A un mois des élections municipales, les candidats confrontent leurs programmes à coups de slogans, de tweets et de tracts sur les marchés. Ils s’agitent sur les réseaux sociaux et comptent leurs troupes sur Facebook. Mais dans la frénésie de la campagne, difficile de se poser un instant pour analyser et mettre en perspective les discours et trajectoires des candidats et pour essayer d’évaluer la fiabilité de leurs promesses et les enjeux qui se cachent derrière leur potentielle élection. Le cas de M. Benoist Pierre (LREM) a particulièrement attiré mon attention car il incarne, à l’échelle municipale, cette nouvelle classe de politiciens non plus simples notables de province mais désormais brillants technocrates qui se posent en experts de la chose publique. Sur le papier, il semble excellent, jeune, dynamique, bien habillé et donc sérieux, plein de succès et avec un CV LinkedIn long comme le bras. Pour autant, au delà du coup de foudre électoral, qu’attendre raisonnablement d’un vote pour lui et pour son programme ?
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Le 6 février dernier, à Tours, lors de son premier gros meeting de campagne, le candidat de La République en Marche a du faire face à des groupes d’individus venus perturber son discours. Étudiants, syndicalistes, avocats, Gilets Jaunes, opposants à la réforme des retraites, artistes… étaient présents pour manifester leur colère face aux choix politiques et aux méthodes du gouvernement, refusant que la municipalité tombe elle aussi entre les mains des Marcheurs. En bon politicien, M. Pierre a tenté de reprendre la main en accusant La France Insoumise et son principal adversaire, M. Emmanuel Denis, d’avoir organisé cette action pour « museler » le débat. En se posant à la fois en victime et en héros de la liberté d’expression, Benoist Pierre postule que ses opposants sont à court d’arguments et ne veulent pas parler du fond, préférant la « violence ». Rhétorique classique de ceux qui veulent endosser le costume de modéré, se posant en pragmatiques résolus à prendre les problèmes à bras le corps, avec expertise et pondération, poil à l’impeccable communication.
Face à cette séquence, l’objet de cet article est donc de répondre à ce monsieur non pas sur son terrain ni avec ses mots et règles du jeu, mais plus en profondeur, toute modestie mise à part. Je précise d’emblée que je n’ai pas participé à l’action du 6 février, que je ne suis encartée dans nulle structure et que je ne suis nullement une bolchévik subversive pas plus qu’une extrémiste anti-spéciste ou pire, pour reprendre l’échelle de valeurs de M. Benoist Pierre , une Insoumise. Je ne brigue aucun mandat, je ne rentrerai donc pas dans le jeu politicien consistant à discuter de chaque proposition en décernant des brevets de réalisme budgétaire. Non, je vais plutôt tenter d’analyser l’inconscient politique du discours de Benoist Pierre, avec les outils des sciences sociales et de l’anthropologie. Toutes les informations reprises ici sont issues de la vie publique du candidat marcheur, toutes les sources sont disponibles sur Internet, il ne s’agit donc pas d’une enquête avec des révélations fracassantes mais d’une tentative de mise en perspective.
Qui est Benoist Pierre ?
Né en 1968 dans une famille d’agriculteurs du Gâtinais, il intègre une classe préparatoire aux écoles de commerce dans le très huppé lycée Descartes à Tours. Finalement, il s’oriente plutôt vers Sciences Po Paris où il fait la rencontre d’Edouard Philippe, un de ses camarades de promo. Une fois diplômé, il passe l’agrégation d’Histoire et enseigne pendant quatre ans en région parisienne puis intègre des programmes de recherche et part réaliser une thèse à l’étranger. Une fois docteur, il devient enseignant-chercheur à l’Université de Tours, à l’âge de 35 ans. Dix ans plus tard, il est déjà à la tête du département d’Histoire et d’Archéologie puis il prend la direction du prestigieux Centre d’Études Supérieures de la Renaissance, structure mixte d’enseignement et de recherche lié à l’Université François Rabelais et au CNRS. Dans la foulée, il devient aussi directeur d’un programme à financement régional portant sur l’Intelligence des Patrimoines qui mêle formation et recherche transdisciplinaire dans le domaine de la valorisation patrimoniale. Il est aussi à l’origine du Smart Tourism Lab, incubateur largement financé par la Sous-Direction du Tourisme du Ministère de l’Économie qui s’occupe de former et financer de jeunes entrepreneurs innovants dans ce secteur. Parallèlement, fin 2016-début 2017, Benoist Pierre quitte le Parti Socialiste et adhère à En Marche pour soutenir la candidature d’Emmanuel Macron à la présidentielle.
Réputé ambitieux, Benoist Pierre s’appuie sur son parcours d’excellence pour justifier la pertinence de sa candidature. Rien de bien étonnant pour un politicien, il est vrai, mais ce qui frappe avec ce candidat marcheur, parmi tant d’autres, c’est l’arrivée concrète sur le devant de la scène d’une nouvelle catégorie de l’élite qui entend exercer le pouvoir, incarnée au national par la figure d’Emmanuel Macron.
Les technocrates au pouvoir
En 1945 est crée l’École Nationale d’Administration (ENA) qui devait former l’élite administrative de la nation, capable de maîtriser techniquement les dossiers de plus en plus complexes d’un État qui élargit ses périmètres d’action et d’avoir un bagage intellectuel et philosophique censé éviter de reproduire les turpitudes de la haute administration sous Vichy. Cette formation-clef de la méritocratie républicaine est rapidement devenue le débouché naturel pour les meilleurs élèves du pays, tout en renforçant la polarisation du système éducatif autour de la « voie royale » constituée par le triptyque bon lycée de centre-ville/classe préparatoire/Sciences Po Paris. Toutefois, rapidement, cette école qui devait former des hauts fonctionnaires conseillant et servant les élus et donc la population est devenue une manufacture à politiciens ambitieux, de Giscard à Macron, en passant par Chirac, pour ne parler que de ceux qui sont devenus présidents de la République.
Le problème avec ce type de profil, que représente Benoist Pierre à l’échelle locale, c’est le brouillage des frontières entre le domaine de l’expertise administrative et le domaine du politique et du bien public. Lorsque les deux sphères se mélangent, on voit poindre à l’horizon le risque de confiscation du politique par une élite d’experts, fortement marquée par un entre-soi qui n’est pas vécu comme tel, autrement dit, le risque d’une dérive technocratique.
La célèbre promotion Voltaire de l’ENA (Hollande, Royal, Jouyet, Delpuech, Sapin, De Castries, de Villepin…)
Après sa carrière d’enseignant et de chercheur, couronnée de succès et de récompenses académiques légitimes, M. Benoist Pierre est devenu un manager public ayant saisi les opportunités octroyées par les lois dites Pecresse sur l’Autonomie des Universités de 2007 qui inauguraient la mise en concurrence des établissements du Supérieur. Dès lors, l’essentiel de son activité s’est centrée sur le montage de dossiers, sur la contractualisation avec les administrations et tutelles et sur la levée de fonds publics et privés permettant aux facultés et aux labos de recherche de drainer des financements pour favoriser leur développement, notamment à l’international, tout en faisant rentrer l’activité universitaire dans le moule du classement de Shanghai, alpha et oméga de l’évaluation de l’efficience de la production de connaissance.
Or, ce genre de tâche – le management public – finit par structurer tout un ensemble de concepts, de valeurs, de vocabulaire, de méthodes et de mécanismes qui constituent ce que l’on pourrait appeler le champ technico-administratif, lui-même fortement influencé par le champ de l’entreprise privée. Les notions de ce champ finissent par être intériorisés peu à peu par les professionnels et une fois le cadre posé, tout va être passé à travers ce filtre qui perd son statut de simple grille de lecture pour devenir une objectivité rationnelle, une nouvelle norme. Par glissement progressif, le champ technico-administratif investit le champ politique, à l’origine autonome et animé par les élus et les citoyens, a priori non professionnels : on voit des administrateurs et hauts fonctionnaires utiliser ces concepts pour leurs carrières politiques et progressivement, les politiciens et élus issus d’autres milieux professionnels adoptent à leur tour ces concepts qui leur servent à se poser en experts, à se sentir légitimes et hors de l’emprise des administratifs, parfois simplement à gagner du temps dans le processus qui entoure la prise de décision et qui implique un travail avec des fonctionnaires.
Arrivés à ce stade, je ne résiste pas à l’envie de vous faire lire quelques lignes de cette novlangue pour bien saisir d’où vient l’inspiration profonde de notre candidat… C’est tiré du site de l’Ecole Supérieure d’Intelligence des Patrimoines, dirigée par Benoist Pierre himself :
« À destination de start-up early stage qui innovent dans le tourisme, le programme Expérimentation R&D permet de faire croître une start-up en s’appuyant sur l’excellence de la recherche sur les patrimoines.
Une expérimentation pour booster le développement de la start-up en lien avec la recherche académique. Vous travaillerez pour développer un projet d’expérimentation permettant de faire avancer votre start-up et de challenger le service, le produit et/ou la technologie proposé.e.
Des workshops thématiques pour favoriser la connaissance de l’innovation touristique et du territoire. Vous pourrez avoir accès à des équipements numériques d’acquisition, de traitement et de valorisation des données (casques de réalité virtuelle, scanners 3D, imprimante 3D, eye-tracker, stations de traitement et de calcul, tablette holographique, appareils photographiques, caméras, etc.).
Le programme d’expérimentation R&D se déroulera en ambiance coworking au sein d’un espace de 140 m2 situé à MAME. » (1)
Passons maintenant aux travaux pratiques, l’analyse du programme de Benoist Pierre, là où le champ technico-administratif pavane crânement à chaque page (2):
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sur le plan des concepts et du vocabulaire, c’est un festival : « démocratie participative », « dialogue », « ingénierie de projet », « budget participatif », « partenaires privés », « accompagnement », « rayonnement », « bienveillance », « vivre-ensemble », « bien vivre et bien agir », « levier », « labellisation », « incubateur », « plan d’investissement dans les compétences », « capital-santé », « économie bas-carbone », innovation », « production de lien social », « ressource », « atout », « open-data », « ville intelligente »… Ça ressemble à fond à un séminaire pour cadre sup’ dans le consulting en urbanisme, non ?
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en termes de communication et de messages suscitant une adhésion molle, essentiels pour occuper l’espace médiatique et mener le jeu, là aussi, le programme nous gâte. Petit florilège de langue de bois qui ne mange pas de pain : «mettre en place des marches exploratoires avec les acteurs de notre cité pour une meilleure prise en compte des difficultés réelles », « nommer un adjoint dédié à la vie citoyenne », « nous soutiendrons le petit artisanat », « renforcer l’autonomie énergétique en partenariat avec les communautés de communes », « favoriser les économies d’énergie par la mise en place de dispositifs incitatifs », « être à l’écoute des conseils citoyens », « organiser une grande journée en faveur des minorités », « créer un service de restauration aux métiers plus riches de sens », « construire une maison des diversités »… Alors ? Séduit.e ?
Là c’est Benoist avec Marlène, Jean-Michel et Amélie
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pour les méthodes de gouvernance, comme disent les porteurs de cravate, là aussi on sent l’influence de New Public Management si cher à Emmanuel Macron : des outils d’évaluation en temps réel pour mesurer l’efficience des décisions sur des critères soit-disant incontestables, la sur-valorisation de l’ingénierie de projet visant à aller capter des financements des différentes institutions ainsi que des partenaires privés, la vision du pouvoir politique comme interface entre l’économie et la société et comme animateur de projets pour contrer certains effets pervers dont le coût doit être socialisé, par exemple le chômage de longue durée ou le déficit de médecins… Tu le sens comme il est expert, le back office ?
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en ce qui concerne l’échelle des valeurs construite par le programme, on ne peut qu’être frappé par le tropisme technologique qui nous assaille à chaque page et nous promet un avenir radieux en 2.0 : « un baromètre citoyen pour évaluer les politiques publiques », « concevoir un hashtag géant pour Tours», « organiser un festival de eSport », « incubation de l’innovation environnementale », « création d’une équipe drone dans la Police Municipale », « dotation des policiers en gyropodes électriques », « développer la video-verbalisation », « créer une cartographie numérique pour répertorier les actes de malveillance », « valoriser les arts numériques », « développer les musiques électroniques », « créer un fonds de soutien aux transferts technologiques, « mettre en place un réseau intelligent pour l’eau, l’électricité, l’éclairage public et le ramassage d’ordures »… Bref, ce n’est plus un programme, mais le concours Lépine. Cependant, Benoist Pierre, en bon historien, sait aussi rendre hommage aux vestiges. Ainsi, il nous ressort Jean-Pierre Tolochard, ancien adjoint à la culture sous Jean Germain et pressenti pour récupérer ce poste, avec des idées novatrices telles que la création d’une salle de répétition dédiée aux Musiques Anciennes – vieux serpent de mer de la germanie (2)– et la création d’un festival urbain transdisciplinaire. Oui, vous avez bien entendu, miracle, le festival Rayon Frais ressuscite sous vos yeux ébahis.
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dans la lignée de la méthode du management par projet, à la mode depuis 30 ans dans les grosses boîtes, adoptée par Emmanuel Macron en 2017 pour structurer le parti puis lors des « consultations » publiques dans le processus de réforme (Éducation Nationale, Retraites, Grand Débat), Benoist Pierre a lancé une série d’ateliers citoyens participatifs afin de « co-construire » le programme, se parant d’une véritable dynamique populaire et démocratique. Du reste, on trouve sept fois mention dans le programme de ce type de dispositif citoyen censé produire du consensus, que ce soit au sujet de l’économie, de la sécurité ou des cantines. Quand on constate ce que le gouvernement fait de la consultation populaire, je laisse le soin à chacun d’en tirer les conclusions qui conviennent au sujet de ces promesses pour la ville de Tours…
Marketing politique
Pire, ces catégories et modes de pensée propres aux technocrates leur font appréhender leur projet politique comme un énième dossier à constituer pour mener à bien leurs objectifs et gagner, toujours et encore. Cette dérive est particulièrement évidente dans la démarche de Benoist Pierre, comparable au lancement d’un produit sur le marché : depuis le printemps dernier, il a commencé une course à la notoriété en fréquentant tout ce que la ville compte de réseaux – sport, anciens combattants, culture, politiques, commerçants, comités de quartier, catholiques – ; ensuite est venu le temps de l’étude de marché, via la plateforme Citynov qui a permis par des enquêtes et sondages de mesurer les préoccupations des tourangeaux et ainsi ajuster au mieux l’offre politique, dans une pure approche marketing ; plus tard, il a fallu occuper l’espace médiatique pour accroître encore la visibilité du candidat ; est venu après le moment de ce que l’on pourrait appeler le « branding », c’est à dire la gestion de l’image de marque, et là il était capital pour B. Pierre d’obtenir l’investiture LREM et bénéficier du rayonnement de la maison-mère élyséenne ; pour faire exister le produit depuis l’automne dernier, l’équipe de campagne a convoqué un très classique « story-telling » – mise en récit, en bon français – pour humaniser un peu le marcheur inconnu de la masse des consommateurs-électeurs. A cet effet, Benoist Pierre fait miroiter dans sa biographie tous les éléments-totem qu’il considère indispensables à la construction de l’image attendue par l’électeur moyen : des origines paysannes, l’amour du travail manuel aussi bien qu’intellectuel, l’importance de la pratique sportive – peut-être une résurgence du mens sana in corpore sano qui doit être cher à ce fin connaisseur de la Renaissance -, l’évocation de Tours comme véritable capitale de la Région – hommage à la guéguerre opposant la ville de Balzac avec Orléans depuis 45 ans -, l’invocation de quelques talismans aussi fédérateurs que finalement vides de sens par leur aspect convenu : l’humanisme, la responsabilité, la détermination, le progressisme et le vivre-ensemble. Il est vrai qu’on imagine mal un candidat assumer être misanthrope, irresponsable, incapable de prendre des décisions et réactionnaire.
Wow, quelle forme !
L’extrême-centre
Autre signe des temps, c’est le choix récurrent de M. Pierre de convoquer deux figures de la vie municipale, Jean Royer et Jean Germain, afin d’en opérer une synthèse axée sur une politique dite « de grandeur » tout en jouant la carte de la nostalgie, toujours porteuse auprès de l’électorat à cheveux blancs. Ce drôle de mélange, a priori antinomique, met la puce à l’oreille et semble se fondre à merveille dans le concept d’extrême-centre théorisé par Pierre Serna, grand historien spécialiste de la Révolution Française, et transposé au sujet d’Emmanuel Macron depuis 2017 : neutralité pragmatique de la bonne action politique, toute puissance de la solution technique économique pour répondre aux problèmes, négation des singularités idéologiques, importance des alliances droite-gauche dont le point d’équilibre serait le centre extrême, importance de l’exécutif et critique du parlementarisme censé animer les oppositions partisanes stériles, réforme vue comme antidote à l’immobilisme mortifère, poids de la supposée rationalité défendue par les élites face au chaos de l’extrémisme passionnel de la foule… Difficile de ne pas faire le lien avec la stratégie de Benoist Pierre, à la construction de sa liste qui va de la droite sortante – Barbara Darnet Malaquin – à EELV – David Chollet – en passant par des nombreux lambeaux du PS et de Place Publique, au soutien logique du Modem, aux tirades sur le « dynamisme à retrouver », aux critiques au sujet des manifestations et Gilets Jaunes, au rôle central attribué à l’économie et au travail qui « est au centre de toutes nos richesses »…
Caricature du député Barnave, une des premières figures de l’extrême-centre selon P. Serna
Liste citoyenne ou macronisme exacerbé ?
Benoist Pierre confiait à la presse ces derniers jours qu’avoir l’investiture LREM ne constituait pas « un boulet » mais « qu’en même temps », sa liste était d’abord une liste citoyenne issue de la « société civile ».
Quand on regarde sa liste, en effet, les personnes identifiées comme militantes sont minoritaires. Bon, il est vrai que des fois on s’arrange avec la réalité… Par exemple, on découvre page 11 du programme papier un certain « Arnaud », simple participant à l’atelier « tranquillité et sécurité publique ». De manière étonnante, on ne précise pas au lecteur naïf que ce monsieur est…l’attaché parlementaire de Philippe Chalumeau, député LREM de Tours, ni qu’il a été auparavant journaliste local, toujours avec la juste distance par rapport aux politiques, par exemple quand il cosignait avec l’ancien adjoint socialiste Alain Dayan un livre sur Jean Germain. Un oubli, probablement. Ah, et sinon, ce monsieur a débuté en politique dans le parti villiériste, porté par sa passion pour l’ordre et l’armée. LREM ? Ni de gauche, ni de gauche.
De même, certains liens ne sont pas forcément mis en avant pour garder toute cette belle fraîcheur citoyenne. Ainsi, Tiphaine de Thoury, enseignante inscrite sur la liste est aussi animatrice radio sur RCF et elle invitait déjà Benoist Pierre en tant que directeur du CESR dans des émissions il y a plus d’un an. Jolie rencontre. Ah tiens, et Arnaud, le gars du paragraphe du dessus, ben il est aussi animateur à RCF, fou, non ?
Sinon, besoin du soutien du monde associatif spécialisé dans le social ? D’avoir un micro-ancrage au Sanitas ? D’obtenir des prises de guerre dans la liste adverse de gauche, par exemple avec des membres de Place Publique ? Et bien il suffit de débaucher Wilfried Leroy, président du centre social Plurielles au Sanitas en promettant « d’installer le centre dans des locaux plus propices à ses activités » et hop, le tour est joué.
Autre cas, celui des Jauzenque, trois membres éminents du milieu culturel à Tours qui gèrent un lieu non-loin de la Place Plumereau où se déroulent concerts et expositions. En 2017, Benoist Pierre en qualité de directeur du CESR signait une convention avec les Jauzenque dans le cadre du festival les Essentiels pour que leur salle, Arcades Institute, accueille des projections. On notait déjà dans le descriptif de cet événement la dimension nouveau monde de la chose :
« Les Essentiels des Patrimoines » est un festival inédit, transversal et interdisciplinaire de création de courts métrages ayant pour objectif la découverte et l’accompagnement des nouveaux talents par des artistes et professionnels reconnus dans leur domaine (réalisateurs, comédiens et techniciens professionnels ; chercheurs, enseignants-chercheurs et ingénieurs) ».(3)
Quelle ne fut pas ma surprise de voir tout ce beau monde tracter ensemble pour LREM lors des dernières européennes. Les rencontres, toujours et encore.
Plus globalement, lorsque l’on recoupe les profils des membres de la liste, on constate que 75% d’entre eux ont un bac+5 alors que dans la société française la proportion de la population diplômée à ce niveau là est de… 8%. 80% des co-listiers ont plus de 40 ans, là aussi la distorsion est grande car à l’échelle française la proportion n’est que de 50%. Je ne parle pas, bien entendu, de la sous-représentation des populations issues de l’immigration, même si cette problématique n’est pas le monopole de LREM. Bref, en tout cas, à l’image du parti marcheur depuis 2017, nous avons affaire à une élite diplômée faite de cadres supérieurs et de professions libérales en quête de pouvoir et d’influence, consciente de son mérite et de ses qualités. Pas étonnant que ces gens aient été choqués par les manifestations bruyantes de désaccord lors du meeting du 6 février. Un peu à la manière des premiers de la classe qui s’assoient devant en cours et qui font « chuuuut » un peu énervés lorsque les cancres du fond – les Gilets Jaunes – couvrent la divine parole professorale.
Je ne sais pas si être siglé LREM est un boulet, mais la liste de Benoist Pierre est tout ce qu’il y a de plus macroniste, pour sûr.
Et si on parlait politique et pas de programme ?
Que les choses soient claires, il n’est pas question ici de M. Benoist Pierre en tant que personne mais bel et bien de la figure qu’il incarne et de l’idéologie qu’il déploie derrière l’illusion de l’expertise neutre et consensuelle. L’illusion, c’est de faire campagne en promettant de ne pas augmenter les impôts tout en augmentant l’investissement et en réduisant la dette, la réalité idéologique, c’est celle du néo-libéralisme qui revendique les privatisations au nom de l’efficience économique. Deux exemples, afin de saisir la toile de fond du programme marcheur et ne pas se laisser bercer par des slogans calibrés et les vibrantes déclarations d’intention.
Les offrandes permanentes du candidat à la divinité nouvelle économie au nom de la croissance et du développement peuvent probablement rassurer les spectateurs de BFM mais posent beaucoup de questions, d’efficience par exemple. Lorsque Benoist Pierre propose de monter des pools d’ingénieurs spécialisés dans la recherche de financements européens, étatiques et régionaux ainsi qu’auprès de partenariats public-privé (PPP), il oublie de dire aux citoyens que ces projets n’aboutissent qu’en cas de co-financement, c’est à dire que la ville de Tours devra mettre la main à la poche dans des proportions importantes pour tout projet : il est illusoire de croire que le maire peut proposer des orientations et que les autres institutions financent, par la grâce d’un dossier rempli avec une flamboyante expertise. De même, pour stimuler l’économie en la « clusterisant », c’est à dire en créant des synergies entre institutions publiques de recherche, lieux de formation et accompagnement de jeunes entreprises, il faut faire appel à des budgets assez colossaux et mettre en place une administration dédiée qui regorge de cadres hautement rémunérés à la productivité discrète. Paradoxal, ce siphon à argent public, pour un apôtre des bienfaits du marché et de la concurrence privée.
Lorsqu’il s’agit de donner de l’argent à l’Hôpital public, aux Retraites ou plus généralement aux services à la population, LREM sort la calculette pour montrer que chaque euro compte et qu’il faut procéder à des économie urgentes sous peine de condamnation au Purgatoire comptable tout en durcissant les conditions de travail. Lorsqu’il s’agit de subventions aux entreprises, le panier se perce comme par enchantement. Une preuve ? Et bien, accrochez-vous : saviez-vous que les étudiants de l’École Supérieure d’Intelligence des Patrimoines qui travaillent dans le domaine de la recherche et du développement peuvent postuler à un fonds spécial géré par la Préfecture et dont une partie de l’argent provient de Tupperware qui avait dû passer rapidement à la caisse lorsqu’il avait décidé de fermer son site de Joué-les-Tours , laissant 235 personnes du le carreau (4). Mais au diable l’avarice, il faut redéployer l’économie et trouver la nouvelle source qui ruissellera demain, en réalité augmentée 3D s’il vous plaît. Et tant pis si cet argent ira dans la poche d’un incubateur et de quelques start-uppers au lieu d’aider les 235 chômeurs, dont une majorité de plus de 45 ans. On voit à quel point ce dispositif est moral et efficace, alors on ne peut que souhaiter ses multiples transpositions, à l’échelle municipale, par un Benoist Pierre qui promet « d’expérimenter un territoire zéro chômeur de longue durée ». Pour parachever ce juste modèle social, le candidat marcheur nous offre sa plus belle langue de bois pour s’engager à « encourager la participation citoyenne à la politique d’accompagnement des habitants vers plus d’autonomie ». Oui, on connaît, cela s’appelle la charité, en langage moins châtié, ou alors, moins poétiquement, un désengagement de l’État sur le dos des associations.
Manifestation à Tours contre la réforme LREM des retraites
Second exemple, pas très sexy, celui de la question foncière. Benoist Pierre promet « d’exonérer les jeunes entreprises de la cotisation foncière des entreprises », « de renforcer l’offre foncière à destination des entreprises » et « de développer l’offre foncière à haute performance environnementale ». Parallèlement, il a « entendu les craintes des habitants de Tours Nord au sujet de la densification de l’habitat » et s’engage à créer une gigantesque coulée verte cyclable sur l’axe nord-sud afin qu’aucun habitant soit à « plus de cinq minutes à pieds d’une espace vert ». Derrière ce joli « en même temps » macronien, se cache une mécanique qui ne fera que renforcer la gentryfication, autrement dit, la poursuite de l’embourgeoisement de Tours, phénomène en accélération sous Babary-Bouchet et soutenu avec bienveillance par le patron de la métropole, Philippe Briand, propriétaire de Citya, mastodonte français des agences immobilières. Les politiques d’exonération à destination des entreprises ne peuvent qu’augmenter leur capacité à acheter du mètre carré, augmentant la pression sur les sol disponible, les prix suivant à la hausse mécaniquement. De même, le développement des espaces verts selon le schéma proposé par Benoist Pierre ne peut que faire augmenter les prix dans le foncier environnant et repoussant les catégories populaires toujours plus loin du centre-ville, les forçant à prendre davantage la voiture. Tant pis pour « l’objectif zéro carbone », pour le « vivre ensemble » et pour les « chômeurs de longue durée » dont on connaît depuis 20 ans le sort, relégués dans un péri-urbain enclavé.
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Aucun doute, donc, sur les compétences de M. Benoist Pierre et s’il fallait élire le Directeur Général des Services administratifs, ma voix irait pour lui sans trembler. Mais comme on est appelés à élire un Maire et non un manager, j’avoue préférer quelqu’un de plus ancré dans la réalité de la majorité des gens, quelqu’un qui sait ce qu’est le salariat, ce que sont les difficultés sociales et qui est attaché à l’autonomie relative de la vie associative. Quelqu’un qui ne propose pas de drones et de gyropodes. C’est peut-être un peu ancien monde, mais ça me va.
Sait-on que la gestion du Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance par son directeur est catastrophique? sait-on qu’il n’y est ni bienveillant, ni participatif?
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Cela circule en effet et j’ai reçu nombre de messages à ce sujet… mais merci d’en témoigner ici…
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super article! merci JK pour cette rehistoricisation 🙂
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