[Le Centre de Gestion 37, créé à la fin des années 80, a pour mission de gérer pour le compte des collectivités du département d’Indre-et-Loire l’ensemble du champ des ressources humaines de la fonction publique territoriale : organisation des concours, instances paritaires (avancements, promotions internes), gestion des carrières, recrutement, mobilité, accompagnement des situations de handicap, situations médicales (maladie professionnelle, accident du travail), médecine préventive, santé et sécurité au travail]
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En novembre dernier, le groupement départemental 37 Force Ouvrière alertait sur la situation de deux agents travaillant au Centre de Gestion d’Indre-et-Loire (CDG 37) et ayant entamé plusieurs recours pour harcèlement moral devant différentes juridictions. Le syndicat s’était alors mobilisé et les avait accompagnés dans l’instruction des dossiers afin de les porter devant les diverses instances compétentes tout en décidant rapidement de convoquer une conférence de presse pour médiatiser l’affaire. Dans cette dynamique, un premier papier paraissait sur ce blog quelques jours avant le conseil d’administration (CA) du Centre de Gestion d’Indre-et-Loire du 30 novembre 2020 afin de provoquer une discussion au sujet de la situation des agents concernés. Et ceci, en plein renouvellement du CA avec l’arrivée des nouveaux élus issus des municipales du printemps et avec l’arrivée à la présidence du CDG 37 de M. Jean-Gérard Paumier, remplaçant M. Michel Gillot, adjoint au Maire à Saint-Cyr-sur-Loire. En réalité, aucune discussion n’aura lieu ce jour là, M. Gillot noyant le poisson et évoquant juste un litige en cours de règlement. Quelques jours plus tard, lors d’une commission administrative paritaire, il ira même jusqu’à menacer les représentants du personnel FO de poursuites en diffamation si jamais d’autres éléments fuitaient dans des médias. De fait, la conférence de presse projetée ne sera jamais organisée, le syndicat prenant rapidement ses distances avec les deux agents…
Interpellés à la suite de l’article, des élus de Tours fraîchement arrivés au CA du Centre de Gestion d’Indre-et-Loire, comme M. Pascal Brun, se déclaraient quelque peu étonnés par l’ambiance qui régnait à la réunion ce jour-là et par l’absence d’informations autour des problèmes de gestion du personnel au sein de cet établissement public. Par ailleurs, tous les autres membres du CA ainsi que la direction du CDG 37 n’avaient pas souhaité répondre à mes questions, à l’exception de M. Thierry Chailloux, nouveau maire de Ballan-Miré, qui a bien voulu me recevoir. Il s’est dit très surpris par la situation et a mis en avant son parcours de chef d’entreprise et sa délégation à la Métropole de Tours-val-de-Loire – les ressources humaines – pour assurer qu’il a toujours été très sensible aux questions des conditions de travail des salariés et des agents. Il s’est donc logiquement engagé à creuser la question lors des prochaines réunions et surtout lors du premier CA de l’année 2021 qui aura lieu dans quelques jours.
Après le coup de projecteur donné par l’article, les choses se sont accélérées, mais pas dans le sens espéré : d’une part les instances médicales gérées par le CDG 37 ont donné systématiquement tort aux agents, les déboutant de leurs demandes. D’autre part, FO a choisi de les lâcher, provoquant d’intenses remous dans l’organisation syndicale qui, du reste, se dit trop débordée pour me répondre.

Mais reprenons brièvement la chronologie de cette situation devenue ubuesque pour en saisir l’implacable mécanique qui a mené à l’impasse actuelle. En fait, tout commence fin 2017, les deux agents affirmant que l’ambiance de travail au Centre de Gestion s’était alors dégradée rapidement, après plusieurs années plutôt satisfaisantes sur le plan professionnel même si les relations étaient déjà compliquées avec la hiérarchie. Après plusieurs mois, en décembre 2018, épuisé par ce climat devenu anxiogène, un des agents est mis en congé maladie. Après une expertise médicale et un avis favorable du comité médical (instance rattachée au CDG 37 et composée de médecins agréés qui statue sur l’aptitude des agents à réintégrer leur poste après un long congé), l’agent retourne travailler au Centre de Gestion d’Indre-et-Loire à la Toussaint 2019 sur un nouveau poste, sur décision de la direction, entraînant un changement de bureau, avec une ambiance d’emblée très lourde. Moins d’un mois plus tard, après une réunion qui a été vécue de manière particulièrement pénible et humiliante, un des deux agents est pris d’une crise de tétanie accompagnée de pensées suicidaires. Les deux agents sont immédiatement évacués à l’hôpital par une ambulance et le médecin des urgences qui les prend en charge les met aussitôt en arrêt de travail. Cet arrêt durera dix mois pour l’un et le deuxième agent est toujours en congé maladie depuis…
Un peu plus tard, deux commissions de réforme se tiennent. Cette instance rattachée au CDG 37, composée de deux médecins agréés, deux représentants du personnel et deux représentants des collectivités, statue sur les accident du travail dans la fonction publique territoriale. Après avoir mandaté un médecin expert pour évaluer la situation d’un des deux agents, la commission de réforme ne suit finalement pas l’expertise. Pour l’autre agent, il n’y aura même pas d’expertise. L’accident de travail n’est pas reconnu pour aucun des deux agents : circulez, il n’y a rien à voir, donc.
A noter que parmi les deux représentants des collectivités présents lors d’une des deux commissions de réforme, on compte M. Michel Gillot… Par ailleurs, cette commission, étant habituellement présidée par la directrice du Centre de Gestion d’Indre-et-Loire, Mme Nathalie Péron, directement concernée par la situation des deux agents, on a désigné un suppléant pour éviter le conflit d’intérêts trop évident. C’est un cadre de l’administration territoriale, directeur général adjoint des services de Saint Cyr sur Loire, M. Benoît de Kilmaine qui a donc présidé la commission et, fait cocasse, c’est ce même Benoît de Kilmaine qui deviendra directeur général du Centre de Gestion d’Indre-et-Loire après le départ à la retraite de Mme Péron, annoncé pour fin avril prochain.
Continuons. A la reprise du travail, prévue début septembre 2020, l’un des agents est mis d’office en congé maladie par son employeur qui doute de ses aptitudes à remplir ses fonctions. Mi-septembre 2020, un médecin expert déclare l’agent tout à fait apte et le comité médical suit son avis quelques jours après. L’agent réintègre alors le Centre de Gestion mi-octobre 2020, encore sur un nouveau poste. Un mois plus tard, l’agent prend rendez-vous à la médecine de prévention – la médecine du travail de la fonction publique territoriale – et après l’entretien, le médecin de prévention saisit l’employeur qui mettra l’agent en congé de longue maladie d’office en saisissant à nouveau le Comité Médical. L’agent n’a pas pu retourner travailler depuis lors mais, conseillé par son avocat, il saisit l’Ordre des médecins pour contester l’examen subi, considérant qu’un médecin préventeur n’est pas un médecin expert et qu’il y a un conflit d’intérêts vu que la médecine de prévention dans le 37 est sous l’autorité directe du… Centre de Gestion. La procédure est désormais en cours d’instruction.
Mi-janvier 2021 enfin, l’agent subit une nouvelle expertise médicale avec un médecin spécialiste indépendant mandaté par le comité médical. Le médecin expert juge l’agent apte à une reprise immédiate du travail mais début février, coup de théâtre : le comité médical décide de ne pas suivre l’avis du médecin expert, ce qui conduit l’agent à ne plus pouvoir travailler au sein du Centre de Gestion d’Indre-et-Loire, ouvrant la voie à un licenciement. L’avocat de l’agent parle d’une décision incompréhensible qu’il attaquera d’ailleurs devant le Tribunal administratif quelques jours plus tard.

Après des années de reconnaissance professionnelle, ces deux agents sont balayés par cet imbroglio de procédures, mis sur la touche, sans aucun accompagnement. L’un en congé de longue maladie et le deuxième empêché de travailler. Leur horizon professionnel semble désormais bien nuageux, sans même parler du fait qu’ils ont perdu la moitié de leur salaire au bout de 12 semaines de congés maladie…
Épuisés par ces années de lutte, les deux agents se disent désormais également stupéfaits par l’attitude des syndicats. Clairement lâchés par FO qui entretient depuis des semaines un double discours, ils ont saisi les instances internes au syndicat pour attirer l’attention de la hiérarchie et un signalement au Procureur de la République a été réalisé à l’encontre d’un représentant syndical qui aurait tenu des propos à charge et très durs à l’encontre des agents qu’il était censé défendre et ce, dans une instance officielle du Centre de Gestion d’Indre-et-Loire, le comité hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT) dont la principale compétence est…la prévention et l’amélioration de la vie au travail. En off, des représentants du personnel d’un autre syndicat ont apporté leur soutien aux agents, mais visiblement inquiets des conséquences si jamais ils se mouillaient trop dans cette histoire, ils n’ont rien entamé d’officiel…
Alors voilà où on en est : deux agents compétents se retrouvent au milieu de cette tempête, avec les conséquences que l’on imagine sur leur moral, leurs revenus, leur vie familiale et leur dignité professionnelle ; une petite dizaine de procédures de différentes natures sont lancées et prendront des mois – probablement des années avec les éventuels appels – avant de déboucher sur une réponse, engendrant des frais juridiques conséquents pour toutes les parties prenantes ; Force Ouvrière 37 connaît une période tendue en interne, avec des effets délétères sur la perception des syndicats par les agents et salariés, dans un contexte de vaste crise de la représentativité syndicale ; l’employeur, le CDG 37, verse des sommes importantes en procédures et en financement des indemnisations des agents en congés maladie. Un cas malheureusement trop fréquent de gâchis absurde et de dérive bureaucratique qui finit par broyer les humains pris dans la tourmente.
Pour autant, quelles sont les perspectives, désormais ? Il semble que la presse commence à s’intéresser à la question, notamment la Nouvelle République. Du côté des syndicats, peu d’espoirs. En ce qui concerne les membres du conseil d’administration, espérons qu’ils tiendront leur engagement de soulever clairement ces problèmes avec la direction et le bureau exécutif afin de trouver des solutions pour sortir de l’impasse et restaurer un dialogue rompu depuis le début de l’histoire.
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Finalement, il se peut bien que la solution soit politique. Jean-Gérard Paumier, président du Centre de Gestion est par ailleurs président du Conseil Départemental d’Indre-et-Loire et candidat à sa propre succession aux élections de juin 2021. Pragmatique de réputation et ancien directeur général des services du département, il connaît la musique et sait très bien que cette affaire pourrait constituer un bien gênant petit caillou dans sa chaussure alors, sera-t-il disposé à négocier afin que tout le monde sorte par le haut de cette situation ?