illustrations de Coco Roupie dont le travail est ici ou ici
Voilà cinq années que ce blog tente de témoigner des transformations profondes que subit le secteur de la protection de l’enfance en Indre-et-Loire – ex-DDASS –, interrogeant les acteurs de terrain, élus, éducateurs, cadres, administratifs et magistrats au sujet de la prise en charge par la collectivité des jeunes confrontés dans leurs familles à des carences affectives, éducatives et matérielles. Cette fois encore, je me suis intéressée à la Fondation Verdier, actrice incontournable du secteur, désormais en phase finale d’absorption par la Croix-Rouge, et il est temps de faire un bilan et peut-être, qui sait, d’en tirer quelques leçons.
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Résumons : la protection de l’enfance est une compétence dévolue aux Conseils Départementaux qui, en lien avec les services de la Justice, mettent à l’abri les mineurs en danger des aléas de la vie familiale. Plus précisément, ce sont les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) qui se chargent de ce pan des politiques publiques, en délégant à des associations spécialistes de la question la prise en charge concrète et quotidienne des jeunes, qu’ils bénéficient juste d’un accompagnement éducatif ou d’un placement en famille d’accueil ou en foyer. En Indre-et-Loire, ces associations sont très bien identifiées et implantées localement de longue date : Montjoie, les Apprentis d’Auteuil, l’Association Départementale de la Sauvegarde de l’Enfance et la fondation Verdier jouissent de décennies d’expérience et de travail conjoint avec leurs tutelles, la justice, la police, les services de la santé et l’Éducation Nationale.
En réalité, depuis 2002, l’État poussait à une modernisation et à une normalisation du fonctionnement du secteur afin d’uniformiser les pratiques. Cependant, fidèles à la tradition tourangelle de lenteur et de statu quo, les élus du Conseil Départemental se sont refilé la patate chaude sans jamais véritablement s’intéresser aux problématiques de protection de l’enfance, repoussant les échéances, signant parfois un chèque pour boucler les budgets en fin d’année et acheter ainsi la paix les années d’élection.
Les choses changent avec l’arrivée de M. Jean-Gérard Paumier à la tête de l’exécutif départemental en 2016. Dès 2017, en court-circuitant ses services et les associations délégataires des politiques de la protection de l’enfance, Paumier choisit de faire appel à un cabinet d’audit privé, le groupe Eneis, implanté à Paris et dirigé par deux anciens de Sciences Po et de HEC. Après quelques mois, en 2019, un cahier des charges est imaginé par le CD37 en prenant en compte les recommandations d’Eneis, essentiellement basées sur le coût journalier de la prise en charge d’un jeune. Les élus du Conseil Départemental, peu connaisseurs du secteur et assoupis par l’expertise technocratique mise en avant par un cabinet parisien qui impressionne, valident les propositions sans trop se poser de questions. Paumier pilote lui-même le dossier, avec une vice-présidente chargée de la question, Mme Nadège Arnault, maire d’un village de 300 habitants dans le bouchardais, qui a bonne réputation mais qui n’a clairement pas la main. En séance, on parle tableur excel, ratios, performance, taux de remplissage, benchmarking. Dans la foulée, des appels à projets sont organisés pour sélectionner les associations candidates à la mise en œuvre des politiques publiques de la protection de l’enfance. Ces appels à projets étaient censés mettre en compétition les acteurs historiques afin de les pousser à comprimer leurs coûts, à aligner les prestations et à imaginer des fusions pour réaliser des économies d’échelle… mais le processus s’enraye, notamment sur le sujet épineux de la prise en charge des jeunes sur le territoire de Tours et de son agglomération proche qui représente un très gros volume d’activité, environ 220 places d’accueil.
Catastrophe, aucun opérateur n’est retenu à l’issue de l’appel à projets concernant Tours, pas même la fondation Verdier, acteur historique sur ce territoire, qui du coup se retrouve sans aucune visibilité pour la suite de ses activités. Les salariés se mobilisent rapidement, Paumier tente de jouer la montre en faisant la sourde-oreille et pendant ce temps-là, les finances de Verdier se dégradent, aboutissant même à l’été 2020 à la fermeture d’une des unités de la fondation, à Artannes, pour réaliser des économies et éviter la cessation de paiement. Après maintes péripéties et un vice de forme, c’est finalement la Croix-Rouge française et la Fondation Verdier qui remportent un second appel à projets organisé en catastrophe par le Conseil Départemental et portant uniquement sur 110 places d’accueil. Mais le deal comprend aussi un plan d’absorption de Verdier par la Croix-Rouge à l’horizon 2021, ce qui sera chose faite, non sans turbulences, et avec pas mal de retard, cette absorption posant des problèmes juridiques notamment en termes de mutation des contrats des salariés de Verdier repris par la Croix-Rouge.

En fait, Jean-Gérard Paumier a pris la présidence du CD37 de manière fortuite en 2016, à la suite du décès de son prédécesseur, très malade. Paumier, n’a jamais caché ses ambitions, mais il n’avait jamais vraiment gagné une élection, si ce n’est à Saint-Avertin, mais par la grâce de son prédécesseur qui l’a désigné, dans une commune riche et tranquille, un vrai fief imperdable pour la droite conservatrice. A partir du moment où Paumier est devenu président, il a vite été pris par l’envie de tout contrôler et de se constituer une véritable baronnie afin de peser dans le jeu politique local, s’ancrer durablement au CD37 en préparant les élections de 2021, faire la nique à son ennemi de toujours, Philippe Briand et, pourquoi pas, préparer son entrée au Sénat en 2023. Sa stratégie réside en deux axes bien distincts : d’une part, entretenir des réseaux d’élus à la faveur de tel ou tel service, d’une subvention, de repas fastueux dans la résidence du Président rue de la Préfecture, ou en mettant plein les yeux aux visiteurs avec la profusion d’art contemporain exposé dans ses bureaux, le péché mignon de Paumier ; d’autre part, communiquer auprès de la population et des électeurs sur sa gestion en bon père de famille, soucieux d’équilibres budgétaires, d’investissements judicieux et de consensus, Paumier étant obsédé par la symbolique de l’unanimité qu’il entend obtenir par tous les moyens, lors des votes du budget par exemple. La tâche est d’autant plus facile qu’il a été directeur général des services du CD37 puis vice-président en charge des finances. Les budgets et les manœuvres, il connaît ça sur le bout des doigts et il est très fort : pendant pas mal d’années en effet, personne ne votait contre son budget, pas même la gauche, il est vrai pas bien virulente. Bref, le dossier de la protection de l’enfance, celui des mineurs migrants ou des services de lutte contre les incendies étaient des épines dans le pied de Paumier dès le début de son mandat et il a voulu les traiter rapidement et à sa manière : il s’agissait de faire des économies sans en avoir l’air, de se poser en homme d’action et d’expertise, de contrôler la communication et de purger ces secteurs trop dispendieux, de jouer au Ponce Pilate du social, se lavant les mains des effets des économies drastiques qu’il impose.
Une cadre du secteur qui a fait toute sa carrière dans le coin précise : « Paumier est peu connaisseur des problématiques de la protection de l’enfance, lui qui vient des métiers de la gestion, passé par Orange avant de se consacrer à la politique. Son positionnement est issu de la démocratie chrétienne qui renvoie les questions sociales à la charité, avec une méfiance très forte envers les travailleurs sociaux, suspects de gauchisme et d’indiscipline. Paumier s’est vite retrouvé dans une position ambiguë : président d’une collectivité fortement spécialisée dans le social et la solidarité, il s’en désintéresse fortement, préférant les thématiques chères à la droite à la papa, économie, rural, infrastructures, culture d’apparat et rayonnement touristique (…) Parfois, on a même l’impression qu’il ne comprend pas les enjeux ni la culture professionnelle du secteur, et comme il est vite mis en difficulté lors des confrontations orales, il a globalement déserté les rencontres avec les travailleurs du social ».
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En fait, dès 2017, sentant le vent tourner, la direction de Verdier avait entamé le virage des économies et de la restructuration avec la rationalisation du patrimoine immobilier de la fondation et la réorganisation du travail avec un glissement généralisé des compétences afin de comprimer la masse salariale. L’absorption par la Croix Rouge n’a donc pas changé radicalement l’évolution déjà engagée, elle l’a juste accélérée et gravée dans le marbre :
« Avant, chaque éducateur spécialisé [bac+3] suivait plus spécifiquement deux jeunes, il s’occupait de tout le projet éducatif, du lien avec l’école et d’éventuels soins, des questions d’orientation et des relations avec la famille, tout en consacrant 90% de son temps à gérer le quotidien dans le foyer. Maintenant, on suit six jeunes, un quart de notre temps de travail est fléché vers des temps de rédaction et de travail de bureau, notamment pour produire les synthèses dont ont besoin les juges pour adapter les mesures qu’ils décident pour les jeunes. Les temps hebdomadaires de réunions d’équipe ont été divisés par deux et, même si du coup on est obligés d’être plus efficaces, ça nuit clairement à la construction d’un esprit et d’un sentiment d’appartenir à un collectif. Les Moniteurs-éducateurs [bac+2], eux, suivent plus spécifiquement quatre jeunes et peuvent désormais participer à la rédaction des synthèses transmises aux magistrats, même si ça demande de se coordonner avec l’Éducateur. Les maîtresses de maison s’occupaient traditionnellement de l’entretien, de la nourriture, du linge, des courses et de surveiller un peu les jeunes, mais maintenant, elles ont des fonctions éducatives et une courte formation initiale, le tout pour un SMIC et avec la perspective de toucher 1800 euros après 25 ans de boîte… Et je ne parle pas des recours à des gens en CDD ou à des stagiaires à qui on file des responsabilités. Toutes ces transformations des missions et même de l’identité professionnelle, il a fallu un peu se débrouiller, en prendre acte et changer, ce qui n’est pas si simple pour les collègues les plus âgés, ni même pour les plus jeunes, qui n’avaient pas forcément signé pour tout ça, d’où pas mal de départs… » livre une éducatrice expérimentée.

Côté Aide Sociale à l’Enfance – l’administration qui gère les placements et mesures éducatives ainsi que le suivi des jeunes pour le compte du Département – la restructuration a eu aussi son cortège d’effets. Le nombre d’éducateurs référents des jeunes a diminué, provoquant mécaniquement une hausse du nombre de dossiers à traiter, noyant un peu les éducateurs sous les tâches administratives et poussant leur hiérarchie, surtout les directeurs, à jongler avec les dossiers les plus complexes ou remplaçant au pied levé les éducateurs en congés pour assurer la continuité du service. On imagine bien les volumes horaires hebdomadaires et la disponibilité que cela engage… D’ailleurs, les éducateurs de la Croix Rouge témoignent que lors des audiences devant le magistrat, ce sont eux qui exposent la situation du jeune, le bilan de la mesure éducative et les préconisations pour la suite, alors que ce rôle était dévolu aux représentants de l’ASE auparavant, visiblement débordés par les dossiers et donc peu au courant du détail des situations.
Un cadre du secteur avec vingt ans de boutique ajoute : « Il y avait besoin de clarifier les rôles et places de chacun dans les équipes, ça c’est un aspect positif des évolutions récentes, mais c’est dommage que le principal moteur de la transformation soit de faire des économies. Les temps de travail en équipe, les moments de tuilage lors des passations entre les équipes du matin et du soir, les espaces de convivialité ont été rognés, et quelque part ce n’est pas du temps d’économisé, parce qu’on fait d’abord un métier qui engage de l’humain, on a besoin de ces moments pour mettre de l’huile dans les rouages, parler d’un souci dans l’organisation ou partager un avis sur un jeune qui dérape ou qui va mieux. Pour nous les cadres, on a davantage d’équipes à gérer car on est également moins nombreux, si bien qu’on se décharge sur des coordinateurs intermédiaires pour l’animation des réunions d’équipe ou pour certaines tâches administratives. On doit aussi faire de la formation, accompagner les équipes dans les évolutions de leurs missions, tout ça dans un contexte d’après Covid assez anxiogène et avec des transformations sociales rapides qui changent aussi le métier : la question du harcèlement et des réseaux sociaux, les questions de genre et d’identité sexuelle, des parents parfois procéduriers, le rôle plus important des avocats, les problématiques psy qui explosent, la désocialisation et la déscolarisation… En fait, on dispose de plein d’outils et de toute une palette d’actions éducatives, le placement du jeune étant un dernier recours, mais le manque de moyens fait que parfois on ne choisit pas le meilleur dispositif pour le jeune, mais celui où il reste de la place et ça, pour construire un projet éducatif et associer les familles, c’est catastrophique. »
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Pour sa part, la Croix Rouge a géré la transition de façon assez ambivalente, un peu à la manière de ce qui se fait dans le privé : d’un côté de nombreuses questions restent dans le flou et sont renvoyées à plus tard, même si la direction se veut rassurante et sereine en toute circonstance, de l’autre, tout un discours corporate a été fourni, avec stylos et pochettes Croix Rouge offerts aux nouveaux « collaborateurs », le tout avec les éléments de langage qui vont bien. Ainsi, la fondation Verdier du futur, « permettra à tous les salariés du pôle de se projeter dans une démarche d’amélioration de la qualité pour les cinq ans à venir et s’inscrira dans la stratégie 2030 de la Croix-Rouge française où chaque acteur participera activement », apprend-on dans un document interne daté du 3 décembre dernier. Comment ne pas être en effet rassuré… ?

« En fait, l’absorption se réalise en deux temps, là pour l’instant c’est la phase cordiale, mais rien n’est vraiment réglé sur le fond. Les anciens de Verdier avaient des contrats alignés sur la convention collective du secteur social qui date de 1966, assez protectrice, mais la Croix Rouge veut imposer sa propre convention collective et s’est donné 15 mois de négociation pour boucler cette question pourtant très sensible. Comme le Comité Social d’Etablissement (CSE) de Verdier a été dissous l’été dernier et que la direction de la Croix-Rouge refuse pour le moment d’organiser de nouvelles élections, les salariés de Verdier ne disposent pas de représentants pour dialoguer avec la direction, du coup, on n’a pas les infos, on ne peut rien faire remonter par des voies officielles. En plus, les délégués du CSE de la Croix Rouge ne nous connaissent pas, ils ne sont pas non plus familiers de la protection de l’enfance, alors c’est un peu bizarre. A un moment ils nous avaient proposé de laisser une place à un ancien de Verdier, mais ça ne s’est pas fait… » commente un éducateur un peu désabusé qui enchaîne : « Le cas des maîtresses de maison, par exemple, n’est toujours pas réglé, car dans la convention collective Croix-Rouge, elles n’ont clairement pas la même fonction : horaires fixes et tâches plus ou moins de femmes de ménage, sans prise en charge de jeunes ni de gestion de collectifs… Rien à voir avec ce qui se fait dans les équipes actuelles de l’ex-Verdier donc (…) En fait les nouvelles embauchées en tant que maîtresses de maison n’ont aucun congé supplémentaire puisque sous convention collective Croix-Rouge… Alors qu’elles font week-ends, horaires décalés, prise en charge du groupe… C’est carrément honteux et à voir avec les syndicats dans quelle mesure c’est légal d’ailleurs. A mon avis, à l’avenir, toutes ces personnes ne seront plus qualifiées comme maîtresses de maison, on leur trouvera un intitulé teinté travailleur social, parce que les faire repasser seulement du matin et sans week-end reviendrait à faire machine arrière, et donc nécessiterait de ré-embaucher des moniteurs éducateurs et des éducs pour couvrir les besoins du service… Et ça, ça ne serait plus du tout en phase avec le budget alloué par le CD37 (…) Pour les surveillants de nuit dans nos foyers d’accueil, leur ancienne qualification les réduisait à un poste de gardiennage ni plus ni moins… ce qui ne correspondait pas hyper bien à la prise en charge de douze mômes placés, la direction a donc transformé un peu leur statut, avec quelques congés en plus ».
Un éducateur syndiqué rajoute : « On voit bien que tout est un peu géré dans l’urgence et pour tout dire, un peu à l’arrache : la question des salaires et des congés n’est pas non plus réglée. A la Croix Rouge il y a un treizième mois qui est censé remplacer certaines primes que l’on percevait avec Verdier, mais est-ce qu’il va être lissé sur toute l’année ? Versé en une, deux fois ? Et puis cette prime, elle est minorée en fonction du nombre de jours où on a été absents ou malades pendant l’année écoulée, c’est un drôle de truc. Les collègues ont besoin d’avoir des réponses, parce qu’avec notre niveau de salaire, il peut y avoir des fins de mois difficiles si on ne connaît pas précisément ce qu’on va toucher (…) D’ailleurs la manœuvre est actuellement dénoncée et, sous l’impulsion d’une avocate, cinquante salariés ont renvoyé une lettre pour signifier à la direction que le lissage était illégal et qu’il était hors de question que l’on s’assoit sur notre ancienne prime non-imposable »

« Et puis la perte de congés, notée depuis le passage à la Croix Rouge, ça inquiète pas mal, parce que c’est une contrepartie intéressante dans le métier, alors des petits salaires et moins de congés, c’est pas possible comme perspective (…) Il y a carrément des collègues comme les secrétaires qui ont perdu leurs congés trimestriels qui viennent se rajouter aux cinq semaines légales. On parle de deux semaines de vacances en moins ! Pareil, depuis des années, Verdier nous filait des chèques-cadeaux à hauteur de 172 euros à l’automne, ça nous servait à faire les cadeaux de Noël, mais la Croix Rouge a fait la sourde oreille pendant des semaines. Et quand ça a commencé vraiment à ruer dans les brancards, finalement la direction a fait distribuer des chèques-cadeaux en toute urgence…le 23 décembre. Sympa pour les courses en toute quiétude le 24 décembre et pour ceux qui travaillaient ce jour-là, tant pis… Pire, à l’automne la Croix Rouge a eu l’idée d’une nouvelle gestion des dépenses professionnelles. Il y a dix ans, nos cadres avaient une enveloppe avec un peu de sous disponibles s’il y avait besoin d’acheter une paire de baskets à un gamin placé qui veut faire du sport ou alors pour en emmener d’autres au ciné de temps en temps, ce genre de truc qui peut avoir une fonction éducative ou juste humaine, par exemple pour changer les idées d’un jeune qui n’a pas le moral. Bon, c’était pas le luxe, mais ça avait son utilité. Depuis au moins 5 ans on avait déjà des cartes bleues pro, avec compte pro individuel et totalement gratuit, mais à l’automne dernier, la Croix-Rouge a voulu que les cartes pros deviennent les nôtres et à nos frais. Carrément ! Heureusement, la direction a bien vu que ça grinçait trop et le projet a été abandonné. Et tout ça, dans le contexte national de refonte du système de la protection de l’enfance voulu par Emmanuel Macron qui rajoute en incertitude et perspectives de précarisation, sans parler des frustrations après les accords du Ségur de la Santé où les personnels soignants ont obtenu des primes pour leur engagement pendant le Covid, alors que les travailleurs sociaux, qui ont beaucoup donné et pris pas mal de risque en première ligne comme on dit, bah on attend encore des réponses claires » enchaîne un autre éducateur.
Une collègue complète : « il y a des signes qui ne trompent pas, notre directeur, très apprécié du personnel – M. Matthieu Plou – qui avait remplacé l’ancien, parti en plein processus de négociation avec la Croix Rouge, a annoncé aussi qu’il démissionnait. Et on a appris dans la foulée que c’est Mme. Véronique Folch, la directrice territoriale de la Croix Rouge qui a géré les négociations avec Verdier qui va prendre la tête de la structure, sans être du tout spécialiste de la protection de l’enfance. Il faut bien prendre la mesure de la chose : avec l’absorption de Verdier, la Croix Rouge dans le 37 double le nombre de ses salariés en passant dans un domaine d’activités où ils ont très peu d’expérience ».
De leur côté, les syndicats qui ont mobilisé les personnels le 7 décembre mettent en avant « le manque de moyens humains et matériels qui est hyper alarmant et qui fait peser des conditions indignes de prise en charge sur les mineurs placés, alors même qu’ils partent déjà avec de nombreux soucis dans la vie. Il manque du monde et il y a d’énormes difficultés pour recruter ce qui entraîne une déqualification du personnel, avec les risques que cela comporte pour la bonne conduite de nos missions. L’objectif du gouvernement est d’aligner les conventions collectives du social par le bas, supprimer le paritarisme dans la gestion de l’avancement des personnels et introduire une prime à la performance. Nous on demande une formation digne pour les jeunes collègues et une augmentation de salaires de 180 euros pour chacun et de 400 euros à terme. C’est juste un alignement sur l’inflation de ces trente dernières années qui a rogné considérablement notre pouvoir d’achat » résume un délégué syndical.

Et un cadre de relativiser : « la Croix-Rouge participe au mouvement de concentration dans le social, mais c’est une association, pas une boîte qui veut faire de l’argent, comme cela peut arriver dans le secteur, par exemple avec le groupe SOS, un temps candidat à l’appel à projets de 2019. La taille de la Croix-Rouge permet de ne pas se faire bouffer et d’être totalement soumis au bon vouloir de tel ou tel politique. Et puis, la direction est à l’écoute et pas mal des demandes des cadres qui connaissent le terrain sont prises en compte. Les partenaires institutionnels nous écoutent et nous font confiance, le CD37 va même jusqu’à financer des places supplémentaires dans notre structure, prenant conscience des réels besoins (…) et puis, appartenir à un géant du secteur, ça permet de mutualiser les trésoreries, d’avoir des ressources pour organiser des formations, de l’aide d’interlocuteurs d’autres départements pour peaufiner des expérimentations et projets, pour rationaliser aussi des coûts et des pratiques. Je suis plus optimiste qu’il y a trois ans mais il faut maintenant que les choses se stabilisent et que chacun trouve tranquillement sa place ». Un salarié syndiqué conclue moins tendrement : « Ils financent maintenant les places que ce même conseil départemental a supprimé tranquillement entre 2015 et 2020, alors qu’on hurlait qu’elles étaient nécessaires. C’est vraiment des fourbes. Cinq ans qu’on leur dit que leur schéma départemental n’est pas du tout à la hauteur des besoins, et nous on accepte de faire de la suractivité, la bouche en cœur, juste parce que c’est notre financeur… Et qu’on a aucun choix, en fait. »
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On a désormais l’habitude, le lent démantèlement du social est d’autant moins pris en compte que les travailleurs du secteur pallient les manquements du système en s’adaptant et en travaillant toujours plus intensément. Pourtant, malgré les mouvements de grève, malgré la médiatisation locale, malgré les dossiers plus conséquents sur ce modeste blog, malgré les interventions des experts du secteur et malgré l’intérêt de quelques élus, la question de la protection de l’enfance n’a pas été du tout l’objet de débats pendant la campagne des élections départementales de 2021, pas plus que lors des présidentielles, alors même qu’Emmanuel Macron avait missionné Adrien Taquet pour une ambitieuse refonte du système en 2017.
La gauche, elle, se disperse et semble s’intéresser un peu trop aux questions de tactiques partisanes ou personnelles, oubliant sa mission à destination du secteur social, en voie avancée de marchandisation. Espérons que cette gauche, abonnée à l’opposition au CD37, saura se saisir de ces enjeux lors de la présente mandature, pour ne pas rater une des dernières occasions de défendre le service public, ses usagers et ses travailleurs. Premier élément de réponse à cet espoir, il y a quelques jours, les élus PS et apparentés se sont contentés de s’abstenir lors du vote du budget proposé par Jean-Gérard Paumier. Seuls les écologistes ont voté contre, sur des questions environnementales. Mais que l’on se rassure, ils se sont montrés solidaires sur les réseaux sociaux lors de la grève des salariés du pôle enfance de l’ASE… De quoi faire trembler Jean-Gérard Paumier et sa toujours première vice-présidente en charge des affaires sociales, Mme Nadège Arnault, alors même que le schéma départemental de la protection de l’enfance arrive à terme cette année et que les groupes de travail sont déjà installés afin d’en bâtir un nouveau pour cinq ans. On verra lors de cette séquence décisive si les visions technocratiques et l’atonie des élus restent de mise au Conseil Départemental d’Indre-et-Loire.

merci pour ce travail! 🙂
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Étant travailleur social à la croix rouge, je vous souhaite beaucoup de courage. Derrière la belle vitrine, les modalités de gestion sont juste catastrophiques. Seul le fric compte.
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Article de qualité si je peux me permettre : ça parle de l’exigence du travail d’accompagnement des travailleurs sociaux qui au gré des gens de pouvoirs est bafouée gravement. Il y a comme une certaine honte à constater les choix faits dans la politique de protection de l’enfance. Votre travail est essentiel.
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