Article paru sur le site de La Rotative en juillet 2017 et essentiellement rédigé et illustré par Eugénie Fillette.
L’objectif de cette série de rééditions est de revenir sur le bilan politique de la majorité sortante pour donner des clefs de lecture aux citoyens face aux choix qui se dessinent pour les municipales de 2020. Que ce soient les méthodes ou les orientations de M. Babary puis de M. Bouchet, il y a matière à penser un projet différent pour l’avenir de la ville. Espérons que les gauches et l’écologie sauront tirer des leçons de ces six années d’administration de la cité par la droite et que les aspirations populaires de participation à la prise de décision seront entendues. Pour ce volet, on abordera la question de l’urbanisme et de ses enjeux à travers le projet de réaménagement des bords de Loire en plein centre de Tours…
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Alors même que la première pierre des futures tours Hilton n’est toujours pas posée, l’équipe de M. Serge Babary pense déjà au coup d’après. Le projet de « rehaussement » du haut de la rue Nationale doit aboutir à une reconfiguration totale du rapport de la ville à la Loire. Après le tram, le CCCOD, les tours Hilton, les 5 500 m² de commerces afférents et l’aménagement luxueux de la place Anatole France rebaptisée Porte de Loire, il s’agit désormais de repenser les aménagements, les usages et l’utilité de cet espace fluvial aux marges de la cité.
Ce long article est conçu en deux temps. D’une part, une analyse du projet de réaménagement de la Loire et ce que cela nous apprend sur le pouvoir et ses méthodes ; d’autre part, un état des lieux des espaces que la mairie veut soudainement « reconquérir », si l’on reprend les termes de sa communication… L’intérêt de la démarche étant de soumettre à un examen rigoureux le projet sa mise en scène médiatique, dans la perspective de l’intérêt collectif.
La Loire, un espace marginal à reconquérir ? État des lieux
Toute la procédure du concours et sa médiatisation repose visiblement sur l’idée que la Loire est laissée en friche, comme oubliée, et qu’il faut donner les moyens à la population de reconquérir cet espace en marge. Pourtant, une simple ballade le long des douze points retenus par le pouvoir pour le projet de réaménagement permet de se rendre compte du caractère vivant de la Loire et de mieux comprendre ce qui se joue vraiment : rentabiliser pleinement des atouts jusque là négligés économiquement.
Pour savourer tout ce qu’offre de délicieux une promenade le long du ruisseau, il faut que le droit à la flânerie ait été conquis par le travail, il faut que l’esprit fatigué ait besoin de reprendre son ressort à la vue de la nature. Le labeur est indispensable à qui veut jouir du repos, de même que le loisir journalier est nécessaire à chaque travailleur pour renouveler ses forces. La société ne cessera de souffrir, elle sera toujours dans un été d’équilibre instable, aussi longtemps que les hommes, voués en si grand nombre à la misère, n’auront pas tous, après la tâche quotidienne, une période de répit pour régénérer leur vigueur et se maintenir ainsi dans leur dignité d’êtres libres et pensants (Elisée Reclus, Histoire d’un ruisseau).
Pont de Saint-Cosmes, rive droite

A la limite entre Saint-Cyr-sur-Loire et Fondettes, cette zone est marquée par les axes de communication. La levée de la Loire y croise le pont ferroviaire de Saint-Cosme, qui a été rejoint par un double pont routier supportant le périphérique. Ce dernier a un peu plus détourné et bétonné la Choisille, rivière qui vient se jeter dans la Loire.
A l’Est et à l’Ouest, des maisons particulières profitent tant bien que mal de ce qu’il reste de la proximité ligérienne.
Au bord de l’eau, cet entrecroisement de voies de circulation laisse quelques espaces libres, où l’on croise pêcheurs et lapins au petit matin. Mais l’endroit reste d’autant moins pratiqué que les accès piétons et cyclistes semblent s’éteindre dans la végétation après s’être frayé un chemin dans ce décor relativement inhospitalier.
Pont de Saint-Cosmes, rive gauche

L’accroche Sud du pont de Saint-Cosme offre un paysage encore plus marqué par la voiture qu’en rive droite. La rocade y croise la voie d’accélération venant de Tours par l’Est. La butée qui la borde cache le Prieuré de Saint-Cosme et ses jardins. Plus à l’Ouest, des jardins familiaux précèdent une zone industrielle.
Le bord de Loire sur cette rive droite est rendu très calme par ces aménagements routiers, et le tracé de la Loire à vélo préfère longer le Cher (plus au Sud) à ce niveau. La tranquillité du lieu permet pour le moment à quelques personnes d’établir un campement sur les berges et sur les dernières îles en amont du pont.
A ce niveau, la navigation sur le fleuve présente quelques difficultés, puisque les bases des piles du pont ainsi que les débris de béton ont réduit le niveau d’eau à un minimum, n’autorisant plus que les canoës à le franchir par ses arches de gauche. On note d’ailleurs la présence d’un club de kayak à cet endroit, qui loue des embarcations pour descendre le fleuve au départ de La Riche.
Ancienne digue / « cœur de La Riche »

Ce secteur mal défini par le concours semble englober une bonne partie du centre historique de La Riche, de la place de la mairie jusqu’à la Loire. Dans ce secteur encore, le lien entre zone bâtie et berges est coupé par l’axe routier qui mène à la rocade. La rive gauche y entame son tronçon le plus calme, déjà contourné par la Loire à Vélo.
Les immeubles à loyers modérés profitent néanmoins d’une belle vue sur le fleuve et les manoirs Saint-Cyriens qui les dédaignent depuis la rive d’en face.
Quai des Maisons Blanches, Manoir de Rochecôtes

Rive droite, en aval du pont Napoléon. Ici, lapins et canards côtoient pêcheurs et promeneurs en barque, dans une ambiance d’île de Ré en contrebas de la place où l’on trouve boulangerie, épicerie, marchand d’huître. L’aménagement saint-cyrien des berges est pensé pour la promenade des anciens, avec ses bancs et ses petits réverbères. Un peu plus à l’Est une ruelle descend vers la berge : petites maisons rénovées, palmiers dans les jardins, Porsche Cayenne et roses trémières dans les allées… Nous sommes bien à Saint-Cyr. Les nombreuses caméras de vidéosurveillance nous le rappelleraient si besoin.
Île Simon, pont Napoléon
Anciennement pont suspendu, puis pont béton depuis 1980. Le pont donne accès à l’île Simon, site de captation des eaux à l’accès interdit à l’Ouest, et parc public à l’accès limité à l’Est en direction du pont Wilson. Le skate parc, les jeux pour enfants, les chemins de promenade, les plages estivales et les accès sablonneux à l’eau favorisent une variété d’usages et d’usagers…
De temps en temps, un concert des Îlots Électroniques invite quelques centaines de Tourangeaux à tasser un peu la terre.
De tous les ponts qui traversent la Loire, le pont Napoléon est celui qui est le plus approprié par les graffeurs, autant sur les deux berges que sur l’île. L’activité y est presque tolérée, notamment grâce à la proximité du skate parc.
Quais niveau pont Wilson

Les quais au niveau du pont Wilson sont sans doute les plus pratiqués (quantitativement) aujourd’hui, avec l’arrivée de la guinguette « Tours-sur-Loire » en rive droite au début des années 2000. Espace à la fois central et en retrait, relativement isolé du centre-ville marchand par un dénivelé de 6 mètres formé par le quai, cet endroit forme en quelque sorte une bulle, offrant une certaine déprise vis-à-vis des cadres urbains.
Si l’on compte indistinctement plusieurs milliers de fêtards les soirs de juin sur le quai, la différenciation sociale se fait bien sentir en y regardant de plus près. Les sociabilités autours de consommations « libres » se font au niveau le plus bas du quai, tandis que l’étage supérieur est occupé par cette guinguette qui étend chaque année son territoire, et avec lui l’imposition d’une vocation commerciale et touristique. Cet établissement culturo-commercial constituait en effet la première pierre de la « reconquête du fleuve » souhaitée par le personnel politique local.
Axe Château – pont de Fil – Paul Bert

Cet axe est celui qu’ont emprunté les habitants du Tours médiéval pendant un millier d’année pour traverser la Loire, en passant par le pont d’Eudes (construit en 1033, abandonné à la fin du XVIIIème après la construction du Pont Neuf plus en aval), dont on voit les ruines à quelques mètre en amont du pont de Fil.
Ce dernier s’appuie sur l’île Aucard et un passage à gué naturel pour atteindre le quartier Paul Bert en rive droite. L’île Aucard se divise en trois parties : le terrain de captation et traitement des eaux à l’Ouest du pont (interdit au public), des terrains de sports publics gratuits (accessibles en permanence), et un espace plus intimiste qui prolonge l’île vers l’Est en contrebas des terrains de pétanque.
Cette dernière partie est la moins aménagée, la moins évidente visuellement et en termes d’accès. Ce caractère en retrait a permis d’y préserver une ambiance tranquille, jusqu’à ce que la municipalité décide d’y raser toute la végétation basse ainsi que de nombreux arbres (dès 2014), transformant cette petite forêt de Loire en pâle copie de l’île Simon. La municipalité Babary semble bien aimer cette île, puisqu’elle la réquisitionne en tant que défouloir public, comme par exemple pour les finales de la dernière coupe du monde de foot, où les flics avaient carrément barricadé les accès au pont !
A propos de pont, soulignons que celui-ci ne serait plus là si les habitants du quartier Paul Bert ne s’étaient par mobilisés au début des années 1990 pour le sauver de la destruction suite à un incident qui l’avaient rendu impropre à la circulation automobile. Cette histoire et quelques autres vous sont racontées sur le site du comité de quartier Paul Bert – île Aucard.
Quartier Paul Bert – île Aucard

Ce qu’on appelle ici « île Aucard » est en fait une presqu’île, en rive droite du fleuve. Avec les décennies qui ont fait oublié les dernières crues centennales, les cabanes de pêcheurs se sont transformées en maisons de plaisance, à fleur d’eau. En longeant la rive vers l’amont, ont croise le très huppé Tennis Club de Tours, où vous devrez mettre de côté 20€ pour jouer une heure si vous avez les chaussures qui autorisent l’accès à la terre battue. Le parking du club fait côtoyer du regard à ses habitués quelques camions aménagés relégués sous le pont Mirabeau. Plus loin encore vers l’Est on arrive au parc Sainte-Radegonde, le plus vaste parc public de la ville, ouvert en permanence.
Vous retrouverez un peu d’histoire et de sociologie sur ce secteur à la fois proche et à distance du centre-ville dans l’ouvrage bien nommé « Le Petit Montmartre tourangeau. Tours : le quartier Paul Bert et ses mémoire » du sociologue Gérard Lecha (1988). Entre analyses statistiques du recensement, observations de terrain et recueil de témoignages d’habitants, l’auteur rend compte des spécificités de ce quartier où classes populaires, ancienne bourgeoisie catholique et petite bourgeoisie culturelle à tendance gentrifieuse se côtoient, dans une ambiance de village.
L’échangeur Tours-Centre de l’A10

Retour en rive gauche, autour d’un aménagement routier. Peu de chose à dire sur cette zone, où se mêlent les voies d’accès à l’autoroute. Au bord de l’eau, sous le pont qui sursaute au passage de chaque poids lourd, on trouve paradoxalement une ambiance bien relaxante, à bonne distance du centre animé. Comme souvent, cet espace disqualifié est autant lieu de relégation que d’appropriation. Ici les stationnements de voitures ne sont pas les seuls usages marginaux. C’est aussi ici que des rencontres homosexuelles ont pris l’habitude de s’ancrer, dans les heures tardives. Aux espaces marginalisés les pratiques marginalisées.
Marmoutiers, rond-point Abel-Gance

On se trouve ici en limite Est de Tours, proche de Rochecorbon. C’est l’abbaye de Marmoutiers, développement de l’Ermitage de Saint-Martin nourri par les pèlerins pendant une quinzaine de siècles, qui marque cette limite. L’institution d’enseignement catholique Marmoutier occupe une bonne partie de cette propriété très vaste.
Un peu plus à l’Est, un rond-point conduit vers l’autoroute au Nord, vers Rochecorbon en suivant la levée de la Loire vers l’amont.
Pas grand-chose à dire de la berge à ce niveau, sinon la fin du parc Sainte-Radegonde et quelques accès voiture qui viennent agrafer le chemin de promenade au bord de l’eau. Au large, on aperçoit l’île aux Vaches, accessible à pieds par basses eaux depuis Saint-Pierre-des-Corps, et où on croise régulièrement des chevreuils.
Berges de Rochecorbon et Lulu Parc

A hauteur de la commune de Rochecorbon, la rive droite de la Loire est occupée par un parc d’attraction doublé d’une guinguette tsoin-tsoin. Entre minigolf, musette, et structures gonflables pour les gosses, c’est un peu le rendez-vous du dimanche des petites classes moyennes, l’amusement encadré pour familles d’employés. Le tout se déroule au pied d’un extravagant manoir qui s’impose à flanc de coteau, hôtel 4 étoiles estampillé ArtHôtel.
A quelques pas en aval, on trouve les ateliers de l’école de Loire La Rabouilleuse. Son batelier Clément Sirgues y enseigne la navigation, la construction de bateaux ou tout simplement la vie en bonne entente avec le fleuve, aux enfants du Sanitas comme aux usagers du café La Barque.
Berges de Saint-Pierre-des-Corps

A deux ou trois kilomètres en amont du pont de l’autoroute, la levée de la Loire est séparée du fleuve en rive gauche par un espace tampon à la végétation riche, offrant des vues sur les coteaux taillés de Rochecorbon en face et des levés de soleil aux couleurs surréalistes à l’Est. Des jardins familiaux s’étalent discrètement là, à côté d’un vieux centre aéré.
La levée qui sépare cet espace de la partie plus urbaine avec ses tours d’habitat social est clairement faite pour la circulation automobile, pas pour les piétons. Il faut risquer de se prendre un camion pour faire un tour en bord de Loire de ce côté.