Depuis des années, dans le monde de la culture et du patrimoine, la norme est au désengagement de l’État. Ceci afin de réduire la dépense publique mais aussi pour permettre davantage d’efficience dans la gestion des équipements, nous assure le discours libéral dominant. Les politiques publiques portées par les institutions et leurs fonctionnaires s’effacent peu à peu pour laisser le champ libre aux mastodontes des industries culturelles qui s’occupent des domaines rentables liés au divertissement ou à une myriade de petites associations chichement subventionnées qui portent à bout de bras, dans la précarité et aux marges du droit du travail, nombre d’initiatives, de lieux, de festivals et d’actions.
La crise du covid-19 rapportée au secteur culturel montre cruellement les fragilités du système. D’un côté, les producteurs et administrateurs de boîtes, compagnies, salles et festivals qui demandent à l’État des avances de trésorerie pour ne pas sombrer comptablement en ces temps d’annulations de spectacles et d’expositions. De l’autre côté, nombre de petites structures trop fragiles pour faire face au choc et dont on saura seulement dans quelques mois si elles ont survécu ou si on assiste à la disparition corps et bien d’une foule d’événements culturels – parfois d’avant-garde – dans les villages, dans les quartiers populaires ou dans les petites villes du périurbain, renforçant le sentiment d’enclavement et d’ambiance moribonde dans ces espaces isolés, déjà en marge de la sacro-sainte attractivité et compétitivité des territoires.
Pour illustrer les effets de ce manque chronique de moyens sur la gestion associative dans la culture, je me propose de prendre le cas de la Forteresse de Montbazon, excellent exemple des normes en vigueur et des dérives dans le secteur et dont nombre de travailleurs tirent la sonnette d’alarme depuis des années. Il s’agit donc ici de décortiquer les dérives du système et le manque de contrôle et d’impulsion étatiques dans le secteur culturel, pas simplement de régler des comptes avec l’association qui valorise la Forteresse de Montbazon, dont la plupart des membres sont de bonne foi et de bonne volonté.
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La forteresse de Montbazon, située en plein cœur de l’Indre-et-Loire, est un édifice du Xème siècle édifié par un comte d’Anjou puis aménagé par Henri II Plantagenêt au XIIème et subissant encore des extensions au XVème. Trois siècles plus tard, le château tombe en ruines et une partie de ses pierres sont réutilisées pour de nouvelles constructions et seuls demeurent le donjon et quelques bâtiments faisant office d’entrepôts. En 1860, un mécène rachète les ruines pour en faire un sanctuaire de la Vierge puis, en 1926, le Donjon est inscrit aux monuments historiques et c’est l’ensemble du site qui est inscrit en 2012. Cependant, le processus de classement à proprement parler, plus protecteur, n’a jamais abouti. Dans les années 1950, c’est un riche vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui rachète l’édifice et qui finance une rénovation bas de gamme en béton et avec des copies en plâtre. Ses filles revendent le tout et le nouveau propriétaire monte une crêperie dans une ambiance logis de la Renaissance qui fera rapidement faillite. C’est un couple d’anglais, les Atterton, qui rachète alors et qui entend en faire un lieu touristique en initiant des restaurations et une ouverture à des visites mais le projet stagne. En 2009, ce sont deux frères – Guy et Jean-Yves Aldasoro – qui rachètent les terrains par l’intermédiaire de leur société Valeur Plus Expression située à Biarritz puis, en 2012, ils cèdent la gestion du site à l’association Les Chevaliers du Faucon Noir, reconnue d’utilité publique, qui assure aussi bien l’entretien que la promotion et l’exploitation touristique et commerciale du site.
En fait, en 2009, le maire divers-droite de Montbazon d’alors, Bernard Revêche, et sa première adjointe aux finances, Sylvie Giner, avaient approché les Atterton pour se porter acquéreurs du bien, à titre purement privé, mais sans succès. L’opposition avait à l’époque dénoncé le caractère étonnant de cette démarche qui peut ressembler quelque peu à un conflit d’intérêts et d’ailleurs, les relations se sont ensuite bizarrement tendues entre la Mairie et les gestionnaires de la Forteresse… L’édifice, pourtant emblème de la ville et point culminant, ne jouit d’aucune publicité ou valorisation sur le site officiel de la municipalité. Étonnant, pour une petite ville de moins de 5,000 habitants qui a besoin du tourisme pour se développer, et d’autant plus de biens patrimoniaux pour attirer des visiteurs dans une région qui brille par ses châteaux. Détail cocasse, c’est cette même Sylvie Giner qui est depuis mars 2020…la nouvelle Maire de Montbazon, cumulant par ailleurs un mandat de conseillère communautaire et départementale.
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Depuis 2012 donc, c’est l’association Les Chevaliers du Faucon Noir qui gère la Forteresse à l’année, même si la saison d’ouverture s’étale sur six mois. La mise en état des lieux, les visites théâtralisées, les animations, les nocturnes, les partenariats avec des festivals, les locations pour des mariages et les ateliers de reconstitutions historiques constituent les différentes activités menées par l’association, mêlant nombre de domaines de compétence et d’expertise et justifiant d’une entrée à 12 euros en plein tarif. La direction de l’asso parle d’environ 70.000 visiteurs l’an dernier, générant selon mes estimations un petit million d’euros de chiffre d’affaires…
Du reste, cette association est la résultante d’un drôle d’assemblage hétéroclite. Elle est contrôlée par… Jean-Yves Aldasoro, le co-propriétaire du site, incarnant la véritable autorité auprès des travailleurs et bénévoles. Gravitent ensuite autour du personnage : un bureau composé par des membres qui changent régulièrement, certains claquant la porte à la suite de désaccords de fond avec M. Aldasoro ; un conseil d’administration fantôme avec des membres qui ne suivent pas véritablement les activités de l’asso, de l’avis de nombre de témoins ; une demi-douzaine de salariés fixes au SMIC qui s’occupent des cuisines, des costumes, des petits travaux, de l’entretien, de l’accueil des visiteurs et de la médiation culturelle ; une douzaine de stagiaires payés 570 euros par mois en charge de l’accueil, de la médiation et des animations ; une douzaine de saisonniers payés au SMIC qui gèrent les ateliers, par exemple la forge, mais qui font aussi les visites guidées ; un bon nombre de bénévoles qui aident lors des nettoyages d’avant saison et qui participent à des ateliers – par exemple à celui hebdomadaire de Behourd, sorte de sport théâtralisé qui reproduit des techniques médiévales de combat en armure avec différents types de règle -. On le voit, l’essentiel des travailleurs du site a un statut précaire et un très faible salaire, les stagiaires étant pléthore, ce qui est bien normal selon la direction : « moins chers, plus qualifiés ».
C’est dans cette organisation du travail et ces choix que réside le principal problème dans l’association, causant un véritable mal-être chez nombre de salariés et de stagiaires. Toutes ces problématiques sont récurrentes dans le secteurs associatif en général et culturel en particulier et se déclinent suivant plusieurs axes :
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approche paternaliste du salariat où les dirigeants de l’asso entretiennent la confusion entre activité professionnelle et passion, entre rapport hiérarchique et « on est tous sur le même bateau ». Ce mélange des genres a tendance à augmenter le temps effectif de travail – 40h par semaine, voire 50h et plus selon nombre de témoins, plutôt que les 35h légales – et à limiter la manifestation de revendications ou de conflits sur le lieu de travail. Signe évident du rapport brouillon au travail, cette salariée licenciée en septembre 2018…venue s’investir en tant que bénévole dans la foulée. De même, les tirades sexistes, la mise en doute des compétences des salariées et les blagues douteuses de la direction témoignent d’un sentiment d’impunité et d’aisance déplacée sur un lieu de travail.
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une structure salariale qui ne permet pas d’organiser un rapport de force afin d’améliorer les situations problématiques. D’un côté, les salariés sont soit des proches de M. Aldasoro qui peuvent parfois abuser de leurs privilèges, soit des personnes en situation de grande marginalité sociale qui vivent des épisodes conflictuels avec la direction. De l’autre, les stagiaires et saisonniers ne sont pas là assez longtemps et ne connaissent pas assez leurs droits pour les faire valoir de manière efficace. Pourtant, en septembre 2018, lorsqu’une procédure de licenciement économique a été annoncée à la dernière minute, sans préavis, 20 jours avant la fin du contrat, un syndicat n’aurait pas été de trop… Un témoin commente : « on a accepté de rogner nos conditions de travail, parce qu’on pensait vraiment se tirer vers le haut. Travailler à la forteresse nous a autant soudé que cela nous a fait souffrir. On avait vraiment l’impression de faire du tourisme de manière humaine. C’est le côté familial de notre hiérarchie qui est trompeur. A créer des liens on en a oublié leur poids. »
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des erreurs d’organisation par manque de cadres sérieusement rémunérés. Par exemple, les partenariats manquent de coordination, comme lors du festival Les Historiques en 2018 où des stagiaires de la Forteresse ont été sommés de travailler pour le festival de 8h à 1h du matin, à faire la cuisine, la plonge ou de la médiation… ou alors convoqués de nuit pour couler une dalle de béton de 20 m² sans permis de construire, dans un lieu inscrit au patrimoine. Et des travaux comme ceux-ci, il y en a eu d’autres, certifient des témoins.
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de mauvaises habitudes se sont installées. Phénomène typique des petites structures, certaines pratiques se sont fossilisées dans le temps et ne sont plus remises en question, faute de représentation sérieuse du personnel. Ainsi, la nourriture servie à la cantine est issue des invendus du Carrefour du coin…mais facturée 70 euros par mois au personnel… Il n’y a pas de personnel fixe pour le ménage ? Qu’à cela ne tienne, les stagiaires le feront à tour de rôle même si cela ne rentre pas dans leurs attributions ! On veut développer l’activité en proposant des banquets-spectacle en nocturne mais on n’a pas le personnel ? Et bien demandons aux stagiaires de venir le soir, même si c’est illégal, ou faisons faire cela aux salariés en heures sup’, sans les rémunérer au final. Avoir de beaux costumes pour les visites théâtralisées c’est indispensable mais ça coûte cher ? Pas de problème, les salariés déposeront 50 euros de caution lors du prêt du costume et le lavage sera à leurs frais ! Enfiler un costume médiéval prend du temps ? Que les salariés se préparent et s’habillent sur leur temps libre, juste avant d’embaucher, alors ! Il faut des photos pour la communication de la Forteresse ? Mettons-en en ligne sans demander aux salariés de valider légalement la cession de leurs droits à l’image ! Le bar et le restaurant fonctionnent au ralenti ? Incitons les employés à rester après le travail pour consommer sur place, à leurs frais… et puis, de toutes façons, comme le dit un témoin qui a fait des semaines de 60h : « quand tu te douches, que tu manges, que tu travailles, puis que tu dors sur le camp de la forteresse. Tu n’as pas envie de faire les courses »
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la santé et le bien-être au travail sont peu garanties. Ainsi les toilettes et vestiaires n’ont pas été aux normes pendant des années ; nombre d’objets manipulés quotidiennement contiennent du plomb mais aucun étude d’impact sérieuse n’a été réalisée depuis 2012 ; nombre de petits accidents et bobos dus au manque de prise en compte des normes de sécurité ne sont pas déclarés et ne donnent pas lieu à modification des comportements ; les tensions entre salariés et notamment les cas d’agressions verbales ou physiques et de harcèlement ne sont pas pris en compte par la direction… Résultat, des cas de burn-out diagnostiqués par un médecin psychiatre ont frappé des stagiaires à l’été 2018, sans réaction particulière des dirigeants de la structure.
Cet inventaire à la Prévert accumule les dysfonctionnements qui finissent par miner l’ambiance de travail et l’épanouissement professionnel de ceux qui y sont confrontés. Cependant, à défaut de syndicats solides ou de l’organisation du personnel, c’est donc des autorités qu’il faut attendre une réponse. À l’été 2018, par exemple, l’inspection du Travail a été saisie pour des retards dans le versement de la paye. Lorsque l’inspecteur arrive sur place en ayant annoncé sa visite quelques jours auparavant, il se trouve que nombre de stagiaires sont absents, mystérieusement poussés par la direction à rester chez eux pour un congé exceptionnel. Lors d’une autre visite impromptue de l’Inspecteur, avec tous les stagiaires cette fois, un avertissement a été adressé à la direction pour non respect des horaires légaux… Pour autant, cela ne règle pas grand chose car les stagiaires ne relèvent pas de l’Inspection du Travail mais plutôt d’un suivi par l’organisme de formation de tutelle, en l’occurrence les Universités et leurs enseignants-tuteurs. Ces derniers, trop heureux d’avoir un débouché pour caler des étudiants en Histoire de l’Art, ne prennent pas en compte les problèmes récurrents pointés par les étudiants passablement exploités. Pire, l’Université incite les étudiants à proposer et porter des projets culturels dans la Forteresse, ce qui est contraire au statut du stagiaire. En ce qui concerne les personnels bénéficiant d’un Service Civique et donc globalement sous-payés (577 euros par mois dont 473 à la charge de l’État), c’est la Direction Départementale de la Cohésion Sociale qui assure le suivi et les éventuels problèmes, mais une seule personne s’occupe des ces aspects en Indre-et-Loire et encore, pas à plein temps.
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Au delà de la question laborale, d’autres interrogations peuvent être légitimement soulevées, et pas des moindres.
Par exemple, quid du statut des animaux sur le site ? De ces chèvres sans enclos, peu ou mal nourries – au pain et aux frites -, sans pâturages ou point d’accès à l’eau ? De cet âne pas débourré enfermé dans un box et qui se retrouve souvent le poitrail en sang en essayant de forcer la porte ? « Caprice de Jean-Yves Aldasoro qui voulait un âne, mais refusait de s’en occuper, on a fait comme on a pu » nous dit un travailleur de la Forteresse. « On avait une ferme avant, quand on dormait sur place, mais elle a été détruite car personne ne voulait s’occuper des animaux en plus de sa journée de boulot »
Et au fond, quid de la conservation du patrimoine ? Même si la Forteresse communique beaucoup sur la question, on peut douter du fond scientifique de la chose, le divertissement historique n’étant jamais bien loin :
« plus d’une vingtaine d’animateurs s’occupent en effet de présenter les différents métiers typiques du Moyen-Âge aux visiteurs : le potier, le tisserand, le calligraphe, l’enlumineur, le frappeur de monnaie, le forgeron, le sculpteur sur pierre, l’herboriste, l’arbalestrier, et de nombreux autres vous accueillent dans leurs ateliers. La découverte des différents corps de métier se fait au sein d’un village animé toute la journée, mais également la nuit en juillet et en août, tous les jeudis et vendredis soirs. A cette même époque, les visiteurs ont également le loisir d’assister tous les jours à une visite animée guidée par un homme en armes : visite du donjon, des souterrains, le tout clôturé par un tir à l’engin de guerre. » (1)
ou
« L’un des acteurs de ces épisodes sanglants n’était autre que Foulques III, comte d’Anjou. Ou Foulques Nerra pour les intimes, le noir, en référence à son teint mat. Nous sommes à la charnière des Xe et XIe siècle, et il ne fait pas bon s’opposer à cet homme violent et cruel : assoiffé de conquêtes, il étend bientôt ses territoires de Vendôme jusqu’à Angers. L’homme est en effet en lutte perpétuelle contre ses voisins. A l’époque, si on n’attaque pas, on est attaqué. Si on ne gagne pas du terrain, on en perdra ! Au fil de ses conquêtes, Foulques fait édifier des fortifications, à Montrésor, Langeais, et… Montbazon ! » (2)
Alors bien sûr, il n’y a que quelques professeurs d’Histoire mauvais coucheurs qui s’offusqueront de la légèreté du traitement scientifique des actions proposées et du goût pour le sensationnalisme et les clichés liés au Moyen-Age. Que le métier à tisser ait été acheté chez Cultura, que le tour de potier à pied ne soit pas utilisé car plus personne ne sait faire, que les charrettes présentées au public datent en réalité du XIXème, cela ne posera de problème qu’aux maniaques de la reconstitution historique telle qu’elle peut être menée de manière pédagogique et experte au Château de Guédelon. « On a seulement fait avec le peu de moyens qu’on avait ! Va construire un métier à tisser à pesons quand tu dois passer ta journée à faire des travaux de chantiers ! »,nous livre un témoin qui a fait quelques saisons là-bas. « On a fait notre boulot pour proposer des connaissances solides du Moyen-âge. Les outils pédagogiques ont été utilisé avec les moyens du bord. C’est encore une fois ce qui nous maintenait : proposer des animations de qualité en s’amusant nous-même et en amusant le public »
Anecdote qui en dit assez long sur le rapport au patrimoine et à l’histoire : il y a quelques années, un archéologue procédait à des fouilles sur place pour améliorer la connaissance du site mais il a fini par se brouiller avec Jean-Yves Aldasoro qui avait mis en place des tirs de ballons sur le Donjon à l’aide d’un trébuchet – ou couillard -, en guise d’animation pour le public. Face à l’impossibilité de faire mettre un terme à cette pratique, l’archéologue a cessé de venir, se demandant bien à quoi servait son travail… Depuis, les tirs sont dirigés ailleurs, mais…la machine n’a été ni entretenue ni réparée depuis 10 ans.
Cette question de la conservation physique du patrimoine historique que constitue le bâtiment n’est pas secondaire, d’autant plus depuis que l’on a appris en décembre dernier l’effondrement d’une partie du coteau de la Forteresse ce qui fait peser un risque pour les habitations en contrebas. L’association n’ayant ni les personnels qualifiés ni les ressources pour mener des études poussés de renforcement, on attendra probablement un accident grave pour bouger… ou alors on lancera une opération de crowdfunding en demandant aux bonne volontés de mettre la main au portefeuille, comme cela a été fait en urgence pour démonter et déplacer la halle médiévale du site qui s’est retrouvée trop près de l’éboulement pour être encore utilisée : et hop 10,000 euros de récoltés pour la bonne cause.
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Finalement, ce qui devrait interroger le plus dans un contexte où le périmètre de l’action publique redevient un objet de débat, notamment au sujet de l’Hôpital public – de son abandon depuis 20 ans et de la redécouverte des vertus du bien commun – c’est de laisser notre patrimoine aux mains d’investisseurs privés et de gestionnaires associatifs. Ce modèle a donné le Puy du Fou, premier Parc de divertissement européen et grand succès économique vendéen construit sur l’exploitation de légions de bénévoles qui participent aux spectacles et sur un discours historique politiquement réactionnaire. Or, avec le confinement et la baisse de la fréquentation touristique, ce type de parc pourra-t-il survivre économiquement ? Et si tel n’est pas le cas, pourquoi l’État viendrait en aide à ce genre de structure ? Avec quelles contre-parties et avec quelles exigences de contenus ? A moins qu’il ne s’agisse que de socialiser les pertes dues à la crise alors même que les bénéfices de ces dernières années ont été tout ce qu’il y a de plus privés.
L’association Les Chevaliers du Faucon Noir est dite loi 1901 à but non-lucratif mais cependant, tout nous montre que l’objectif premier est de faire rentrer de l’argent et d’améliorer la rentabilité du site. Les partenariats signés avec Cultura ou des Maisons d’Hôte (la Tortinière, la Pataudière…) où des stagiaires et salariés de l’asso vont faire de la promotion régulièrement, relèvent-ils de la sauvegarde du patrimoine, par exemple ? La recherche de labels touristiques pour figurer sur des catalogues européens, est-ce autre chose que du marketing ? Au-delà de ces éléments précis, ce qui interroge, c’est ce mélange des genres où figure une entreprise commerciale et une association loi 1901 toutes deux gérées pour un seul homme, Jean-Yves Aldasoro, dont on ne sait jamais quelle casquette il coiffe. Quelle part des revenus d’exploitation sont reversées aux frères Aldasoro au titre de la propriété des lieux ? L’Asso n’est-elle pas qu’un cache-sexe pour limiter la responsabilité légale des deux frères ? L’Asso n’a-t-elle pas comme principal intérêt la possibilité de multiplier les embauches précaires et de stagiaires ?
De là, surgissent pas mal de questions plus générales : ce modèle là est-il le plus pertinent pour des activités non rentables mais relevant de la conservation du passé, des savoirs-faire et des arts ? La précarisation des travailleurs du secteur est-elle une fatalité ? Doit-on opposer divertissement à connaissance ? Pourquoi riverains et travailleurs devraient assumer seuls les risques liés à cette activité ? Quel modèle économique durable et respectueux des individus et de la nature peut-on trouver à l’échelle locale ? Le modèle coopératif – SCIC, SCOP – ne permettrait-il pas de résoudre ces contradictions en permettant à tous les participants du projet de la Forteresse de peser de manière démocratique dans les choix et orientations d’un tel projet ? Comment garantir la dignité et la juste reconnaissance des travailleurs du secteur, particulièrement investis ?
Peut-être que la puissance publique, les institutions et les corps intermédiaires – syndicats, groupes d’intérêt et associations – pourraient jouer leur véritable rôle en venant impulser, valider et contrôler ces pans de notre activité commune que l’on ne souhaite pas laisser à la libre initiative privée ou à la bonne volonté associative. Mais pour cela, il faut se battre dans chaque espace social pour défendre ce point de vue…et arrêter de voter pour des politiciens néo-libéraux dont le projet depuis 30 ans est le démantèlement de nos institutions sociales et culturelles.