A quelques heures du deuxième tour des élections municipales à Tours, M. Christophe Bouchet, maire sortant et candidat de l’union des droites – de LREM à la Manif’ pour Tous -, sort le grand jeu pour essayer de ne pas perdre son siège malgré le mauvais score réalisé au premier tour. Et force est de constater que son équipe de campagne est plus que jamais aux abois, n’hésitant plus du tout à flirter avec les limites de l’éthique politique.
Cette série de courts articles est une sorte de suite à l’enquête publiée en février et actualisée sous forme de podcast en mai.
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Pour cette dernière brève avant l’élection, et après avoir parlé clientélisme, drague électorale du troisième âge et démantèlement des services publics, je ne résiste pas à la tentation de vous offrir un pot-pourri de la communication de M. Bouchet. A mi-chemin entre outrance, grosses ficelles, marketing et amnésie sélective, on peut dire que le candidat de l’union des droites nous gâte. Car c’est bien davantage un spécialiste du marketing sportif – son métier d’origine – qui se présente qu’un expert en campagnes électorales, si l’on en croit ses 2% aux législatives de 2012, seule fois où Christophe Bouchet est passé devant le vote des citoyens. Allez, en voiture, il y a de la route…
Christophe et la famille
Pour commencer, un peu d’émotion, c’est important. Puisant son inspiration dans la grande tradition des Kennedy, Giscard et autre Sarkozy, Christophe Bouchet s’est laissé tenter ces dernières semaines par un virage personnel dans sa communication. Cette mise en scène de l’intimité exposée sur les réseaux sociaux a permis de feuilletonner quelque peu et tenter de faire ainsi de Christophe non pas l’illustre inconnu arrivé sur le devant de la scène pour un demi-mandat mais bel et bien l’enfant du pays avec lequel s’identifier, rassurant pour les mamies et d’un paternalisme provincial de bon aloi pour classe moyenne. On a donc vu passer une ode à sa maman, à son épouse, à la Touraine, à son chien et à ses enfants, jouant de l’ambiguïté entre les pages personnelles sur les réseaux sociaux…mais accessibles à tout le monde. Une sorte de rideau savamment tiré pour dévoiler avec une pudeur toute relative l’homme qui se cache derrière le maire.
Christophe et le vélo
Conscient du tournant écologiste de ces dernières années et envisageant souvent la politique comme un plan marketing visant à séduire le citoyen-consommateur, Christophe Bouchet a bien compris qu’il lui fallait montrer patte verte. Ainsi, il a dû débaucher quelques « écologistes » très light comme Céline Delagarde, parfois même passés par LREM, tel David Chollet, qu’il s’agira de mettre un peu en avant pour donner des gages.
Au-delà, il a fallu verdir le candidat lui-même, catapulté dans sa plaquette de présentation « membre fondateur de Génération Ecologie » – sans qu’il soit vraiment possible de trouver des précisions à ce sujet sur Internet – mais aussi de verdir le programme, sans sombrer dans l’écueil de « l’écologie punitive » invoquée à tout bout de champ pour agiter le spectre affreux de la décroissance soit-disant portée par le candidat EELV Emmanuel Denis. Pour réussir ce grand écart, c’est le vélo qui est mis à l’honneur : communication, vélos spéciaux de campagne et discours creux au sujet des deux roues sont de la partie, en petit braquet.
Mention spéciale à la mise en place de pistes cyclables improvisées en catastrophe dans la perspective des élections, par exemple ici rue des Tanneurs – oui, c’est le truc bordé de plots blancs, la piste cyclable -.
Détails cocasses, une citoyenne m’a signalé que son voisin – membre de l’équipe Bouchet – cherchait déjà à revendre un vélo de campagne, pour 30 euros. De même, M. Bouchet est réputé avoir un garage bien garni, avec quelques grosses cylindrée et même une Rolls Royce, peu réputée pour son caractère économe et nature-friendly. Preuve d’une « pensée complexe » au sujet de la petite reine, sans aucun doute. Un peu comme Loïc Guilpain, délégué des Jeunes Avec Macron (JAM) intégré à la liste en suivant Benoist Pierre, apôtre du progressisme et de l’écologie pragmatique, mais par ailleurs, grand amoureux des sports mécaniques.
Christophe et les trolls
Chose fortuite mais qui interpelle, on a vu fleurir ces derniers temps sur Facebook et Twitter de drôles de comptes anonymes, relayant les éléments de langage de l’équipe de M. Bouchet et dont les posts sont repris par des co-listiers ou des personnes gravitant dans les réseaux de la droite locale. Ainsi, la peur du rouge, les obsessions identitaires de l’extrême-droite et la dénonciation de la presse indépendante locale, trouvent une flamboyante expression. Sommet de la gloire, c’est votre Joséphine qui concentre le plus d’attaques et de menaces… probablement un signe de nervosité ambiante dans l’entourage du maire sortant qui préfère les fake-news et les procès pour bolchévisme plutôt que d’affronter la critique argumentée. En même temps, un compte anonyme qui pérore sur des personnes dont il lève l’anonymat, ça aussi c’est de la pensée complexe.
Christophe et la droite encore plus de droite
Vous vous en souvenez probablement, lorsque Serge Babary a décidé en 2017 que la mairie n’était plus d’un assez grand intérêt et qu’il valait mieux partir sous les ors du Sénat, une guéguerre de succession fratricide avait opposé le très filloniste Xavier Dateu à Christophe Bouchet et à l’issue d’un match-nul, sans jeu de mots, c’est l’ancien directeur de l’OM qui a obtenu le siège de maire, au bénéfice de l’âge, comme le prévoit la règle. Parti bouder dans son coin, M. Dateu n’a pas mâché ses mots ces derniers mois, rejoint par l’élue LR en charge du commerce, Mme Céline Ballesteros, après sa démission fracassante. Dès lors, les mots doux ont succédé aux déclarations bienveillantes.
Mais que les électeurs les plus huppés se rassurent, désormais, tout cela est oublié. Après un score inférieur à la barre des 5%, Xavier Dateu donne le cap :
Christophe et le grand écart
Après l’échec pour obtenir l’investiture LREM et le score assez faible au premier tour de mars dernier, Christophe Bouchet a du se résoudre à faire des choix drastiques pour tenter de sauver les meubles. Ainsi, la constitution d’un large front de la droite, allant de LREM jusqu’à la Manif’ pour Tous était censé constituer le rempart ultime – nous verrons dimanche s’il ne s’agissait pas davantage d’une ligne Maginot – contre la liste « pastèque » d’Emmanuel Denis, « verte dehors, rouge dedans », si l’on reprend ce bon mot de droite qui circule dans la majorité. Bien sûr, cette stratégie provoque des dégâts collatéraux, notamment auprès de la « branche gauche » de LREM, incarnée par le milieu associatif LGBTI et par des travailleurs sociaux, branche largement écrémée dans la liste définitive de Christophe Bouchet. Sauf que ces quelques personnes sacrifiées sur l’autel de la droite unie – par exemple Mickael Achard – n’ont pas quitté poliment et en silence la scène, dénonçant la présence dans la liste du maire sortant de Cécile Chevillard, d’Edouard de Germay et de Thibault Coulon, soutiens inconditionnels de la Manif’ pour Tours et du « une famille c’est un papa et une maman ». Face à cela, Christophe Bouchet parle juste de différentes sensibilités, comme dans une grande famille… On a hâte de voir l’ambiance aux repas de Noël.
Magie de l’Internet, des militants ont gardé trace des positions si « progressistes » et « humanistes » de Mme Cécile Chevillard en Conseil Municipal. Et en dessous, la réaction du centre LGBTI de Touraine…
Christophe et ses amis un peu moins de droite
La fusion avec la liste du LREM Benoist Pierre – moins de 13% au premier tour – a permis aux archéologues des réseaux sociaux d’exhumer quelques commentaires bien sentis de marcheurs, au sujet du mandat de Christophe Bouchet. Celui qui s’est le plus distingué dans cette discipline qui confine au sublime est le directeur de campagne et porte-flingue de Benoist Pierre, désormais tout en haut de la liste d’union des droites, pressenti pour occuper le poste d’adjoint aux finances en cas de victoire dimanche, Pierre Commandeur. Et le monsieur sait poser l’ambiance, ayant lui-même saisi le Tribunal Administratif au sujet de certains projets de Christophe Bouchet, en tant que membre de l’opposition municipale à l’époque. Admirez le sniper.
Cependant, le premier de cordée local, Benoist Pierre n’était pas en reste non plus, il n’y a pas si longtemps.
Pour bien saisir l’ambiance dans la liste de l’union de la droite, voyons aussi ce que les LR-bon teint pensaient d’Emmanuel Macron jusqu’à peu, notamment à travers les analyses de l’excellent Jérôme Tébaldi, adjoint au rayonnement, à l’éclairage public et aux animations commerciales.
La paroxysme de cette touchante amitié réside dans l’intégration de Barbara Darnet-Malaquin dans la liste de Christophe Bouchet pour le second tour…alors que cette dernière avait démissionné de manière tonitruante en janvier 2019, accusant M. Bouchet de l’avoir traitée de « pourrie » en Conseil Municipal, ce dernier plaidant le quiproquo alors qu’il relevait un vote et aurait dit « Mme Darnet-Malaquin, pour oui ». Finalement, l’ancienne adjointe à l’éducation et la petite enfance a fait un passage éclair sur la liste de Benoist Pierre entre-temps. Du reste, lors du débat sur Tv-Tours le 24 juin, M. Bouchet balayait la critique d’un revers de main, « il ne s’agit que de chamailleries, comme on peut en avoir dans un couple ». Ces gens-là sont d’une résilience qui force le respect.
Et gourmandise ultime, le commentaire de Pierre Commandeur à l’époque, avant que Mme Darnet-Malaquin n’intègre LREM et que les deux se retrouvent sur la liste de C. Bouchet.
Christophe et la communication institutionnelle
Pour finir, petit florilège de la trouble frontière tant arpentée par Christophe Bouchet depuis quelques mois, celle de la ligne de crête entre discours de maire et discours de candidat. Parfois, la communication institutionnelle permet de faire la promotion du candidat, par exemple sur le magazine municipal ou sur la page Facebook de la Mairie.
D’autres fois, c’est le candidat qui a tendance dans sa com’ à beaucoup jouer la carte « Môssieur le Maire », par exemple dans ce courrier envoyé aux électeurs cette semaine – avec parfois de gros loupés comme l’envoi à des personnes décédées depuis des années – ou alors dans cette vidéo où Christophe Bouchet est au volant de ce que des membres de la liste adverse considèrent être une Renault Zoé de la Mairie…
Mais soyons beaux joueurs : je tiens à remercier cette majorité qui aura su être une muse surprenante et assidue ces six dernières années. Mais bon, les meilleures choses ont une fin.