15 000 personnes passent en comparution immédiate, temple de la Justice en « temps réel » et rationalisée. Cette chambre est la face émergée de la Section P12, située dans le bâtiment même du Tribunal. Il s’agit d’un pool de procureurs qui gère les flags dans la capitale et qui applique depuis une vingtaine d’années le concept de « gestion des flux judiciaires » avec des substituts du procureur qui suivent en direct, sur des plate formes téléphoniques et avec un micro-oreillette, les appels des officiers de police judiciaire de toute la ville. En moyenne, chaque substitut reçoit 85 appels par jour et peut consacrer à chaque affaire un maximum de 5 minutes. Les consignes en matière de poursuite sont issues des théories de « tolérance zéro » importées du New York des années 1980 : tout délit, même minime, doit être enregistré par la police, signalé au parquet, traité le plus rapidement possible et donner lieu à une réponse pénale afin que les délinquants soient assurés que leur déviance sera sanctionnée et améliorer ainsi le sentiment de sécurité des concitoyens.
Vendredi 27 août – 15h30 – Tribunal Judiciaire de Paris – Chambre Correctionnelle, comparutions immédiates renvoyées
La chambre est aujourd’hui essentiellement composée de femmes : une jeune procureure un peu sèche et très concentrée, trois juges qui gèrent les dossiers à tour de rôle, une greffière tout juste sortie de l’école et qui pianote sur l’ordinateur sans discontinuer, n’hésitant pas du reste à rappeler aux juges et à la procureur quelques points de procédure oubliés dans ce contexte d’urgence permanent. La salle du nouveau Tribunal Judiciaire porte de Clichy est propre, fonctionnelle, lumineuse et confortable. Il y a pas mal de public, essentiellement des étudiants en droit, certains préparant bientôt le barreau. Des policiers vérifient qui rentre et que les portables soient bien éteints, ils sont assez courtois et renseignent volontiers le public.
Affaire 1 :
Comparaît un homme jeune noir qui se déclare soudanais, sans papiers, ne parlant pas français, en situation illégale sur le territoire français, sans domicile fixe, arrivé en 2015, fuyant le racisme des arabes dans son pays. Il utilise différentes identités et donne plusieurs pays de naissance lorsqu’il croise la police. Une obligation de quitter le territoire français (OQTF) pèse déjà sur lui, il a aussi été condamné auparavant pour des violences, rébellion, recel et pour des dégradations. Il y a quelques semaines, ivre dans un bus, il s’installe à côté d’une jeune femme, se frotte à elle, en érection, et se masturbe à travers le tissu du pantalon. La victime alerte les autres passagers, le chauffeur arrête le bus et appelle les policiers qui interpellent l’accusé. Placé en garde à vue, il déclare que la victime lui avait donné rendez-vous dans le bus sur Tinder. Envoyé aux comparutions immédiates dans la foulée, le tribunal ordonne des expertises psychiatriques. En attendant, il est resté en détention provisoire jusqu’au procès aujourd’hui.
L’homme est alors interrogé avec l’assistance d’un interprète. Il ne sait pas quoi répondre, bafouille, nie l’intégralité des faits tout en garantissant qu’il ne se souvient de rien. Il se dit dans une grande solitude et que de toutes façons cela n’est pas interdit au Soudan, tout dépend de la fille. La première expertise conclue à une altération du discernement à cause de l’alcool et à une personnalité paraphilique, avec des tendances à l’hypersexualité, à l’exhibitionnisme et au voyeurisme. Non marié au Soudan, il n’a jamais eu de copine et il n’a connu que les prostituées en Europe. La contre-expertise ne parle pas d’altération du discernement mais confirme les paraphilies. L’homme ne comprend pas, interrompt la présidente, qui lui demande de se taire et de ne pas perdre de temps.
La procureure prend la parole et s’avoue très inquiète par les risques manifestes de récidive et par la gravité des faits. Comme il est sdf, il ne présente pas les garanties suffisantes pour un suivi psy régulier. Elle demande deux ans ferme, l’interdiction du territoire à l’issue de la peine et l’inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais).

L’avocat de la défense a l’air expérimenté, en tout cas il est à l’aise. Il commence par parler du profil de son client : fruste, frustré, avec des problématique d’acculturation et de religion. Il enchaîne avec une plaisanterie sur le Soudan, qu’il déconseille comme destination de vacances aux trois juges femmes vu les pratiques qui s’y déroulent dans les transports en commun si l’on en croit son client. Puis, il essaye de mettre les faits en perspective : il n’y a pas eu de pénétration, le sexe est resté dans le pantalon, l’accusé s’est éjaculé dessus, mais pas sur la victime. L’homme coupe l’avocat et proteste de ne rien comprendre à ce qui est dit sur lui et que de toutes façons il n’est pas capable de faire ce dont on l’accuse. La présidente, l’avocat et l’interprète lui disent de se taire. L’avocat reprend et demande une peine avec sursis et mise à l’épreuve avec obligation de soins vu qu’il s’agit d’une pathologie et que son client n’a jamais été condamné pour des affaires sexuelles.
Après une suspension de séance, la décision est rendue : deux ans ferme, interdiction du territoire et inscription au Fijais. L’homme proteste dans le box. Il retourne directement en détention.
Affaire 2 :
Comparaît un libyen de 45 ans, sans papiers, sans domicile fixe, en situation irrégulière sur le territoire français. Il travaille au noir sur les marchés pour 150 euros par semaine. Il a fui son pays au début de la guerre civile, il s’est retrouvé en Italie où il a eu une fille en 2011 mais il n’a plus aucun contact ni avec la maman ni avec l’enfant depuis son départ pour la France en 2016. Il a été condamné pour des vols, outrage, rébellion et des dégradations, il a également une OQTF qui pèse sur lui. Il ne parle pas le français et semble avoir de grandes difficultés d’élocution. Son visage est inexpressif, son regard vague. A la mi-juillet, très alcoolisé, en début de soirée, il suit une femme dans la rue puis soulève sa jupe et saisit son sexe. Celle-ci se dégage et voit l’accusé le pantalon baissé, le sexe en érection et qui commence à l’insulter. Des passant l’immobilisent et appellent la police. Il se montre violent et refuse de se soumettre aux tests d’alcoolémie. Mis en garde à vue, il est placé en détention provisoire en attendant les résultats des expertises psychiatriques dans la perspective du procès.
Interrogé, l’accusé nie les faits. Il dit avoir trébuché et avoir voulu se rattraper, accrochant la jupe de la dame devant lui au passage. La salle étouffe des ricanements et échange des regards entendus. Il dit ensuite qu’il a insisté pour attendre la police pour s’expliquer et demande s’il n’y a pas de caméras de vidéosurveillance qui pourraient confirmer sa version. La présidente répond qu’il n’y en n’a pas, mais qu’il y a de nombreux témoignages. L’accusé répète qu’il n’a pas pu faire ça, que ça fait trop mal. Les experts psychiatres n’ont pas décelé de paraphilie ou d’altération du discernement, mais pointent la situation d’extrême isolement de cet homme et sa toxicomanie : crack, héroïne, cocaïne, cannabis, alcool et LSD. Depuis quelques mois, il prend quotidiennement du subutex et depuis peu du diazépam, car il a tenté d’arrêter l’alcool pendant le ramadan. Il dit aussi qu’il voulait respecter son OQTF pour retourner en Italie mais que les frontières étaient fermées à cause du Covid.
Vient le tour de l’avocate de la victime qui représente sa cliente absente. Elle parle d’un pauvre homme qui fait bien de la peine, alors elle ne veut pas en rajouter et demande juste 3500 euros de dommages et intérêts, dont le remboursement des frais de justice.
La procureure, elle, ne trouve pas que l’accusé fasse de la peine. Elle assume sa sévérité et son absence de pitié pour cet homme qui n’assume rien. Elle demande 18 mois ferme, l’interdiction du territoire et l’inscription au Fijais.

L’avocat de la défense est jeune, mais assez réputé, il plaide avec conviction. Il parle de la honte et du déni de son client, de son incapacité à assumer pour tenter de garder une dernière once de dignité dans cette vie misérable et pourrie. Il considère l’agressivité de son client comme un marqueur de sa rupture sociale. Il ne pense pas que son client ait un profil de récidiviste et il s’insurge contre la double peine proposées par la procureure. Soit on l’expulse et comme ça, ce n’est plus notre problème et ça coûte moins cher, soit on tente de l’aider, par exemple avec une obligation de soins psy, mais la prison ferme, ça ne réglera rien.
Quelques minutes plus tard, il est reconnu coupable, condamné à 15 mois ferme, à une interdiction du territoire français, à verser 3500 euros à la victime, à une inscription au Fijais. L’homme répète une dizaine de fois qu’il n’a rien fait. Il repart en détention.
Affaire 3 :
Temps mort pendant l’audience. Il n’y a plus de prévenus dans le box, les suivants sont encore au dépôt. La présidente décide de prendre un dossier dans lequel l’accusé est absent, ne s’étant présenté à la convocation à 13h30. L’avocate commise d’office est présente, mais n’a jamais rencontré son client. La procureure est favorable au procès sans l’accusé, les dossier s’accumulent de toutes façons, et puis c’est une affaire simple.
Il s’agit d’un jeune homme de 19 ans, ayant un casier important, notamment lorsqu’il était mineur, avec des affaires de stups et de fausses identités. Il a été arrêté par la police mi-juillet en flagrant délit, après avoir escaladé un mur, forcé une fenêtre et pénétré dans un local pour y commettre un vol. Il était en état de récidive légale au moment des faits. Placé en garde à vue, il est relâché sous contrôle judiciaire strict, avec obligation de pointer régulièrement au commissariat. Par contre, il n’est pas venu pointer une seule fois depuis.
Juste avant les réquisitions de la procureure, un jeune homme rentre dans la salle, en survêtement, sac à dos vide, Nike air max aux pieds. Le huissier le regarde et, fronçant les sourcils, il se rapproche de lui. Ils échangent quelques mots et le huissier se dirige vers la présidente pour lui dire que justement, l’accusé dans le dossier vient d’arriver. Le jeune homme se dirige vers la barre. La juge, agacée, lui demande les raisons de son retard de trois heures. Il répond avec nonchalance qu’il avait oublié. Pourquoi n’a-t-il pointé au commissariat depuis un mois ? Je ne connaissais pas l’adresse. Où habite-t-il en ce moment ? Chez ma sœur. C’est où ? J’connais pas l’adresse. A-t-il cherché du travail ? Je suis allé à la mission locale mais ils sont en vacances. La juge regarde l’avocate du jeune homme, interrogative. Elle demande au huissier si les prévenus vont enfin arriver du dépôt. Il passe un coup de fil. Non, ce n’est pas pour tout de suite. Suspension de séance une petite heure le temps que l’avocate puisse s’entretenir avec son client pour préparer la défense et que les accusés suivants arrivent.
17h – 23ème chambre correctionnelle spécialisée dans les comparutions immédiates.
Affaire 1 :
La juge, qui a l’air d’un sacré personnage, disons pour le moins « dynamique », est énervée. Il y a trop d’affaires aujourd’hui, il va falloir en renvoyer certaines. Le procureur, marmonne qu’il est d’accord. Pour l’instant, dans le box, il y a un jeune marocain de 19 ans, arrivé en France à 14 ans, orphelin, sans papiers, sans domicile fixe, en situation irrégulière, il parle très mal français. Pris en charge par la protection de l’enfance du 93 et par sa tante, il est à la rue depuis des mois, travaillant au noir sur des marchés et chez des coiffeurs, payant une chambre à un marchand de sommeil quand il en a les moyens. Sous le coup d’une condamnation à 24 mois de prison pour vol avec escalade et recel, sans mise à exécution de la peine, il s’est fait attraper il y a trois jours pour vol de téléphone en réunion. Vous avez l’air fatigué monsieur, c’est dommage pour votre âge, lui adresse la présidente. Et puis, cela fait cinq ans que vous êtes en France et vous n’avez pas appris la langue, à votre âge ?! Elle lui demande s’il souhaite être jugé aujourd’hui tout en lui disant que de toutes façons comme son sursis va tomber, il part pour au moins deux ans en prison ce soir-même. Abasourdi, le jeune homme accepte donc d’être jugé. La présidente semble contente, ça va avancer vite, au moins.

Interrogé, l’accusé se perd en explications un peu vagues, parle de son addiction au cannabis, à l’alcool et à la cocaïne. La juge le coupe : c’est compliqué votre vie, monsieur. Vous faites quelque chose pour vous en sortir ? Oui, c’est de la faute de la société, c’est ça ?
Pas plus de questions, la parole passe au procureur. Celui-ci est concis et s’adresse directement à la présidente, loin du micro. On comprend qu’il veut avant tout que le jeune reste en prison car il représente un danger pour l’ordre public.
Un vieil avocat qui semble un peu à côté de pompes se lève pour la défense de l’accusé. Avec un débit de parole et un vocabulaire d’un autre temps, il plaide pour une peine probatoire car son client a en fait une fille qui vit chez sa tante et qu’il ne faut pas prendre le risque de rompre leur relation, ce qui pénaliserait la petite.
Suspension de séance, délibérés en fin de soirée.
17h30 – Tribunal Judiciaire de Paris – Chambre Correctionnelle, comparutions immédiates renvoyées
Affaire 4 :
Après la suspension, la séance reprend. Avant même la lecture des actes d’accusation et des faits, l’avocat de la défense, très remonté et théâtral, demande que trois pièces du dossier soient déclarées nulles. D’abord, il s’agit des fadettes qui ont permis aux policiers d’établir l’identité de l’accusé à partir de la liste d’appels de son complice qui était en garde à vue. L’avocat brandit les pièces devant les trois jugés pas très impressionnés. En effet, dans le dossier, ces fadettes et relevés des opérateurs téléphoniques sont vierges et ne comportent aucune information ni identité. L’avocat crie au scandale, à l’absence de preuves, au péril que représente pour un état de droit et la démocratie de croire sur parole les policiers qui pourtant ne produisent pas les preuves concrètes de ce qu’ils avancent à la cour. L’avocat n’y va pas de main morte, il accuse clairement les policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) de se moquer de la procédure et des droits de la défense, comme d’habitude, avec la complicité du parquet, jetant le discrédit sur l’institution. Ensuite, l’avocat critique vertement ce qui tend à devenir une habitude : plutôt que de procéder à des tapissages classiques au commissariat pour permettre l’identification des coupables par les victimes derrière une glace sans teint, désormais on envoie des planches photographiques par mail aux victimes qui répondent ensuite si elles ont reconnu leur agresseur. Mais pour l’avocat cela pose problème, notamment la possibilité pour les témoins de se contacter et de se mettre d’accord sur la personne à accuser, ce qui est impossible lorsque la procédure se fait de manière cloisonnée encadrée par des fonctionnaires au poste de police. Pour finir, l’avocat ne décolère pas des conditions de la garde à vue. Son client a été interpellé tardivement, mené pour un examen médical où des calmants lui ont été fournis vu son agitation. Ramené en garde à vue au commissariat, l’accusé a été interrogé à 2h50 du matin, alors même qu’il commençait à tomber de sommeil, les policiers interprétant cette attitude comme de la défiance et du manque de respect. L’avocat n’hésite pas à parler de torture et de conditions indignes pour un pays comme la France, même à Guantanamo on ne fait pas ça.

La procureure se lève pour répondre, visiblement excédée par ce qu’elle semble considérer comme un petit numéro de l’avocat. En ce qui concerne les fadettes, elle dit qu’il s’agit d’une erreur d’archivage des annexes et que les preuves papier existent bel et bien, on pourrait éventuellement prononcer un renvoi pour les joindre au dossier, mais il y a selon elle assez d’éléments accablant l’accusé et puis, on ne peut pas mettre en doute la bonne foi de la police. Pour l’identification via des planches photo envoyées par mail, elle ne comprend pas. C’est moderne, ça permet d’aller vite et puis, la planche envoyée était bien réalisée, avec des photos de gens qui ressemblent au suspect, aucun problème. Sur le dernier point, la procureure assure que les droits de la défense ont été assurés, qu’il n’y a pas de trace dans le dossier de la prise de ces calmants et qu’une garde à vue, c’est court, il faut donc l’utiliser à fond et s’il faut interroger à 3h du matin, on interroge à 3h du matin. L’avocat ne peut retenir une exclamation et il se fait rappeler à l’ordre immédiatement par la présidente.
Cette dernière reprend alors la parole et dit d’emblée qu’il n’y aura pas de délibération préalable au sujet de ces demandes de nullité et qu’on va passer à l’audition de l’accusé et des victimes, l’avocat ponctue d’ un signe de mécontentement et de fatigue.
L’accusé apparaît alors dans le box, encadré par deux escortes, il est en détention provisoire depuis quatre mois. C’est un homme d’origine algérienne avec un titre de séjour, très jeune. Il a déjà un casier conséquent : refus d’obtempérer, violences, outrage rébellion, trafic de stupéfiants, port d’arme et association de malfaiteurs. Il a déjà fait de la prison, en étant mineur. Il est orphelin depuis l’âge de 14 ans, il travaille comme livreur pour Uber, il a un logement, des problèmes de santé avec des migraines chroniques, des problèmes d’addiction aussi.
Mi-avril, à 5h du matin, l’accusé circulait en trottinette avec un compagnon de beuverie rencontré ce soir-là. Ils croisent un petit groupe de jeunes qui joue aux cartes sur le Champ de Mars à Paris. L’accusé commence à faire des ronds en soulevant de la poussière et le groupe lui demande d’arrêter et de partir. Pris d’une soudaine colère noire, il sort un couteau et se dirige vers une des jeunes femmes du groupe, la menaçant de mort et la giflant très fort. Son petit ami s’interpose, il reçoit un coup de poing, il en donne un à l’accusé et de là s’ensuit une bagarre au cours de laquelle la victime reçoit une dizaine de coups de couteau, au bras, à l’épaule, à la clavicule. Profitant de la confusion, l’accusé s’enfuit en trottinette avec son ami, choqué par ce qu’il venait de voir. Les deux hommes sont rattrapés par des policiers quelque temps après, non sans s’être débarrassés du couteau auprès d’un SDF à qui ils ont donné un peu d’argent en plus. L’ami se rend pacifiquement, se disant effrayé par l’accusé, mais ce dernier réussit à s’enfuir de nouveau. Après quelques heures d’interrogatoire et l’examen du téléphone de l’ami, les policiers obtiennent l’identité du présumé agresseur, vite reconnu également par des témoins sur les planches photographiques. Les version des témoins et de l’ami concordent, les policiers partent donc au domicile de l’accusé qui tente une nouvelle fois de s’échapper en sautant de balcon en balcon avant d’être rattrapé et envoyé en garde à vue. Celle-ci se passe mal, l’accusé refuse de déverrouiller son portable aux policiers, il ne répond à aucune question, se montre violent et colérique. D’ailleurs, une expertise psy postérieure le décrit comme instable et avec des délires de toute puissance. Présenté au tribunal une première fois, il demande un renvoi pour préparer sa défense, d’où les quatre mois de détention provisoire.
Interrogé, l’accusé se montre assez rêche. Il nie en bloc la version livrée par la cour. Il dit qu’il se baladait en trottinette, que le groupe de jeunes l’a insulté et s’est montré très agressif et qu’à un moment donné, le petit ami de la jeune femme la plus énervée est venu l’étrangler par derrière et que, craignant pour sa vie, il a sorti un petit couteau suisse et il a piqué le bras du jeune homme pour se dégager et partir le plus vite possible.Selon lui, si la jeune femme a pris un coup, c’est sans faire exprès pendant la bagarre et il s’en excuse, ce n’est pas son style de frapper une femme. Lorsque son avocat lui demande de parler un peu de sa vie et de la perte de ses parents, il déclare que cela ne regarde personne. Sur sa situation personnelle, il déclare avoir une petite amie mais ne pas se souvenir de son nom. Lorsque la présidente montre à la salle les photos des blessures béantes de la victime et de la flaque de sang constatée par les pompiers et que cela semble incompatible avec un couteau suisse, il dit ne pas se souvenir, qu’il était pris par l’instinct de survie. La présidente demande pourquoi est-ce qu’il n’a pas dit tout ça en garde à vue. L’avocat se lève vivement et tente une réponse mais il est vite coupé. Je veux entendre la réponse de votre client, maître. Il se rassoit dépité. Oh je n’ai rien dit parce que c’est mon avocat qui m’a conseillé de faire comme ça. Silence gêné.

Vient le tour des victimes, qui s’avancent à la barre. La jeune femme fond en larmes, elle dit ne plus manger, ne plus dormir, ne plus sortir de peur d’être de nouveau confrontée à une telle violence, elle dit voir son agresseur partout et que la gifle lui a provoqué des acouphènes pendant plusieurs jours. Elle a besoin d’un psy, mais comme elle n’a pas trop d’argent, elle attend un rendez-vous à l’hôpital en… janvier 2022. Son petit ami, lui, est moins loquace, mais il montre les cicatrices, il parle des deux jours à l’hôpital, de ses 21 jours d’incapacité temporaire totale (ITT) de travailler, de son bras gauche abîmé qui ne peut plus porter de charges, de sa copine qu’il ne quitte plus car elle fait des crises d’angoisse.
L’avocate des parties civiles enfonce alors le clou, mettant en avant le traumatisme pour ses clients, et les pertes de revenus car la jeune femme, très affectée, n’est pas allée travailler pendant deux semaines à la suite des faits. Elle met en doute la version du jeune accusé et d’ailleurs, s’il avait subi tant de coups par le groupe, pourquoi l’examen médical du suspect ne les a pas montrés ? Elle demande 5500 euros pour sa cliente au titre du préjudice moral et physique et pour compenser la baisse des revenus. Pour son client, elle demande une expertise car il est difficile d’estimer le préjudice réel vu la gravité des blessures.
La procureure enchaîne sur le même ton. Elle parle d’abord de cette plaie de 10 centimètres à la clavicule et du fait qu’à quelques millimètres près, ce procès se déroulerait aux Assises, peut-être même pour assassinat. Elle est épouvantée par la violence de l’accusé et par son attitude depuis le début, considérant que tout concorde pour l’accabler, notamment le témoignage de son ami arrêté par la police. Elle demande 24 mois de prison dont 6 mois avec sursis et mise à l’épreuve, avec des soins psy.
Vient le tour de l’avocat de la défense, toujours aussi combatif. Il commence par se tourner vers les victimes, prostrées au premier rang, pour se dire sincèrement triste et touché par leur histoire, par leur souffrance, tout en leur assurant son empathie. Puis, revenu à la barre, il sort le grand jeu : il dit qu’il est fort probable que le jeune homme victime des coups de couteau se soit montré agressif et violent pour impressionner sa copine, précipitant la bagarre, que les blessures ne sont pas si graves et qu’à aucun moment le pronostic vital n’a été engagé, que c’est un genre de blessure qui saigne beaucoup, que son client, lui, n’est pas un violent, comme le montre son casier judiciaire finalement modeste, il appuie lourdement sur le statut d’orphelin de son client qui n’a pas eu la chance, contrairement aux magistrats présente dans la salle, d’entendre sa mère lui dire je t’aime, et que cette affection et attention, il a dû la chercher dans la rue, que son client, on ne lui a jamais donné sa chance et tendu la main, l’avocat parle même de sa propre vie, de ses conneries qu’il a faites au lycée et de son proviseur qui a su lui donner une chance de se racheter, sauf que son client n’a même pas eu cette opportunité. Il parle du courage de son client de s’être excusé, que peut-être que ça ne semble pas grand chose et que ça ne va pas suffire aux victimes, mais que c’est déjà un geste énorme. Il conteste les menaces de mort et continue d’avancer la thèse de la légitime défense lors du supposé étranglement pendant la bagarre. Il multiplie les invectives aux juges, « que vous le vouliez ou non », « c’est la vérité », « mettez-vous face à vos responsabilités », « tout le monde n’a pas votre chance »… Il rappelle que son client travaille, qu’il a un logement et qu’il faut une peine juste, équitable et raisonnable et donc, en aucun cas la prison.
Pour terminer, l’accusé reprend la parole, il s’excuse une nouvelle fois auprès de la jeune femme et se rassoit. La décision sera rendue après la prochaine suspension de séance, mais il faut avancer, il est déjà 19h.