Brèves de campagne #3 : où il sera question de services publics et de la gestion sociale de Christophe Bouchet…

A moins d’une semaine du deuxième tour des élections municipales à Tours, M. Christophe Bouchet, maire sortant et candidat de l’union des droites – de LREM à Sens Commun -, sort le grand jeu pour essayer de ne pas perdre son siège malgré le mauvais score réalisé au premier tour. Et force est de constater que son équipe de campagne est plus que jamais aux abois, n’hésitant plus du tout à flirter avec les limites de l’éthique politique.

La série de courts articles qui s’annonce sera une sorte de suite à l’enquête publiée en février et actualisée sous forme de podcast en mai.

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Le dernier tract de campagne de Christophe Bouchet est sans ambiguïtés : le soutien de l’emploi et la volonté de bâtir une ville solidaire et bienveillante figurent dans les « 5 priorités pour la ville au quotidien ». Et avant cela, dans les vidéos diffusées quotidiennement via la page Facebook officielle de la Mairie, M. Bouchet multipliait les invocations en faveur de services publics ambitieux et de qualité, surfant sur la vague du besoin d’État lors de la crise du Covid.

Que penser de cet émouvant virage étatiste et interventionniste, alors même que la liste est essentiellement composée de libéraux ancienne école issus de LR et de néo-libéraux tendance start-up nation récupérés sur la liste LREM de Benoist Pierre ? Comme Christophe Bouchet aime à évoquer son bilan dans sa campagne, y compris sur les supports de la communication municipale tel le magazine mai-juin de la commune, jetons-y un coup d’œil, à ce bilan.

Temps périscolaire et mise en concurrence…

Jusqu’en 2002, le temps périscolaire – accueil le matin avant la classe, animations le midi ou après les cours, les mercredis et vacances scolaires – était pris en charge par des associations subventionnées par la municipalité, entretenant d’ailleurs des suspicions de copinage et d’opacité dans le processus d’attribution et de contrôle de l’activité. A cette date, Jean Germain va se conformer à la réglementation qui impose une mise en concurrence lors de la passation de contrats de marchés publics de prestation de services.

Quatre lots sont ainsi constitués – Nord, Sud, Est et Ouest – en découpant les territoires de la commune, selon les besoins périscolaires des quartiers et écoles. Chaque acteur qui souhaite participer à l’appel à projet doit fournir un dossier comprenant une partie technique avec les grandes orientations pratiques, philosophiques et pédagogiques ainsi qu’une offre de prix. Les services de la Mairie étudient alors les propositions et attribuent une note, composée à 60% par le dossier technique et à 40% par le budget. La meilleure note remporte le lot pour une période d’environ trois ans.

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Au Nord et au Sud, c’est l’association Léo Lagrange qui obtient la gestion du temps périscolaire, à l’Ouest, c’est l’association Courteline, à l’Est, c’est l’Union Française des Centres de Vacances et de Loisirs (UFCV). Le temps passe et les choses changent un peu : Courteline obtient aussi la gestion du périscolaire dans tout l’Est, prenant la suite de l’association Samira qui avait elle-même remplacée l’UFCV.

Avec le développement de l’activité et les politiques d’emplois aidés et d’emplois d’avenir menées sous le quinquennat de François Hollande (2012-2017), l’association Courteline procède à 121 embauches en cinq ans, essentiellement des personnes sans diplôme ou issues de quartiers défavorisés ou de communes rurales isolées. Tous ces salariés occupent divers postes, aussi bien animateurs, cadres, administratifs, techniques… et ont pu bénéficier de plans de formation ambitieux et, sauf exception, ils ont obtenu un CDI à l’issue de leur contrat aidé. L’association compte à l’été 2017 presque 250 salariés, pour l’essentiel en CDI, ce qui est rare dans un secteur où la précarité est la norme.

Parallèlement, l’élection de Serge Babary (LR) à la mairie de Tours en 2014 va avoir des conséquences inverses sur le secteur. Dès 2015, les critères d’attribution des lots changent et désormais, le budget compte pour 55% de la note, alors que le dimension technique et qualitative recule à 45%. Sept lots sont constitués, avec l’apparition d’un lot spécial pour le quartier Maryse Bastié, remporté par l’association des Usagers du centre Giraudeau-Bastié, qui remportera plus tard aussi le lot Sud. Dans le lot Nord, c’est l’association parisienne Charlotte-Loisir qui récupère la gestion du temps périscolaire. Un bon connaisseur de ce territoire avance :« Charlotte-Loisir, ma foi, c’est une boîte, qui réfléchit davantage en termes de business qu’en termes de pédagogie. Compression des coûts, pression toujours plus grande sur les équipes d’animations… La tendance est comme partout très économique : au début, on confie le boulot à des pros dont c’est le métier, avec des moyens conséquents et permettant de nourrir un vrai projet pédagogique. Aujourd’hui, ça regarde surtout combien ça coûte, pour proposer un service qui est surtout de la garde avant de penser épanouissement, pédagogie, cohérence avec l’école, etc… »

La grande asso perdante de ce jeu de chaises musicales occasionné par la mise en concurrence est Léo Lagrange, « historiquement un peu trop identifiée au parti socialiste » confie ce même connaisseur. Preuve également du changement de priorité dans la nouvelle équipe municipale de droite, le cas du centre d’accueil jeune public du Sanitas…qui attendra plus d’un an et demi avant d’obtenir les travaux nécessaires, alors même que la Protection Infantile et Maternelle avait pointé du doigt le non respect de certaines normes dans l’infrastructure.

Le tournant de 2017 : crise dans le secteur périscolaire

Avec l’élection d’Emmanuel Macron qui décide à terme de supprimer les emplois aidés et de revoir les rythmes scolaires ainsi que l’arrivée de Christophe Bouchet à la tête de la municipalité après le départ surprise de Serge Babary au Sénat, le contexte va rapidement changer pour les assos en charge du périscolaire. Ainsi, en septembre 2017, après un vote local, il est décidé de revenir à la semaine d’école de quatre jours ce qui provoque la suppression de fait des Temps d’Activité Périscolaire (TAP) proposés jusque là aux enfants après les cours, de 15h à 18h30. Pourtant, ce dispositif était un véritable succès, selon des experts du secteur, avec par exemple 90% des enfants du Sanitas inscrits et avec un taux de satisfaction des parents de l’ordre de 83%. Au-delà de la disparition de ce dispositif qui permettait de proposer des activités artistiques et physiques à des enfants dont les familles ne peuvent faire face habituellement à de telles dépenses, se pose le problème du sort des 200 animateurs embauchés spécialement pour ces TAP depuis 2014 dans toute la ville.

Face à cette situation, la Mairie et l’adjointe chargée de l’éducation et à la petite enfance à cette époque, Mme Barbara Darnet-Malaquin – de nouveau sur la liste de Christophe Bouchet pour les municipales malgré sa démission en 2019 et son passage chez Benoist Pierre – proposent aux acteurs du secteur, de manière informelle lors de réunions, de leur confier la gestion de la pause méridienne pour compenser la perte d’activité consécutive à l’arrêt des TAP.

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Engagement de campagne 2020…

Relativement rassurées, les associations commencent à travailler sur de nouveaux projets mais la stupeur est d’autant plus grande lorsque le cahier des charges officiel produit par la Mairie qui tombe en janvier 2018 ne fait aucune mention de l’animation des temps méridiens. Avec la fin effective des contrats aidés au printemps 2018, il est clair que l’on se dirige vers une crise majeure. Et ce, d’autant plus que dans le nouvel appel à projets, c’est la société parisienne Telligo qui remporte le lot Mirabeau grâce à la compression des coûts liée à sa stratégie d’embauche de personnels peu diplômés et encadrées à distance depuis le siège parisien de la boîte. Quant à la nature du projet pédagogique et les condition de travail chez Telligo, on peut s’en rendre compte dans ce portrait que j’ai réalisé il y a quelque mois, au sujet d’une animatrice embauchée là-bas.

L’association Courteline, qui perd donc le lot Mirabeau se retrouve alors dans une situation intenable et doit organiser un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) validé par l’Inspection du Travail (Direccte), portant sur 123 employés menacés, à qui il faut proposer des solutions et formations. Une partie de la tâche consiste en le reclassement des animateurs intervenant dans le lot perdu car Telligo est légalement obligé de reprendre ces salariés, aux condition d’emploi qu’ils avaient avant, chez Courteline. Sauf que Telligo refuse et malgré une procédure de médiation régionale puis nationale, l’affaire finira devant le tribunal de grande instance de Nanterre plusieurs mois plus tard, en décembre 2018.

Entre temps, en mai, Mme Darnet-Malaquin annonce dans la Nouvelle République que « le personnel de Courteline serait automatiquement repris » et en juillet, la première adjointe Mme Marion Nicolay Cabanne – n°2 sur la liste de Christophe Bouchet aux municipales – reçoit des responsables de l’asso Courteline et tente de les rassurer en laissant entendre que si le tribunal donne tort à Telligo, la Mairie saura réagir. Mais le PSE est lancé, il est déjà trop tard. En octobre, c’est Christophe Bouchet lui-même qui intervient dans les médias locaux pour exprimer sa position au sujet de la crise : « pour reprendre l’exemple de Courteline, il y a eu un problème de « CDIsation » de ces contrats alors qu’ils étaient sur des marchés temporaires. De plus, on a annoncé neuf mois en amont la fin des Temps d’Accueil Périscolaires, afin que les structures puissent s’adapter. J’ai l’impression ici que cela n’a pas été fait ». Cette déclaration sonne comme un désaveu pour la direction de l’association qui alertait depuis des mois sur la situation et sur l’attitude de Telligo. A noter que la Direccte a été saisie sur la question et que sa réponse est sans appel et très claire en ce qui concerne le droit français : le CDI est la forme normale de contrat et le CDI était le contrat le plus pertinent dans le cas précis de Courteline. Néanmoins, la position de Christophe Bouchet semble assez typique de la pensée libérale et des propositions de la droite française qui, avec le Medef, tentent de détricoter le code du travail et la typologie des contrats de travail depuis le mandat de Nicolas Sarkozy.

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De gauche à droite – façon de parler –  : Philippe Chalumeau, député LREM, Christophe Bouchet, Edouard Philippe et le trésorier de campagne de Nicolas Sarkozy

Du reste, les autres structures frappées par la fin des TAP, ont du procéder à un dégraissage en règle, mais plus aisé. Pour Charlotte-Loisir qui utilisait principalement des CDD pour ses animateurs, il a suffit de ne pas les renouveler. Pour l’asso Giraudeau-Bastié, on a assisté à une explosion des ruptures conventionnelles de CDI, ce qui a priori ne peut faire office de plan de licenciement. Cependant, un expert du milieu associatif laisse entendre «  que l’État avait donné pour consigne aux Direccte de valider ces ruptures conventionnelles alors qu’habituellement les services de l’inspection du travail sont très regardantes pour éviter les abus ». En tout et pour tout, on parle d’environ 200 personnes licenciées sur cette courte période de l’été 2018, dont 90 rien que pour Courteline dont le PSE a coûté un peu moins de 300,000 euros mais a permis de sauver 33 emplois.

En guise d’épilogue, en décembre 2018, le tribunal de Nanterre reconnaîtra que Telligo n’a pas respecté la loi, mais que c’est aux salariés de Courteline de faire valoir individuellement leurs droits pour récupérer des dédommagements, pas à l’association. Sauf que l’on est déjà en décembre et que la plupart des salariés licenciés n’ont ni les moyens ni le temps d’entamer ce genre de procédure. Résultat, Telligo s’en sort très bien…la boîte suscitant d’ailleurs l’appétit des mastodontes du secteur, tel Kids Attitude, propriété de la multinationale française Sodexo spécialiste de la restauration collective, qui finit par racheter Telligo quelques mois plus tard…

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Cet exemple est donc assez éclairant sur la véritable nature des choix politiques de l’équipe Bouchet depuis trois ans et sur la gestion des problématiques associatives et de l’emploi, sans parler de la question de la communication et de la confiance auprès des structures partenaires. Plus généralement, il n’est donc pas très étonnant que les relations entre Christophe Bouchet et les personnels municipaux soient tendues, comme le prouve le mouvement social en cours à la Mairie.

Le secteur de la petite enfance n’est pas un cas isolé, les services de contrôle du stationnement payant ont également été privatisés sous la dernière mandature. Et il est question du sort de la cantine centrale de Tours dans un avenir très proche, les critiques au sujet de ce service public municipal étant récurrentes dans les programmes de M. Bouchet et de son nouveau meilleur ami, Benoist Pierre, futur premier adjoint. Et moi, la présence de Sodexo qui a déjà un pied en ville, ça ne me met pas sereine sur le sujet.

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