Après une pause forcée pour cause de Covid et un premier décalage du calendrier des élections régionales – repoussées de mars à juin 2021 – , les équipes semblent enfin se lancer officiellement dans la campagne, même si toutes restent suspendues aux lèvres d’Emmanuel Macron, qui n’a pas écarté l’idée d’un nouveau report, si les conditions sanitaires l’exigeaient. En Centre-Val-de Loire, région tenue par la gauche depuis 1998, le panorama politique pour ce scrutin pose un certain nombre de questions stratégiques, avec la présidentielle de 2022 en ligne de mire et des enjeux sociaux, économiques et écologiques urgents à prendre en compte. Et pourtant, loin de tirer les enseignements de ces dernières années, les formations de la gauche et de l’écologie s’apprêtent à partir une nouvelle fois en ordre dispersé pour la bataille, risquant une défaite historique.
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Avant d’analyser la stratégie – ou plutôt l’absence de stratégie – de la gauche, jetons un coup d’œil du côté de l’opposition régionale, assez discrète dans l’hémicycle depuis six ans mais qui sort de sa léthargie à l’approche d’échéances fatidiques…
Chez Les Républicains, le très droitier député du Loir-et-Cher et numéro 2 du parti, Guillaume Peltier, passé par Le Pen, Mégret et de Villiers – admirez le pédigrée à même pas 45 ans – a finalement décidé début février, à la surprise générale, de laisser sa place de tête de liste à Nicolas Forissier. Ce dernier, baron local dans l’Indre, un temps secrétaire d’état à l’agriculture sous Raffarin, est député d’Issoudun et cadre dans les instances nationales du parti, défendant une ligne Sarkozy-Wauquiez qui pose bien l’ambiance… Peltier, dans l’expectative des présidentielles, préfère attendre de voir comment se présentent les choses, des fois qu’un strapontin ministériel se libère au printemps 2022. Il convient donc de ne pas se griller en prenant une veste aux régionales et puis, le profil très classique-agri-chasseur-friendly de Forissier permet de garder la maison bien à droite dans le Val de Loire.
A LREM, c’est une candidature de Marc Fesneau qui se profile depuis quelques mois. Ce pur produit de la technocratie parisienne issu de Sciences Po avec une coloration « agri » s’est ancré dans le Loir-et-Cher depuis bientôt 25 ans. Cadre du Modem, il a reçu l’investiture LREM en 2017 pour se présenter à la députation à Blois, avant de devenir ministre délégué à l’automne 2018. Souffrant d’un déficit de notoriété, plombé par l’image de LREM dans l’opinion publique, la dynamique ne semble pas du côté de Fesneau, qui ne bénéficie pas non plus d’un réseau d’élus locaux pour structurer sa campagne, mis à part quelques députés macronistes de la région, qui tentent de limiter la casse, tel Daniel Labaronne dans le 37. Ceci dit, selon un vieux routard du Conseil régional « ll faut quand même se méfier de Fesneau, il bénéficie du soutien de Jacqueline Gourault, et elle, elle a du réseau et de l’influence. Elle est implantée dans le 41 depuis 30 ans, très proche de Bayrou, elle a été maire, conseillère régionale, départementale, président de l’agglo de Blois, sénatrice, vice-présidente de l’association des maires de France et vice-présidente du Sénat, avant de finir ministre sous Macron… De toutes façons, historiquement, c’est une région où la droite UDF est plus implantée que la droite RPR, c’est assez habile d’avoir privilégié le Modem, Fesneau peut même devancer Forissier, à mon avis ».
Pour le RN, c’est un trentenaire, Aleksandar Nikolic, implanté dans cette terre de droite qu’est l’Eure-et-Loir, qui sera tête de liste, le parti lepéniste semblant reproduire sa stratégie de mise sur orbite médiatique de jeunes premiers lisses et fréquentables, tels Jordan Bardella à l’échelle nationale. Présentant bien, issu d’un milieu populaire, passé par le Parti Communiste, conseiller municipal d’une petite ville, Aleksandar Nikolic a permis de résoudre la difficile équation des investitures : Philippe Loiseau, tête de liste en 2015, a été sanctionné pour son absentéisme chronique au Conseil régional, Michel Chassier, le chef de groupe RN a largement passé l’âge de la retraite et Mathilde Paris, la petite jeune qui monte, est bien trop proche de Marion Maréchal. La campagne est comme d’habitude minimaliste, on distribue des tracts avec des photos de Marine Le Pen sur les marchés, on ne fait pas trop de vagues, on évite les dérapages et les sorties trop racistes et on compte bien recueillir 30% des voix, histoire de booster le moral de Marine pour 2022, elle qui semble un peu accuser le coup ces derniers temps. Et puis qui sait ? Une bonne campagne, un contexte favorable à la fin de printemps et le RN peut réaliser l’exploit : remporter sa première région et s’offrir une terrain d’expérimentation pour préparer la présidentielle…
Ce panorama de la droite, inquiétant vu les personnalités engagées mais également suffisamment repoussant pour mobiliser la gauche tout en étant assez morcelé pour donner des chances de victoire les 13 et 20 juin prochains, doit prendre aussi en compte les stratégies nationales de ces partis pour les présidentielles. LREM et LR se regardent en chien de faïence, la tactique de droitisation d’Emmanuel Macron depuis des mois visant à réduire l’espace politique entre lui et Marine Le Pen pour empêcher l’émergence à droite d’une candidature nuisible à sa réélection alors que la gauche tisse elle-même sa défaite par un trop plein de candidatures. Sauf que cette stratégie souffre d’une double limite : d’une part, elle ne permet pas l’émergence de majorités LREM fortes dans les collectivités territoriales en focalisant toute l’attention sur le chef et l’élection présidentielle, d’autre part, nombre d’élus LR et LREM souhaitent un rapprochement qu’ils considèrent comme naturel, pour ne pas laisser un boulevard à la gauche. On l’a vu récemment à Tours lors des municipales quand la droite de Christophe Bouchet et LREM de Benoist Pierre ont fusionné au deuxième tour pour tenter de garder la ville, montrant la proximité de leurs programmes, à défaut d’une véritable entente… avec une lourde défaite à la clef, du reste. Pour les Régionales, il semble acquis que Fesneau et Forissier feront campagne chacun de leur côté, mais la raison l’emportera probablement au second tour avec une fusion, sous la pression des membres des listes qui ne voudront pas faire les frais de la stratégie de leurs appareils nationaux. Sans même parler de ceux qui ont perdu leur poste dans les exécutifs municipaux en juin dernier et qui essayent de se recaser, par exemple Marion Nicolay Cabanne et Jérôme Tébaldi, défaits à Tours et qui font le planton pour figurer sur la liste de Forissier.
« Je pense que le retrait de Peltier répond aussi à la stratégie de fusionner les listes LREM et LR au second tour, et ce sera bien plus simple avec une personnalité de moins d’envergure comme Forissier à droite…qui n’a pas le passif de prises de positions virulentes contre Macron, contrairement à Peltier. Comme ça, avec la fusion, ils pensent faire ensemble le plein des voix dans le 28, le 36 et le 41, limiter la casse dans le 37 et le 45 et prendre la Région », confie un vieux routard de la politique qui se dit « effrayé et pas très optimiste pour la gauche… ». Et un élu actuel de la majorité de renchérir : « le RN va gagner la Région. Ils ont fait 31% la dernière fois. Les fusions LREM /LR et Ps /écolos, si elles se font, ne seront pas efficaces et si elles ne se font pas, en quadrangulaire, le Rn est certain de gagner ». Est-ce si alarmiste, au final ? Avec le forfait de Peltier qui pouvait séduire une frange de l’électorat RN, la campagne va se déporter vers le centre, renforçant l’abstentionnisme dans les franges les plus à gauche et le reportant certaines voix LR vers le Rassemblement National. Et en cas de triangulaire, si le parti lepéniste bénéficie d’une bonne dynamique, il peut arriver à 33%, ce n’est pas juste un scénario catastrophe.
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De son côté, la gauche, conformément à une tradition désormais centenaire, part en ordre dispersé pour la bataille, alors même qu’elle tient la Région depuis 1998, fait assez rare pour être souligné.
Pourtant, tous les candidats, la main sur le cœur, jurent que « l’union de la gauche, c’est dans leur ADN, c’est le combat d’une vie, un rêve d’avenir ». Les candidats s’apprécient tous et ne tarissent pas d’éloges les uns envers les autres, se connaissant par ailleurs souvent depuis vingt ans et ayant travaillé ensemble dans différentes configurations de majorité régionale. Tous se disent « inquiets par la montée de l’abstention, par le péril du Rassemblement National, par les enjeux écologiques et sociaux, désireux de proposer un véritable projet progressiste » pour la prochaine mandature. Le discours est également extrêmement homogène au sujet de l’intégration de la fameuse « société civile » dans le processus de construction des programmes et de constitution des listes. L’écologiste Charles Fournier a lancé depuis l’année dernière des Comités d’Initiative dans toute la région, réunissant de simples citoyens et personnes non-encartées. Dans la foulée, François Bonneau a dégainé sa Fabrique Citoyenne reproduisant là encore un processus à la mode depuis 2017, accéléré par la crise des Gilets Jaunes et observé à Tours pour les municipales, avec les Cogitation Citoyennes cornaquées par EELV et En Avant Tours, porté à bout de bras par le PS local.
Le discours est également identique au sujet de la stratégie : « en fait, la nature même de l’élection, avec une forte dose de proprotionnelle favorise la profusion de listes au premier tour. Celles qui font entre 5% et 10% peuvent fusionner avec les listes qui dépassent les 10% et qui peuvent se maintenir au second tour. Comme ça, chacun compte ses troupes et il est plus simple d’établir un rapport de force à l’intérieur de la future majorité pour négocier un contrat de gouvernement », témoigne un membre du cabinet de la présidence de la Région. « De même, la possibilité, voire la probabilité d’une triangulaire, avec la présence du RN au second tour, serait de nature à favoriser l’élection du candidat de gauche qui se maintient et cela aiguise les ambitions, avec potentiellement un scénario à la poitevine où une union de plusieurs partis de gauche ont réussi à avoir la peau du maire PS sortant, en poste depuis 2008», poursuit-il. Le premier tour devient un « moment de respiration démocratique » où « chaque citoyen peut voter pour le projet le plus pertinent » et ainsi « avoir pour le second tour un état des forces qui permet de négocier des fusions au plus près des réalités électorales ». « Au premier tour on vote avec le cœur, au second avec la tête », répète-t-on à l’envi dans les partis de gauche qui s’appuient sur toutes les élections régionales depuis 1998 lors desquelles le PS, EELV et le PCF constituaient des listes au premier tour puis fusionnaient avec celle arrivée en tête, donnant systématiquement la présidence aux socialistes.
Partant de ces constats partagés, en coulisses, les choses se jouent en fait depuis des mois et on assiste ces derniers jours à une clarification des stratégies, après une période de poker menteur.
Le PCF a bien retenu la leçon de 2015, lorsqu’il était parti seul et n’avait recueilli que 4,6% de voix, échouant à pouvoir fusionner sa liste avec celle du PS et n’envoyant donc pas d’élus au Conseil régional. Cette fois, les communistes ont réfléchi à deux options : soit ils participent à la liste de François Bonneau dès le premier tour, soit ils font liste commune avec LFI, se partageant les places, avec la communiste Sylvie Dubois en tête de liste et l’option de fusionner au second tour avec la liste PS et/ou EELV. Les militants du PC étaient appelés à se prononcer sur cette question stratégique le 13 mars mais déjà en off, nombre de cadres du parti confiaient qu’ils privilégient une alliance avec le PS car ils lorgnent assez fortement vers le portefeuille des transports, compétence qui leur a été souvent dévolue dans les majorités régionales. [Et en effet, au terme du vote des communistes de la région, c’est bel et bien l’union avec le PS qui est choisie, mais un appel est lancé aussi à destination de LFI et EELV pour former une alliance plus ample]
La France insoumise, pour sa part, en parallèle de la négociation avec le PCF, est sur le point de signer un accord avec Charles Fournier, afin de faire liste commune. La situation reste cependant assez trouble, la mouvement ne cachant pas ses priorités : porter la candidature de Jean-Luc Mélenchon pour 2022, déjà lancée depuis novembre dernier. L’équation est complexe pour LFI car, même si elle affirme séparer clairement les régionales des présidentielles, il est évident qu’il n’y a pas de véritable stratégie dans la région. C’est Reda Belkadi, insoumis du 41 qui est le correspondant régional du comité électoral LFI, en charge de garantir la nomination des chefs de file du mouvement, d’assurer le maintien de la ligne « le PS n’est pas un interlocuteur naturel » et de suivre les négociations avec Charles Fournier, tout en vérifiant la bonne discipline collective. De ce fait, les LFI partisans d’une union large englobant le PS, comme cela s’est fait à Tours pour les municipales, menant à la victoire et à l’obtention de postes exécutifs importants pour des Insoumis, ont été un peu mis sur la touche, même si R. Belkadi s’en défend. « On nous fait payer notre participation à la majorité d’Emmanuel Denis et on se prive de gens de qualité qui ont été élus et qui gèrent des mandats. A la place, on a deux chefs de file [Karine Fischer et Aymeric Compain] qui n’ont pas vraiment brillé lors des municipales de 2020 », témoigne un militant tourangeau. Et on ne peut lui donner tort : la première n’a même pas réussi à déposer sa liste en temps et en heure à Orléans, le second a fait moins de 4% des voix à Châteauroux… Parallèlement, LFI avait encouragé en sous-main ses membres à faire de l’entrisme dans les Comités d’Initiative de Charles Fournier pour influer sur le programme mais, quand un Insoumis participant à ces comités a été, à ce titre, pressenti pour intégrer la liste EELV, il a été sommé de choisir son camp et de se plier à la stratégie descendue de Paris : soit il est écolo et il fait ce qu’il veut sur la liste de Fournier, soit il est Insoumis et il intègre peut-être l’équipe régionale de campagne qui négocie des places auprès de… Charles Fournier. Ces cafouillages et les négociations qui s’éternisent avec EELV à cause d’«exigences disproportionnées des deux côtés » – de l’aveu d’un négociateur – « ça affaiblit les Insoumis du coin, c’est du gâchis, après tout ce qui a été fait depuis 2016…et comment va-t-on pouvoir dans ces conditions sortir de l’opposition systématique, si on ne s’appuie pas sur un réseau d’élus qui ont l’expérience de l’exécutif ? ».
Pour Europe Écologie Les Verts, menés par Charles Fournier, la dynamique est différente. Le résultat du parti aux Européennes de 2019, les succès dans pas mal de grandes villes aux municipales de l’an passé et le caractère porteur et médiatique des questions environnementales donnent des ailes aux cadres écologistes. S’ajoute à cela un sentiment croissant de frustration à force d’être réduits depuis des années à être une simple force d’appoint du PS et de ne pas peser assez, face à l’urgence de l’enjeu climatique. Chez les quinquas du parti, un vent de « notre heure est venue » souffle de plus en plus fort, portés par un certain millénarisme et par la certitude « d’avoir eu raison avant tout le monde, ce [qui] n’est jamais simple ». « La mayonnaise est retombée bien vite après le Grenelle de l’environnement de 2007, idem après l’espoir fugace porté par Nicolas Hulot en 2017, on est loin du compte, il faut passer à la vitesse supérieure et conquérir les exécutifs, on a un rôle historique, il faut assumer la prise de risque », confie un poids lourd EELV au Conseil régional. La campagne a donc débuté depuis des mois pour les écologistes, qui veulent y croire et faire ça bien. Les Comités d’Initiative, regroupant des centaines de participants, ont travaillé des mois pour construire un projet puis désigner ses propres candidats non encartés qui seront intégrés à la liste de Charles Fournier. Ce dernier a voulu constituer une large alliance, avec LFI donc, mais aussi avec des micro-partis comme Génération.s ou Ensemble, même si les négociations ont échoué avec le PCF. Le candidat écologiste assure que des pourparlers avec le PS en vue d’une fusion au second tour en fonction des résultats sont déjà en cours, même si François Bonneau reste plus pudique sur la question.

Reste donc à présenter François Bonneau, en lice pour un troisième mandat, président PS sortant, élu à la Région depuis 1998 et à sa tête depuis 2007, à la faveur de la démission de Michel Sapin, devenu alors député. Âgé de 67 ans, certains de ses petits camarades lui reprochent en off de ne pas avoir su s’effacer pour laisser la place, même si une succession naturelle ne semble pas émerger du parti, sauf peut-être en la personne de Marc Gricourt, maire PS de Blois, avec un positionnement plus à gauche que celui très soc-dem affichée par Bonneau. Toujours est-il que ce dernier rempile – il garantit même avoir été le seul candidat qui s’est manifesté auprès des instances du PS, conformément aux procédures d’investiture –, lui qui a été réélu d’extrême justesse en 2015 lors d’une soirée historique où les voix de Tours ont fait basculer l’élection en sa faveur au tout dernier moment. De nature confiante et maîtrisant parfaitement son sujet, François Bonneau confie à demi-mot que « des Verts qui font 12% à des européennes, on a déjà vu ça dans le passé, ça ne s’est pas concrétisé par grand chose derrière. On verra bien qui finira en tête dans la région le soir du premier tour, mais j’ai ma petite idée ». Et en effet, des sondages confidentiels réalisés par les partis semblent montrer une percée des Verts qui doublent leur score de 2015 en passant à 12%, mais avec un probable tandem PS-PCF encore loin devant, avec une forte prime au sortant, même si les sondages pour les régionales, à ce stade là de la campagne, ne veulent pas dire grand chose.
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Pourtant, pour les partisans de l’union de la gauche dont je suis, l’optimisme n’est pas de mise et cette campagne, avec celle de 2022 en ligne de mire a un sacré goût de gâchis et de manque d’intelligence collective.
Déjà, le scénario d’une victoire des LR, sur une ligne dure, serait une catastrophe pour la région : « baisse des aides aux associations, détricotage des politiques publiques, proximité affichée avec l’agro-business, les lobbies de chasseurs et la FNSEA, ménage dans la culture, approchée sous l’angle du rayonnement et du folklore… et puis, tout le monde se souvient en 1998 que la droite avait tenté de faire alliance avec le RN dans la région, ça en dit long sur l’état d’esprit ! » analyse un fin connaisseur du Centre Val-de-Loire, en poste au conseil économique, social et environnemental régional, organe consultatif regroupant experts et gens issus des corps intermédiaires. « Il y a un vrai risque de perdre la région, la majorité sortante prend de gros risques, et à la fin, ce sont les plus modestes qui vont payer », rajoute un de ses collègues. Et de conclure, «franchement, on les a vu encore l’autre jour [Fournier et Bonneau], ils parlent exactement pareil, disent plus ou moins les mêmes choses et sont dans la même majorité depuis 6 ans, c’est incompréhensible qu’ils n’aient pas été assez raisonnables pour gérer une candidature unique plus tôt ».
L’enjeu est donc de taille et mérite de dépasser ce fractionnement de la gauche qui reste le principal obstacle à sa victoire, dans un contexte de mutation profonde du paysage politique où l’opposition droite-gauche est en train de muer en affrontement entre libéraux et autoritaires, dans lequel la seule chose qui importe est de faire barrage ou pas au Rassemblement National. Et pour éviter une dissolution de la gauche – on a vu ce que ça donnait en 2017 et comment ça se dessine pour 2022 –, des savants paris électoraux et des déclarations vibrantes sur la nécessaire union ne suffisent pas.
Le principal problème avec la stratégie du « on y va chacun de son côté et ce sont les électeurs qui nous classent » c’est qu’elle reproduit une vie politique focalisée sur les élections, sur les stratégies d’appareil, l’ambition de certain.e.s et les accords électoraux négociés en secret pendant la campagne et finalisés la nuit des résultats du premier tour, dans l’urgence et la plus totale opacité pour les électeurs, militants et souvent même colistiers sacrifiés sur l’autel du compromis de dernière minute. Et tout ceci « fait de la région et de l’exercice du pouvoir de Bonneau une Vème république en miniature, où tout se joue à l’élection et ensuite, c’est carte blanche pour le chef de l’exécutif qui accepte ou pas de respecter les accords signés avec ses partenaires », lâche un responsable écologiste. C’est d’ailleurs ce qui a fini par arriver lors de cette mandature, des écologistes de la majorité régionale accusant le PS de ne pas avoir tenu certaines promesses réalisées lors des négociations d’entre deux tours de 2015 et d’avoir également joué des difficultés dans le financement de la campagne EELV pour faire pression lors des pourparlers… parfait pour commencer sereinement un mandat sous le signe de la collaboration et de la bonne entente.

« Une alliance bâclée d’entre deux tours, ça ne permet pas de construire des équipe solides et soudées, ayant écrit le programme ensemble, ayant partagé les moments de campagne et enfin, la victoire. Ces alliances dans l’urgence produisent plutôt méfiance et frustration, nécessitent de dire à des personnes sur les listes que finalement ce sera sans elles, sans parler du caractère improductif d’une campagne où on s’envoie des amabilités, même si on promet un pacte de non-agression », confie une personne ayant participé aux négociations de l’entre deux-tours entre le PS et EELV en 2015.
D’ailleurs, les critiques pleuvent entre PS, EELV, PCF et LFI, comme j’ai pu le constater lors de mes entretiens, sans parler de l’ambiance tendue, mi-potache, mi-agressive entre membres du cabinet et assistants des différents groupes, qualifiant tour à tour Bonneau de crypto-macroniste qui mène la région droit dans le mur écologique ou Fournier d’être un doux rêveur capricieux et inconséquent entouré de dangereux décroissants à tendance dogmatique quand ce n’est pas carrément totalitaire. On pourra minimiser et mettre cela sur le dos de l’énervement propre à chaque campagne, mais on peut y voir aussi une classe politique en vase clos incapable de dépasser son propre microcosme et prise dans des enjeux de pouvoir, d’ambition et de frustration, à mille lieux de l’intérêt des citoyens, la tête dans le guidon, ayant accumulé trop de conflits et donc incapable de gouverner sereinement après une éventuelle victoire.
L’union de la gauche, ce n’est pas un discours, ce n’est pas une manœuvre, ce n’est pas un vœux pieu de quelque hippie inconscient des problématiques engendrées, ce n’est pas non plus un vague machin que l’on active six mois avant chaque élection. C’est un processus qu’il faut faire vivre en permanence, par exemple avec un forum de débat pour faire avancer certaines idées qui pour l’instant restent des clivages non dépassés à gauche, par exemple les questions centrales du rapport à la productivité, à la technologie, à la croissance, à la montée en puissance de l’individualisme… C’est aussi dans ce forum que l’on pourra en toute transparence répondre à des questions de citoyens, plutôt que de monter d’éphémères clubs et comités pour se parer des plus belles étoffes de la démocratie directe. C’est également le lieu pour décider d’une stratégie et des candidats, par exemple avec des primaires bien organisées, au lieu de jouer aux alchimistes en faisant courir le risque de faire passer la droite et son cortège de politiques anti-sociales. Bien sûr qu’il y aura des désaccords et des déçus, mais ce sera fait en bonne intelligence et en transparence, avec un véritable espace de parole et de rencontre. Et ce dernier point est essentiel, quand, lors des interviews, je me suis rendu compte du nombre de rumeurs, d’incompréhensions, de caricatures et de stéréotypes portés par les militants et cadres des partis de la gauche du coin qui en réalité ne se connaissent pas tant.
Et c’est là que l’on se rend compte que ce gâchis, quel que soit le résultat, confine à la bêtise. Des critiques, il y en a à la pelle : caractère manœuvrier et réseauteur du PS, ce parti désormais minoritaire composé de premiers de la classe en costard souffrant d’un complexe de supériorité et dont la dérive bureaucratique et libérale dans l’exercice du pouvoir a fini par désenchanter son électorat qui n’y voit plus, au mieux, qu’une alternative à la droite ; incapacité d’EELV de sortir de son statut de parti d’opposition, éternel minoritaire, traversé de tensions entre courants et au sens stratégique de crevette grise, alors qu’une certaine grosse tête commence à poindre, certains de leurs alliés les qualifiant d’Europe Hégémonie Les Verts ; un PCF composé de brontosaures à la recherche de quelques places pour ne pas périr corps et bien, pensant encore en termes de masse et de classe ; une FI obsédée par la présidentielle et incapable de se donner les moyens de faire avancer ses idées en les confrontant au principe de réalité et de stratégie, planquée derrière un bien aisé pêché de jeunesse.

Pourtant, ce gâchis en bande désorganisée pourrait très bien se sublimer en une belle dynamique politique qui joue des complémentarités. L’expérience du PS et sa connaissance du jeu politique, institutionnel et législatif ainsi que son ancrage ancien dans les cercles d’influence, la personnalité de François Bonneau, resté fidèle à son engagement régional et avec une impeccable réputation en tant que gestionnaire et politique ; l’avant-gardisme d’EELV sur la question du dépassement du capitalisme, son expertise dans certains sujets devenus centraux et son audience auprès de la jeunesse, ainsi que le parcours de Charles Fournier issu du monde associatif et pionnier de l’économie sociale et solidaire ; le PCF et son approche des services publics et des infrastructures constituent des atouts pour penser l’avenir des équipements collectifs ; LFI, enfin, par ses relais associatifs dans tout le maillage territorial, par son image de véritable opposition de gauche au macronisme et par ses nombreux soutiens dans la jeunesse et les quartiers populaires est une alliée indispensable pour garder une boussole bien à gauche. J’ajouterais à ce processus unitaire les syndicats – CGT, FO et CFDT –, bien que les responsables avec qui je me suis entretenu préfèrent rester neutres, comme cela est la norme depuis les années 90. Et puis aussi les corps intermédiaires, en mutation depuis les années 90 et l’effondrement du bloc communiste, clairement mis sur la touche par Emmanuel Macron, qui sont des relais indispensables et historiques pour la gauche. L’absence de lien avec les différentes sensibilités de la gauche, le tropisme soc-dem et la coupure du dialogue avec les syndicats ont été les fossoyeurs d’un PS hégémonique à la sauce Hollande et ont ouvert le champ à un Emmanuel Macron issu d’un certain élitisme parisien.
Les enjeux sont clairs et vitaux, les évolutions de ces dernières années laissent peu de doutes et, mis à part les politiques professionnels et les militants, une large majorité des citoyens de gauche, lassés de voter par défaut depuis des années et de se prendre des vestes, soutiennent l’union.
Reste à savoir si l’intelligence, le sens du sacrifice pour le bien public et l’abnégation sont encore des valeurs de gauche ou si cela restera un souvenir exotique et émouvant du siècle passé. L’élection régionale en dépend, et ce sera un signal fort pour 2022 : la gauche va-t-elle continuer sa dispersion et refaire passer Emmanuel Macron, préparant ainsi encore un peu plus l’arrivée du RN au pouvoir ? Et qu’on ne dise que tout est écrit d’avance : il y a quelques heures, une liste d’union PS-PCF-EELV-LFI a vu le jour dans les Hauts de France, là où le péril est peut-être perçu de manière plus lucide.
Pas de connexion.
J avais prédit la situation de notre region et je crains que la droite passe.
Les ego
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Le contenu d’un article ne peut être détaché de son auteur c’est pourquoi j’ai bien du mal à apporter un commentaire à la lecture de celui-ci ne sachant pas qui se cache derrière ces lignes. C’est sans doute beaucoup plus pratique pour vous d’utiliser un pseudo pour donner votre point de vue sur des personnalités politiques qui assument publiquement leur engagement mais cela manque un peu d’audace et de courage. Est-ce le mode d’échange et de réflexions que vous préconisez aujourd’hui pour animer la campagne des élections régionales ? Seriez-vous donc au même niveau que cette « gauche en bande désorganisée » qui, contrairement à vous, a pourtant le mérite au moins d’assumer publiquement ses positions ?
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Oh pourtant je trouve que vous y arrivez très bien, à apporter un commentaire 😉
J’ai rencontré tous les protagonistes et simples militants de visu et mon anonymat, étant tout à fait bénévole et autonome, me sert à me protéger, ayant déjà reçu pas mal de menaces, presque toujours de politiques qui aiment bien maîtriser le contenu des articles, ce qui en dit d’ailleurs assez long.
Il est vrai qu’il est plus pratique de s’attaquer au porteur du message plutôt qu’au contenu. Ici, il s’agit juste de prôner l’union de la gauche, et n’étant pas politique, je ne fais que partager un point de vue, je n’ai pas de projet autre que celui là, et je sais que je ne suis pas la seule. C’est bien entendu limité et contestable, pas de problème avec ça, c’est pour cela que je respecte les politiques, même si je ne suis pas d’accord avec leurs stratégies.
Je vous invite à faire un tour sur le blog pour mieux saisir ce que je fais, plutôt que de le prendre personnellement. Mon article se voulait positif et finalement neutre. Vu les attaques venant de membres de tous les partis de gauche cités ici et des remerciements de simples citoyens qui ont pu y voir un peu plus clair, je considère que c’est réussi.
En tout cas, sincèrement merci pour votre engagement politique, j’espère que les choix stratégiques du CI seront les bons et que la gauche gardera la région. C’est là tout mon souhait. Bon courage pour la campagne, cordialement.
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Bravo Joséphine, ta clairvoyance semble en déranger plus d’un !
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Excellent article. Bravo. Et bien informé de surcroît.
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« …il y a quelques heures, une liste d’union PS-PCF-EELV-LFI a vu le jour dans les Hauts de France, là où le péril est peut-être perçu de manière plus lucide. »
Peut être tout simplement parce le PS est suffisamment faible pour avoir du laisser la tête de liste à des gens de gauche et écologistes. On en est encore pas là dans la région.
Si il n’y a pas de liste commune, c’est bien parce que F Bonneau est parti tout seul, dès septembre. Vous auriez pu le rappeler.
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Je lui ai dit de visu, et je suis assea d’accord sur le fait que dans le Nord l’union est plus « simple » car la gauche n’est pas sortante. Mais comme Fournier avait décidé de se présenter depuis un bon paquet de mois aussi, je n’ai pas voulu aller à la course à l’echalotte sur « qui qui s’est présenté premier ».
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Et puis, non, ce n’est pas la seule raison de l’absence d’union, loin de là
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L’exercice est amusant, et rappelle celui auquel avait procédé l’auteur en amont des élections municipales à Tours. Mais encore une fois, aucune indication de ce que serait la gauche dont il souhaite si ardemment l’union, au-delà des étiquettes.
Il faudrait faire le bilan de Bonneau avant d’appeler tout le monde à s’unir autour de lui. Soutien énamouré au patronat local, promotion à tout crin d’un tourisme idiot, greenwashing, politiques gadgets sur le chômage ou la jeunesse…
A part maintenir à flots un parti intégralement converti à la doctrine néolibérale, on voit mal à quoi servent ces appels à l’unité. Prendre le pouvoir ? Pour quoi faire, si on met en œuvre systématiquement les mêmes politiques que la droite (avec un petit budget supplémentaire pour la culture et quelques contrats précaires pour le monde associatif) ? A ce jeu là, l’exemple de l’union réalisée à Tours autour d’Emmanuel Denis est éclairant : les mêmes politiques, avec des pistes cyclables et la déprécarisation d’une poignée d’emplois pour le supplément d’âme, le tout porté par un cabinet rempli d’anciens assistants parlementaires de Jean-Patrick Gille.
On comprend, à la lecture, que l’auteur se flatte de pouvoir recueillir les confidences et les états d’âmes des acteurs du jeu politique local. Mais tout ça est quand même assez médiocre.
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J’ai répondu à cette remarque vingt fois : je suis favorable à l’union via un forum permanent. Je ne suis pas politique et contrairement à nombre de personnes qui n’écrivent rien mais qui se fendent de flamboyantes mises au point sur ce qu’aurait dû être un vrai article, je laisse aux politiques, citoyens et militants chercher et trouver les modalités d’union qui leur semblent les plus pertinentes en fonction du contexte. Là le bilan serait intéressant, collectivement, et pas juste à base d’aigreur qui rappelle les plus fastes réunions de CATDP.
Mais je vois que la nuance, c’est pas trop votre truc. Par contre, pour savoir que les gens du cab de Denis sont des anciens de l’écurie de Jean-Patrick, je pense que vous vous débrouillez sacrément bien en acteurs de politique locale.
La bise à Claude
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Un grand merci (une fois de plus) pour cet article très éclairant.
Il en faut encore bien d’autres..!
Cela devrait permettre de faciliter l’union à gauche en mettant les choses à plat et en forçant les acteurs à accepter de dévoiler leurs stratégies qu’ils sont les seuls à croire invisibles.
Il est temps de dire les choses et d’en parler le plus fort possible, n’en déplaisent aux ambitions de certains.
Il est temps que notre pays respire un peu et se recentre sur ses enjeux sociaux, éducatifs, et médicaux
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Chère Joséphine,
Nous partageons ce constat affligeant d’un incroyable gachis à gauche.L’union fait la force , on l’a vu aux municipales à Tours. La désunion la defaite , on l’a vu à Amboise ou à St Pierre . « Ok pour l’union mais autour de moi! »
Heureusement la droite va se partager entre le Modem-LREM et la droite « classique » LR.
Mais le scénario catatastrophe , tout a fait possible est celui d’une victoire RN en region Centre val de loire!
Quelle responsabilité alors!
La raison va-t-elle finir par l’emporter?
Je l’espere et on s’y emploiera.
JP CARLAT
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