Brèves de campagne #1 : où il sera question d’électoralisme et du plan Étincelle de Christophe Bouchet

A moins de quinze jours du deuxième tour des élections municipales à Tours, M. Christophe Bouchet, maire sortant et candidat de l’union des droites – de LREM à Sens Commun -, sort le grand jeu pour essayer de ne pas perdre son siège malgré le très mauvais score réalisé au premier tour. Et force est de constater que son équipe de campagne est plus que jamais aux abois, n’hésitant plus du tout à flirter avec les limites de l’éthique politique.

La série de courts articles qui s’annonce sera une sorte de suite à l’enquête publiée en février et actualisée sous forme de podcast en mai.

 

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La com’, toujours la com’, encore la com’

Début mai, alors que le confinement se profile et qu’il est de plus en plus probable que les élections se tiennent fin juin, Christophe Bouchet se doit de mettre au point une stratégie afin de garder la main sur le tempo de la campagne. Après avoir posté des vidéos quotidiennes sur la page Facebook officielle de la Ville – Tours&Moi – pour se poser en capitaine pendant la tempête, mêlant informations pratiques, auto-promo au sujet de la distribution gratuite de masques « à nos Anciens » mais aussi tirades hallucinées comme celle où l’on apprend que « le 11 mai 2020 sera le 8 mai 1945 de notre génération », il s’agit d’occuper l’espace médiatique pour couper l’herbe sous le pied du candidat de l’union des gauches et de l’écologie et trouver de quoi créer un nouveau feuilleton, comme disent les communicants.

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A la toute fin d’avril, l’idée tant attendue germe enfin et Christophe Bouchet, par ailleurs ancien journaliste dans des médias nationaux, obtient un bien sympathique et bien à propos publi-reportage sur France Info où il annonce une sorte de plan Marshall local : la municipalité fournira 30.000 bons d’achat de 50 euros aux directeurs d’associations caritatives, centres d’action sociale, commissariats, ehpad, hôpitaux… Charge à ces directeurs de distribuer les bons, dans la limite de quatre par individu, aux personnels les plus méritants pendant la crise mais aussi à des familles en situation de précarité. On imagine le caractère potentiellement arbitraire d’un tel schéma de distribution où les chèques-cadeau pourraient devenir une sorte de prime octroyée au bon vouloir des chefs.

Quoi qu’il en soit, tous les heureux bénéficiaires pourront dépenser leurs bons dans les 1905 petits commerces de la Ville, ceux de moins de 10 salariés et hors grosses chaînes et supermarchés, même si les franchisés peuvent tout de même postuler au dispositif. Cela représente 1.500.000 d’euros, et donc une subvention à peine déguisée de… 750 euros par commerce en moyenne, soit l’équivalent du chiffre d’affaires d’une journée d’activité dans un petit café. L’économie est donc sauvée, ouf ! Par contre, les salariés non confinés payés au smic comme les livreurs, caissières et cuistots sont hors dispositif. Et puis, même : pour une famille en grande difficulté sociale, que représente cette aide ponctuelle qu’elle ne pourra pas utiliser pour de l’alimentaire de base ? Bref, un grand classique de la droite libérale : un peu de charité, pas mal de soutien au Capital et une délicate brise pour les salariés.

Comme l’objectif c’est de faire de la com’ et du clientélisme à pas cher dans le social et le commerce, l’équipe du candidat a la brillante idée de reproduire sur les bons d’achat le code couleur de la campagne, le bleu et le orange, en toute simplicité. Et puis, M. Bouchet va voir ses camarades élus de la métropole en leur demandant de mettre la moitié de la somme sur la table, tout en espérant tirer les bénéfices politiques de l’opération. Les pisse-vinaigre de la Métropole – pourtant en majorité de droite et donc de la même famille politique -, flairent l’entourloupe et refusent, en demandant à négocier un plan de relance global et concerté. Mais ce sera non, car ceci nuirait trop à Christophe Bouchet qui souhaitait tout de même être seul sur la photo finale. Il s’en retourne alors dans sa mairie et décide que la commune de Tours mettra tout le pactole dans le dispositif : il ne reste plus qu’à faire voter ça en Conseil Municipal en se débrouillant pour ne pas associer l’opposition et donc Emmanuel Denis – le candidat qui a fini 10% devant Bouchet en mars – qui propose avec sa liste un certain nombre d’idées et la volonté de négocier collectivement un schéma de sortie de crise.

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Mauro Cuzzoni, Marion Nicolay-Cabanne, Christophe Bouchet et Thibault Coulon paradant avec le visuel du dispositif

Bien sûr, cette somme sort des impôts et elle ne servira pas à d’autres choses, peut-être plus utiles ou prioritaires ou tout du moins à des choses choisies collectivement et démocratiquement. Et tout ceci dans une des communes les plus endettées de France.

 

Et maintenant ?

Presque deux mois après l’annonce fracassante, qu’en est-il concrètement ? Une chose est sûre, c’est un succès de couverture médiatique : le Figaro, France 3, Sud Radio, France Bleu… sans parler de la presse locale, toujours prompte à relayer les communiqués de presse de monsieur le maire. Sur les réseaux sociaux, les photos de Christophe Bouchet et de ses poids lourds tels Marion Nicolay-Cabanne, Olivier Lebreton et Thibault Coulon distribuant des chèques géants façon Le Juste Prix de la grande époque fleurissent. Et bien sûr, même si cela est un dispositif de la mairie, toujours ce code couleur orange et bleu un peu partout, rappelant que M. Bouchet est aussi et surtout en campagne.

 

 

Pour autant, après enquête cette semaine dans les rues de Tours, la réalité semble moins flamboyante. De l’aveu d’un adjoint, moins de 20% des commerces se sont inscrits dans le dispositif pourtant très simple. A la question de savoir s’il avait croisé un client porteur de chèques-Bouchet, un commerçant du Vieux Tours plaisante « le jour où je vends quelque chose avec ce bon, je paye la tournée aux copains au bar d’à côté ». Une autre commerçante des Halles, elle, m’apprend que seuls deux collègues ont fait la demande. « J’ai autre chose à faire que gérer encore de la paperasse et puis, c’est quoi ce truc encore ? ». Bon, un succès en demi-teinte, visiblement.

Après avoir arpenté les rues les plus commerçantes de Tours (rue des Halles, du Commerce, de la Scellerie, Colbert, Marceau, les Halles, Grammont, rue Nationale et sa galerie et rue de Bordeaux), je n’ai comptabilisé que 60 commerces inscrits, ce qui ne fait pas lourd vu la densité commerciale de cet espace. Parmi les commerces participants, on retrouve du prêt-à-porter assez haut-de-gamme, des opticiens, des artisans d’Art, des magasins d’informatique, des chocolatiers, des bijoutiers, des fleuristes, des antiquaires, des concept-stores, des restos et bars et même une esthéticienne, une masseuse, un institut de bronzage et… un spécialiste du relooking. Et parmi ces boutiques, on retrouve pas mal de franchisés, tels Lacoste, Eden Park, Atol, Edgar, De Neuville, Planet Sushi, Speed Rabbit ou Comtesse du Barry… En effet, que des petits commerces fragilisés du coin de la rue. Du reste, pour un plan qui s’annonce lui-même comme « social, solidaire et économique », on repassera. A moins que ce soit une occasion en or pour les bénéficiaires les plus précaires de s’offrir enfin cette veste légère d’été en flanelle à 180 euros d’un joli magasin de la rue de la Scellerie ou de parfaire un bronzage pour rattraper le teint blafard post-confinement dans la perspective des vacances d’été sur l’île de Ré.

 

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On voit que le visuel du dispositif cible bien sociologiquement les plus modestes, habitués du shopping et de la french-touch’

 

Au-delà des aspects purement pratiques, la question de la légalité d’un tel dispositif improvisé, très coûteux et ouvertement électoraliste se pose depuis le début. Ces derniers jours, des sources à la Préfecture d’Indre-et-Loire me faisaient remonter des doutes quant à la chose. Alors que la rumeur enflait, les services de la communication de la Préfecture ont bien voulu répondre à mes questions, par le biais d’un mail : « sachez qu’en période de réserve pré électorale, nous ne devons plus nous exprimer sur ce genre de question. Cela étant, à titre indicatif, sachez que la préfète a validé le plan au titre du contrôle de légalité ». Nous voilà rassurés. Reste à évaluer dans quelques mois la pertinence et l’efficacité du plan…mais les élections, elles, seront passées.

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En tout cas, le plan Étincelle qui devait remettre le pied à l’étrier au maire-candidat Bouchet semble largement faire pschitt, pour paraphraser l’une des idoles de la droite locale, Jacques Chirac, lui aussi grand défenseur d’éthique en politique.

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