Il y a quelques mois, nous avions laissé la fondation Verdier – structure locale qui accueille les mineurs placés par la Justice pour les éloigner d’un noyau familial qui dysfonctionne – lorsqu’elle fermait sa maison éducative à caractère social (MECS) à Artannes, en catimini, au cœur de l’été, redéployant en urgence les enfants et les salariés dans ses autres unités de Tours. Cette décision soudaine de fermer une unité qui, de l’avis de tous, fonctionnait bien, répondait en réalité à la crise financière que traverse l’association depuis 2018. C’est un des effets du choix fait par le Conseil départemental 37 de mettre en concurrence les acteurs historiques du secteur afin d’en rationaliser l’organisation tout en comprimant les coûts, et ce, à l’heure de la stagnation des rentrées fiscales et de l’explosion de dépenses liées à l’arrivée importante de mineurs non accompagnés (MNA).
Cependant, après la fermeture d’Artannes en août, rien n’était véritablement réglé, la fondation essuyant un déficit structurel de 60 000 euros mensuels, essentiellement causé par une sous-dotation du Conseil départemental qui ne couvre un budget que de 110 places d’accueil pour mineurs placés alors que Verdier a des capacités pour environ 145 places. Charge à cette dernière de « trouver » dans d’autres départements des jeunes à accueillir, avec le financement qui va avec. Seulement voilà, difficile d’avoir de la visibilité et de la stabilité dans cette bourse permanente au jeune et les places vacantes pèsent lourd sur la trésorerie de Verdier, même si depuis peu, 22 places fixes ont été conventionnées avec le Loire-et-Cher et la Mayenne. Pour autant, à l’automne, après quelques semaines de rumeurs, la nouvelle tombe discrètement lors d’un conseil d’administration : le déficit annuel avoisine les 500 000 euros et un plan de licenciement économique est voté, concernant trois emplois, deux cadres et un agent technique. Et cela, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg de la situation sociale de la fondation.
En effet, depuis quelques mois, la réorganisation du travail chez Verdier fait des dégâts : augmentation des arrêts maladie, départs de nombreux éducateurs, souvent avec de l’ancienneté, vague de demandes de ruptures conventionnelles, mobilisation syndicale et médiatique. « Tout ça, ce n’est que la suite logique du processus d’absorption de la Fondation par la Croix-Rouge, qui s’accélère avec la perspective de sa finalisation en juin 2021, après avoir été reculée plusieurs fois », confie une salariée. Car la mise en concurrence des acteurs, orchestrée par le Conseil départemental, a abouti à une recomposition du paysage local de la protection de l’enfance, avec l’arrivée de mastodontes de l’associatif qui s’intéressent à ce secteur pour diversifier leurs activités et implantations géographiques. Du reste, l’avènement des entreprises sociales et solidaires (ESS) et des leaders historiques de l’associatif, comme le groupe SOS ou la Croix-Rouge française, n’a fait que renforcer la logique de compétition et de marché dans la protection de l’enfance. Sommée de s’adapter ou de disparaître, Verdier a fini par négocier avec la Croix-Rouge qui est devenue gestionnaire de la fondation depuis fin 2018, facturant d’ailleurs ces services 60 000 euros par an, avec l’idée d’auditer et de réformer la structure avant de valider ou pas son absorption définitive.
Pourtant, en octobre dernier, lors de la venue à Tours de la directrice territoriale de la Croix-Rouge, Mme. Véronique Folch, cette dernière se voulait rassurante, garantissant que les salaires resteraient stables et qu’aucun plan de licenciement ne serait demandé. Mais, depuis, silence radio. Des élus socialistes au Conseil départemental font d’ailleurs état tout récemment de rumeurs sur des tensions de plus en plus fortes entre la direction de Verdier et la Croix-Rouge…

Toujours est-il que le travail a bien changé à Verdier, dès 2017, en fait. À cette époque, la réforme de l’aide sociale à l’enfance (ASE) – ex-DDASS – , instrument du Conseil départemental pour gérer la protection des jeunes en carence matérielle, affective et éducative, avait déjà commencé à opérer un glissement généralisé des compétences des acteurs de la communauté éducative. Les éducateurs spécialisés référents ASE des jeunes accompagnés ou placés se sont éloignés peu à peu du terrain, se concentrant sur les aspects administratifs, procéduraux et budgétaires, délégant aux éducateurs spécialisés qui suivent les jeunes au quotidien des fonctions additionnelles, renforçant l’influence de leurs rapports rendus aux juges aux enfants qui statuent sur les mesures éducatives et de placement. « Cette double casquette de juge et partie me met très mal à l’aise », confie un éducateur expérimenté. « Avant, on faisait le travail classique, partager la vie quotidienne des jeunes dans le groupe, gérer l’école et les activités périscolaires, aider les jeunes à s’autonomiser. Mais maintenant, je vais de plus en plus chez les parents, je fouine dans leur budget et dans leur logement, pour évaluer s’ils peuvent accueillir leur enfant de nouveau. Je passe beaucoup de temps à travailler les écrits transmis au juge, qui suit presque toujours les préconisations des éducs, ça nous donne beaucoup de poids et de responsabilités, ça brouille le message aux familles et ça nuit à la confiance, sans parler du temps en moins passé avec les jeunes ». « En plus, depuis peu, on doit suivre 6 jeunes et non plus 4. Dans chaque groupe de 12 jeunes – la taille classique chez Verdier – on avait trois éducateurs spécialisés, maintenant on n’est plus que deux. Résultat, on est moins présents et on n’est presque jamais à deux éducateurs, difficile dans ces conditions d’échanger au sujet des gamins qu’on suit. Pire, les temps de réunion d’équipe ont diminué, là aussi pour faire des économies. On est passé de 5h30 hebdo à 2h30 et une fois la gestion des plannings des jeunes expédiée – loisirs, sorties, rendez-vous médicaux ou administratifs – il ne reste même pas une heure pour discuter avec les collègues et le psy de l’évolution des gamins dont on s’occupe, encore moins de leur projet éducatif. ».
Une autre éducatrice poursuit : « En fait, avec la pression financière qui nous est mise par le Conseil départemental et par ricochet par la Croix-Rouge et par la direction de Verdier, toutes les fonctions ont glissé. Certains de nos cadres qui avant venaient sur les groupes animer les réunions et suivre aussi le quotidien des jeunes restent désormais au bureau à gérer les plannings des équipes qui sont devenus de véritables casse-tête avec le sous-effectif. On a nommé parmi des éducateurs quatre coordinateurs qui touchent une prime de 150 euros par mois et qui animent désormais les réunions et visent nos écrits avant leur transmission aux cadres et à l’ASE puis aux juges. Ils suivent en parallèle 24 jeunes, se partagent des astreintes délirantes et doivent assurer des horaires de bureau, peu compatibles avec la réalité du suivi des jeunes. Ça met un peu le bazar parce que ce sont des collègues et pas nos supérieurs, alors ça flotte un peu dans les missions concrètes de chacun ». « Dans les groupes, on a embauché des moniteurs-éducateurs formés à Bac+2 et payés 1300 euros par mois en début de carrière, ils font souvent office d’éducateurs, partageant le quotidien des jeunes mais aussi en produisant des écrits, ce qui est assez nouveau. Et puis, on a de plus en plus de maîtresses de maison, payées au SMIC. Avant, elles s’occupaient du ménage, du linge, de tous les aspects matériels de la vie des jeunes, mais maintenant, on leur a donné des missions éducatives, sans aucune formation, avec des horaires décalés, le tout pour 1200 euros par mois. Il y a un gros turn-over… qui accepte de travailler dans ces conditions, pour une telle somme, franchement ? En plus, la reconfiguration des équipes pose des soucis d’organisation, de communication, de procédures et de cultures communes de travail. Avec des cadres qui restent au bureau, le management est presque inexistant et ça pourrit les relations au travail petit à petit, et là encore, la pression retombe en partie sur les éducateurs spécialisés qui prennent sur leur temps de travail voire sur leur temps libre d’essayer de résoudre les problèmes du quotidien, sans que cela fasse partie de leurs missions, à la base. D’autres décident de partir, découragés. En tout cas, il est fini le temps où travailler chez Verdier était synonyme de participer à un vrai projet éducatif reconnu, avec de bonnes conditions de travail. Les vieux éducs partent, remplacés par des jeunes sortis de l’école, royalement payés 1400 euros par mois, quand on ne préfère pas blinder les équipes avec des stagiaires ou des gens en CDD, parfois reconduits pendant des années, avec la vague promesse d’une embauche en CDI ». « C’est vraiment une machine à frustration à tous les niveaux, le sentiment d’échec et d’inefficacité est permanent, les redéploiements jouent sur le moral et nuisent au quotidien, et puis on est épuisés, le travail s’est intensifié et les conditions se dégradent, on n’a plus le temps de rien» complète un plus jeune éducateur de Verdier, « on compense les manquements de l’organisation par un sur-investissement personnel, mais ça peut pas tenir. Vingt éducs sont partis en deux ans, c’est n’importe quoi ! ». « Alors en plus, quand on a appris qu’il n’y aurait pas l’argent de la prime Covid de 1000 euros prévue par le gouvernement et que le Conseil départemental traînait des pieds pour en verser une partie, ça a été l’humiliation de trop pour moi. »
Chez certains cadres que j’ai pu rencontrer, le malaise est tout aussi palpable. « Le manque de visibilité fait beaucoup de mal, on ne sait pas par exemple quel va être le sort du service placement familial renforcé et du service de suivi extérieur renforcé qui s’occupent du suivi d’adolescents et de jeunes adultes en grande difficulté. Pour l’instant, on bricole, mais les collègues en ont marre. Certains attendent toujours une promotion promise depuis des années, d’autres ont choisi de partir». Certains cadres très expérimentés sont moins tendres : « on paye aussi le fait d’avoir un conseil d’administration très béni oui-oui qui valide toujours ce que propose le directeur, M. Philippe Collin. Ce sont des bénévoles dévoués et sympathiques mais les budgets en jeu et la complexité de l’activité méritent davantage d’expertise et de suivi. Les conditions de l’absorption de Verdier par la Croix-Rouge se fait dans des conditions assez opaques, et les politiques ne se saisissent pas spécialement de ces questions. Lors du CA où a été annoncé le plan social, seul un élu de la ville de Tours [M. Maxence Brand de la France insoumise-ndlr] s’est abstenu et a décidé de suivre la situation et de rencontrer les acteurs, mais l’élue déléguée à la protection de l’enfance au Conseil départemental, Mme Valérie Turot [également élue très droitière à Joué-les-Tours-ndlr], n’est même pas venue ». Un membre du conseil d’administration confirme : « on reçoit nos convocations au CA et quelques documents, toujours vagues, sans données précises. De toutes façons personne ne pose de question, tout est voté en l’état, ça a été le cas pour le plan social et aussi pour les budgets présentés ».

Un excellent connaisseur de la protection de l’enfance dans le 37, toujours en poste dans une association historique du secteur et qui souhaite garder l’anonymat analyse : « Il y a eu des mauvais choix à Verdier, c’est vrai. Acheter le site d’Artannes a été une erreur, c’était surdimensionné et il y avait trop de travaux à réaliser pour mettre aux normes, ça a plombé les comptes de la fondation et il fallait le fermer. Mais ce n’est pas ça qui explique la réorganisation interne depuis des années. En fait, il y a un problème de gouvernance à tous les niveaux, et des problèmes de personnes, clairement. En 2018, lors du vote par le Conseil départemental d’un nouveau schéma de la protection de l’enfance, c’est un cabinet de conseil extérieur qui a mené la réflexion. Les associations, les magistrats, les experts locaux n’ont pas été entendus, on a eu l’impression que tout était joué et que les conclusions étaient écrites d’avance. On a pris la question sous l’angle budgétaire et de la rationalisation, alors même que la protection de l’enfance ne peut pas rentrer dans des cases simplistes. Réorganiser la répartition géographiques des foyers dans le département était indispensable, mettre fin a certains excès dans le secteur, dans la gestion du patrimoine immobilier par exemple, était pertinent. Tenter de bâtir un réseau d’acteurs à la fois publics et associatifs de taille différente était une idée intéressante, pour plus de souplesse et d’expertise. Mais tout ça a été bâclé et réduit aux aspects financiers et puis, les règlements de compte personnels ont pris aussi une part trop importante dans le processus ».
En effet, il semble que le directeur de la fondation Verdier, M. Philippe Collin soit en mauvais termes avec le président du Conseil départemental, le divers-droite M. Jean-Gérard Paumier, en poste depuis 2017. Les deux hommes ont des relations glaciales qui expliquent un manque quasi-total de communication, avec des accusations mutuelles de péché d’orgueil, d’opacité et d’incompétence. De plus, pour ne rien arranger, il existe un passif entre la fondation et le CD37 au sujet du bail obtenu par Verdier pour le site de Chantemoulin à côté des Halles, passé sous le nez de Conseil départemental en 2016 et surtout, lorsqu’en 2017 les services de Jean-Gérard Paumier avaient demandé à Verdier de restituer deux millions d’euros de trésorerie, issus en partie de la vente du siège historique de la fondation à Manceau, dans le quartier très huppé de la cathédrale Saint Gatien à Tours. Interrogée sur cette question, la direction de Verdier affirme ne pas avoir eu le choix, alors même que la mise en concurrence des acteurs départementaux s’organisait en 2018 et qu’il était suicidaire de rentrer en conflit ouvert avec Jean-Gérard Paumier et passer à côté de l’obtention des subventions nécessaires à la poursuite de l’activité. Des élus au département confient d’ailleurs que le procédé est des plus cavaliers et qu’il était évident que Verdier n’allait pas saisir le Tribunal administratif pour contester ce coup de siphon financier.
« Le problème », poursuit l’expert interviewé, cadre supérieur du secteur, « c’est qu’après cet asséchement des comptes de l’asso, le Conseil départemental a pu jouer du déficit pour faire plier Verdier sans en avoir l’air. La fondation n’a plus du tout de marge de manœuvre et a dû cumuler les réorganisations, courant après un équilibre impossible, sans pouvoir investir à moins de quémander de l’argent à Paumier. »
« L’autre souci est davantage politique. Le président Paumier a une vision vraiment à l’ancienne. Pour lui, l’ASE ne devrait s’occuper que des orphelins alors que les jeunes avec des problématiques de délinquance ou de psychiatrie devraient être pris en charge par la Justice et l’Hôpital, en dehors des compétences du Conseil départemental. Paumier ne comprend pas certains dispositifs comme Cap’Ado qui suit des jeunes qui dysfonctionnent fortement ou alors les séjours de rupture au Sénégal qui servent à éloigner certains jeunes d’un environnement toxique. Pour lui, c’est du laxisme et des vacances aux frais de la princesse, niant les résultats de ces programmes portés par Verdier. Du coup, il a été séduit par la formule des PEAD (placements éducatifs à domicile) qui sont bien moins gourmands en moyens et qui privilégient la conservation du lien du jeune avec sa famille, même si ce dispositif est rarement utilisé par les juges qui décident de l’accompagnement le plus pertinent des jeunes. On a d’un côté des places en PEAD qui sont financées mais non occupées et de l’autre, des places en foyer disponibles mais non financées, c’est absurde. Le comble, c’est que Paumier sait parfaitement que Verdier dispose d’une trentaine de places vacantes que la fondation doit chercher à remplir en trouvant des jeunes dans d’autres départements, mais il est bien content de les avoir sous la main quand il y a une augmentation des effectifs dans le 37. Quand il n’y a pas de jeunes à placer, c’est Verdier qui essuie les pertes, quand il y a des jeunes, on peut leur confier le jour même, super pratique ! ». Et de continuer « tout ça, ça manque de vision politique. C’était dans la logique historique de fusionner l’association départementale de la sauvegarde de l’enfance (ADSE) et la Fondation Verdier, qui ont la même culture et qui sont complémentaires sur le territoire et dans les savoir faire, mais la mise en concurrence lors de l’appel à projet en 2018 a tout flingué. Les assos ont arrêté de discuter et chacune s’est repliée sur elle-même pour ne pas se faire bouffer. À l’issue du processus, Verdier n’a rien obtenu, alors que c’est un acteur majeur, très reconnu, personne n’a compris. Et puis finalement, rattrapage de dernière minute, la fondation a récupéré 110 places, échappant de peu à la disparition et forcée de faire appel à la Croix-Rouge qui a les reins plus solides. Ensuite, ça n’a été que du dumping social, sachant que jusque là Verdier avait la voilure pour accueillir 135 jeunes placés par l’ASE37. La fondation a dû s’aligner sur un prix à la journée en foyer de 170 euros par jeune. C’est intenable, on réduit le nombre d’adultes, on remplace des éducateurs spécialisés par des agents moins formés et moins payés et si jamais il y a des absences ou un souci, on doit faire appel à des remplaçants, et au final c’est plus cher, avec une qualité de service moindre. C’est vraiment du court terme. Avec 180 euros par jour, on peut commencer à faire les choses sérieusement et puis, quitte à parler de sous et d’investissement, il faut comparer avec des véritables échelles ! Une journée en foyer avec de bonnes conditions, c’est 180 euros, en centre éducatif fermé (CEF), pour des jeunes partis en sucette, c’est 800 euros, en hôpital psychiatrique, c’est 600. Et puis, pour ces jeunes mal ou pas du tout insérés et diplômes, ce sera le chômage, la précarité, parfois la rue ou la prison. Ils continueront à coûter cher à la collectivité plutôt que d’avoir mis des moyens durant leur jeunesse pour gommer les distorsions de la vie et leur permettre ensuite de se poser, d’avoir un boulot, de payer des impôts et d’élever dignement les gosses qu’ils auront à leur tour. On aurait tout à gagner à mettre autour de la table les acteurs du Handicap, de la Justice, de l’Éducation nationale, de l’ASE et des associations pour trouver des solutions souples qui permettent de faire face aux enjeux de la complexification des problématiques des jeunes en difficulté mais au lieu de ça, on préfère les solutions toutes faites et deux ou trois indicateurs de performance ».

Face à la crise et à la mobilisation des salariés par le biais de syndicats et de collectifs, et dans la perspective des élections départementales qui devraient se tenir en juin 2021 si le Covid n’en décide pas autrement, les événements se sont accéléré ces dernières semaines. En effet, Jean-Gérard Paumier, candidat à sa propre succession à la tête du CD37 doit gérer un agenda chargé et garder la main pour éviter que le mouvement social et sa médiatisation ne vienne nuire à sa campagne. Alors même qu’il avait soigneusement évité de rencontrer les dirigeants de Verdier depuis des mois, une réunion d’urgence s’est tenue le 4 janvier dernier avec les huiles de la protection de l’enfance et la direction de Verdier. Petite anecdote – vaniteuse, il est vrai – qui montre la crispation ambiante, M. Paumier s’est plaint a plusieurs reprises de l’image que le plan social pouvait donner de lui, affirmant que les licenciements étaient indépendants de la volonté du CD37 et qu’il était « lassé de se prendre des scuds de pseudo-journalistes comme Joséphine Kalache ».
En fait, Jean-Gérard Paumier a plusieurs fers au feu : d’abord, il doit renforcer sa position dans « son » canton qui regroupe Saint-Avertin et Saint-Pierre-des-Corps, avec les suites de la chute du Parti Communiste dans ce bastion cheminot, en s’appuyant sur sa mainmise sur Saint-Avertin dont il a été maire de 2001 à 2016 et où il tire encore largement les ficelles. Tout aussi urgente est la constitution d’une future majorité solide, car Paumier a quitté LR en se faisant pas mal d’ennemis auprès des élus de ce parti dans les cantons de Tours qui ne ratent pas une occasion de lui tailler un costard en off. Le président-candidat contourne ce problème en draguant les figures LREM du coin pour ne pas les avoir en face de lui, tout en entretenant les relations les plus cordiales avec l’actuelle opposition essentiellement socialiste qui a voté tous les budgets depuis 2017. Stratégie doublement habile car, en plus de passer pour un politique au-dessus des clivages partisans, il met une épine dans le pied du PS qui hésite à redonner l’investiture aux sortants, trop suspectés de complaisance envers Paumier. Enfin, J.-G. Paumier peaufine son réseau, notamment auprès des élus dans les cantons ruraux, d’où son retour à la présidence du centre de gestion du 37, outil d’influence incontournable en période électorale. Mais la partie n’est pas gagnée car son déficit de notoriété, son image d’ancien jeune loup du RPR avec ses amis Philippe Briand, Pascal Rivet et Jean-Yves Couteau, tous ayant commencé leur carrière auprès d’André-Georges Voisin, président du Conseil général d’Indre-et-Loire de 1970 à 1992 ; sa carrière ensuite de cadre chez France Télécom ; son retour au Conseil général cette fois en tant que directeur général des services tout en se gérant la succession de Robert Pouzioux à la tête de la mairie de Saint-Avertin… Tout ceci fait de M. Paumier un très habile manœuvrier qui reproduit le modèle du baron local de l’ancien monde, mais pas un homme politique populaire, lui qui n’est devenu président du CD37 en 2017 qu’à la faveur du décès du président de l’époque, J.-Y. Couteau.
Jean-Gérard Paumier sait qu’il joue assez gros sur la crise à Verdier et que des images de manifestations devant ou dans le Conseil départemental, comme en 2018, feraient désordre, surtout avec une presse locale qui semble miraculeusement se saisir de la question depuis peu. Il sait aussi que sa stratégie d’appel à projets et de mise en concurrence dans la protection de l’enfance est un échec, et que les rares départements où ce choix a été fait regrettent désormais amèrement, par exemple dans le Maine-et-Loire, allant jusqu’à provoquer la rupture du député médiatique Matthieu Orphelin avec LREM, sur cette question précisément. Paumier sait enfin que le sujet est piégé : même si le budget de la protection de l’enfance a augmenté de 12 millions d’euros en quelques années, c’est une augmentation en trompe l’œil qui prend en compte des investissements pour des rénovations immobilières et la mise à l’hôtel pour 60 euros par jour sans autre forme d’accompagnement de centaines de mineurs non accompagnés âgés de 16 à 18 ans. En réalité, il y a une trentaine de jeunes qui n’ont pas de placement adapté dans le département, même s’ils sont officiellement moins de dix, les vingt autres jeunes naviguent de famille d’accueil en famille d’accueil, sans aucune stabilité, par un bien triste jeu de chaises musicales. M. Paumier sait également qu’avec les suites du Covid, les surcoûts liés aux contraintes des protocoles sanitaires pour les structures d’accueil et surtout la hausse catastrophique des violences intra-familiales pendant le confinement, les besoins en placements vont exploser, ainsi que les coûts afférents. Et puis, certains élus et même l’archevêché se sont inquiétés de la situation, et bien sûr, il s’agit de ne froisser personne pendant une campagne…

Pragmatique de réputation et dur à la négociation, Jean Gérard Paumier a finalement sifflé – pour l’instant – la fin de la partie, début février. Après avoir reçu les membres du comité économique et social (CSE) de Verdier, inquiets du plan de licenciement, une réunion plus technique a eu lieu le 14 janvier dernier et, sur décision spéciale du 12 février, le Conseil départemental a décidé de couvrir presque tout le déficit annuel de la fondation Verdier, de l’ordre de 400 000 euros et de garantir le financement exceptionnel de 32 places supplémentaires pour faire face au contexte de cette année 2021. Dans la foulée, le directeur de Verdier, Philippe Collin a confirmé par un courrier aux salariés que le plan de licenciement était suspendu, tout en montrant bien la précarité de la situation, les perspectives pour 2022 étant encore bien floues.
De leur côté, après s’être mobilisés massivement et efficacement, les syndicats ne sont pas vraiment soulagés. Ils continuent de critiquer la gestion de Philippe Collin qui, depuis 2018, a tendance à tout porter seul, à cloisonner les informations et à maintenir un climat de rupture avec Paumier. Pire, « depuis l’automne, l’attitude de Collin est devenue très bizarre. Jusque là il nous disait régulièrement qu’il mettrait sa démission dans la balance si c’était trop compliqué, les négociations avec le CD37 et il était question qu’il parte rapidement à la retraite, laissant sa place à son actuel adjoint, mais depuis une série de réunions avec la Croix-Rouge, ça a changé et on a compris qu’il ferait tout pour rester. A l’annonce du plan social, il a sorti le grand jeu, en faisant des tonnes sur le fait qu’il n’en dormait plus et qu’il avait des poussées d’eczéma. Pourtant, sa manière de présenter les budgets au CA et au CSE, en ne comptant pas certaines sources de revenu ou certaines économies réalisées – la masse salariale a été réduite avec les départ de salariés qualifiés et avec de l’ancienneté – n’a fait que gonfler artificiellement le déficit et légitimer d’autant plus le plan social. Le CSE de Verdier a alors tenté de proposer des alternatives au plan social et a saisi un expert-comptable qui concluait à un déficit passager et non structurel qui ne nécessitait pas de plan social. Et l’expert-comptable a considéré qu’il était fort probable que tout ce cirque ait répondu à l’objectif de Collin d’évincer son adjoint », analyse un salarié syndiqué.
Pour parfaire la situation, l’opacité de la stratégie de la Croix-Rouge qui est soupçonnée par certains de vouloir purger les comptes de Verdier et de faire faire le sale boulot à l’actuelle direction, dans le but d’absorber la fondation une fois assainie en juin, rend peu sereins les personnels. Paumier, lui, tente de gagner du temps et de renvoyer la résolution du problème financier à 2022, une fois les élections passées, avec l’espoir de régler définitivement le « problème Verdier ». D’ailleurs il transpose cette recette pour d’autres structures déficitaires, par exemple Action enfance, elle aussi renflouée à hauteur de 500 000 euros il y a quelques semaines. L’opposition, enfin, semble sortir peu à peu de sa torpeur et se mobilise, interpelle J.-G. Paumier, demande un audit social des associations qui œuvrent dans la protection de l’enfance et soulève le débat en commission affaires sociales. Elle semble enfin comprendre que tout ne se joue pas dans des tableurs excel de projections budgétaires et ce, alors même que la gauche dans le 37 semble incapable d’avoir une stratégie claire pour tenter de reprendre le département à la droite.
Et bien sûr, pendant que Jean-Gérard Paumier s’achète un an de répit pour préparer les élections, les conditions de vie et d’encadrement des jeunes placés à Tours, déjà partis avec peu de chance dans la vie, empirent à cause de considérations comptables décidées par des élus bien éloignés de la réalité et de l’intérêt général.
PS : Toutes les illustrations ont été réalisées par Coco Roupie, un grand merci à elle. Son travail est ici ou ici
Très intéressant…
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Merci beaucoup pour ce article très instructif sur les jeux de pouvoir entre Verdier, CD37 et la Croix rouge.
La politique est décidément un sport de roitelets cyniques et arrivistes.
Et en bout de chaine, on a des personnels et des jeunes qui souffrent, pour lesquels il est capital de mettre les moyens humains et financiers de façon pérenne.
N’existe-t-il pas d’audit public de l’échec de la stratégie de Paumier ?
Quelles actions peut-on mener pour faire peur à ces gens ? Interpeler des députés ?
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J’ai lu cet article avec beaucoup d’intérêt, découvert en détail des choses que je ne connaissais pas. Que des jeunes qui démarrent sans beaucoup de chance dans la vie subissent les conséquences de quelques élus bien éloignés de la réalité et de l’intérêt général appelle à un changement urgent. Les témoignages précieux des personnels ( éducateurs, cadres…) montrent tout le mal- être inhérent à la situation.
PS: on appréciera les magnifiques dessins aquarellés de Coco Roupie qui illustrent le texte
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