçus. Sans oublier un vrai temps passé à la préparation des dossiers de demandes d’aides ponctuelles ou à l’année. Tous les 10 jours, il y aune réunion de service afin d’organiser le travail et parfois évoquer collégialement les cas les plus préoccupants. Enfin, une fois par mois, une commission universitaire se réunit auprès du Centre Régional des Œuvres Universitaires et Scolaires (CROUS) qui est l’organisme qui finance l’aide sociale aux étudiants. Virginie y présente les dossiers des étudiants qu’elle suit et pour lesquels elle rédige une note sociale afin d’évaluer le contexte et les besoins. Ainsi, devant d’autres assistants sociaux, des représentants étudiants élus et parfois des représentants des mutuelles étudiantes, on y décide d’aides ponctuelles ou régulières sous forme de versements pour faire face aux factures, loyers ou taxes impayées ou sous forme de prise en charge des repas au Restaurant Universitaire. D’une manière générale, les trois quarts des demandes sont acceptées car légitimes. Pour le quart restant, les refus s’expliquent par l’importance des sommes demandées, par la volonté de pousser à l’autonomie les étudiants aidés parfois depuis des années, et plus rarement par des abus, essentiellement basés sur des falsifications de documents bancaires et administratifs.

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A temps partiel, Virginie gagne 1300 euros par mois – dont une majoration car elle est mère de famille nombreuse – pour une trentaine d’heures hebdomadaires. C’est bien moins que dans le privé, mais Virginie ne travaille pas pour l’argent. Malgré la difficulté du métier au quotidien par la confrontation avec des problèmes souvent graves et avec la frustration et la culpabilité de ne pas toujours pouvoir aider, Virginie ne songe pas un instant à changer de travail, trop heureuse de ce qu’il lui apporte : discussions riches, relations empruntes d’humanité, remerciements sincères et l’impression d’être utile.

Au delà de ses missions à proprement parler, Virginie considère que le SSU dans son ensemble fonctionne bien, que l’Université met des moyens pour essayer d’améliorer les conditions d’étude et que les cadres dirigeants sont souples et compréhensifs, favorisant l’indispensable autonomie des travailleurs de ce secteur. Les contraintes d’organisation et de financement ne pèsent pas au quotidien sur le travail du service et sur l’attribution des aides aux étudiants, nous confie-t-elle. Pour autant, Virginie pense que la tâche d’assistante sociale est encore trop individuelle et isolée : les informations sont difficiles à trouver, il faut se constituer son propre réseau dans les différentes administrations pour être efficace car pas grand chose n’est mutualisé et certains services comme la CAF, la CPAM, l’OFII et l’OFPRA sont carrément hermétiques à une collaboration avec l’assistance sociale. Heureusement, un riche réseau associatif vient un peu pallier ces difficultés, mais la situation est loin d’être satisfaisante.

Toujours est-il que cette jeunesse, majeure dans ce cas, semble être de plus en plus vulnérable et que la dissociation entre l’âge de la majorité et l’autonomie financière liée au premier emploi explique en grande partie les taux alarmants de pauvreté parmi les moins de 25 ans et là, il n’y a même plus les dispositifs de l’ASE pour accompagner dans cette transition et garantir une existence digne et confiante aux jeunes.

Images © Copyright 2019 Clarisse Robin, Martin Daguerre, Vanessa Lamorlette-Pingard et YG | Tous droits réservés

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