Suite de la série dédiée sur ce blog aux services publics : après quinze ans de néo-libéralisme et alors que la situation craque de toute part – protection de l’enfance, école, hôpital, psychiatrie, services de secours, assistance sociale, ferroviaire – des agents prennent la parole pour défendre fièrement et dignement leurs missions d’utilité publique.
Aujourd’hui, un service mal aimé quoi que surpuissant et absolument clef : l’administration fiscale. A la fois fer de lance du new public management, avec ses légions de hauts fonctionnaires, les mieux classés de l’École Nationale d’Administration, qui entendent importer les méthodes du privé dans la gestion des affaires publiques, et à la fois laboratoire depuis Sarkozy de la réduction des effectifs et de l’automatisation des tâches.
***
Avant de nous concentrer sur les enjeux actuels, petit retour en arrière pour comprendre la généalogie d’un des cœurs de l’État… En fait, dès la fin de l’Empire Romain d’Occident, la question financière est centrale pour les structures de pouvoir car il en va de la survie des derniers restes de l’État, en pleine recomposition, notamment dans les espaces Francs. Le principal besoin est de financer une armée coûteuse, mais unique gage de sécurité et de stabilité, conditions indispensables pour faire tourner la machine économique, à une époque où l’essentiel de l’activité est agricole et faiblement productive. A cette époque, les flux de recettes et de dépenses de l’État étaient souvent confiés à des gestionnaires privés qui utilisaient leur fortune personnelle pour faciliter la disponibilité en trésorerie à tout moment, contre de confortables commissions ou des faveurs du Roi. Les carolingiens fixent cet héritage franc et généralisent le système de la concession qui devient une des bases de la fiscalité féodale : le roi concède des parties de son domaine à des comtes ou évêques chargés de lever les redevances que doivent verser les paysans et artisans puis en redonnent une partie au roi, accentuant leur lien d’interdépendance. De plus, la circulation des marchandises et certains services administratifs (justice, droits de mutation, enregistrement de transactions…) deviennent de substantielles sources de revenus par la taxation, tout comme certaines infrastructures payantes monopolisées par les seigneurs : fours, moulins, ponts, pressoir ou canal.
A la Renaissance, avec la multiplication des impôts, la complexification de l’activité économique et des circuits commerciaux, la forte augmentation de la population et des besoins en investissement, souvent militaires, l’État est poussé à rationaliser sa gestion budgétaire, s’appuyant sur les progrès des mathématiques et de la comptabilité venus d’Italie. Une caisse centrale du roi est crée en 1523, rebaptisée Trésor Royal par le surintendant des finances Colbert en 1664. L’impôt devient régulier, sa collecte s’institutionnalise et il s’étend à tous les sujets, les particularités locales s’effaçant peu à peu.
La Révolution Française va en quelque sorte nationaliser la caisse royale qui devient le Trésor Public en 1790, véritable avancée démocratique, gravée dans la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, à l’article 14 : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». Un ministère à part entière est crée sous l’Empire en 1806 afin de centraliser le recouvrement des recettes budgétaires. Un service du cadastre est également institué pour permettre un calcul précis des impôts pesant sur le foncier. Tout au long du XIXème siècle, ces services gagnent en organisation, se dotent de textes réglementaires et de méthodologies de contrôle des comptes publics et produisent de synthèses budgétaires pour donner des vues d’ensemble fiables au pouvoir législatif et exécutif. Cependant, les enjeux politiques de l’impôt restent entre les mains de la bourgeoisie qui privilégie la fiscalité indirecte (droits de douane, taxes sur l’alcool, les timbres et le tabac, taxes sur les transports, taxes de transmission et de transactions) et entend garder la fiscalité directe appliquée aux patrimoines et aux capitaux la plus basse possible.

Au moment de la Première Guerre mondiale, l’extension du périmètre de l’État et les nouveaux impôts qui répondent aux gigantesques besoins de la guerre vont aboutir à la création d’un service spécial chargé de la collecte de l’Impôt sur le revenu. Ainsi, au cours de la décennie 1910, la part de la richesse nationale captée par l’impôt passe de 10% à 20%, surtout par l’extension des impôts directs. Le calcul de l’imposition se base alors davantage sur le profil du citoyen, sa situation familiale, ses revenus, son lieu de résidence, les personnes à sa charge, etc…
En 1948, enfin, avec la profonde restructuration de l’État après la guerre, l’administration fiscale est refondée, avec d’un côté la Direction Générale des Impôts (DGI) chargée de calculer l’impôt, de le contrôler pour repérer les fraudes et d’en gérer les contentieux en cas de litige. De l’autre côté, on retrouve la Direction Générale de la Comptabilité Publique (DGCP) qui s’occupe du recouvrement de l’impôt, des amendes, de certaines taxes et de certaines factures des collectivités locales (eau, piscine, cantine). La DGCP établit également les comptes publics et procède au paiement des dépenses publiques, comme par exemple le traitement des fonctionnaires. Parallèlement, le code général des impôts est compilé et rationalisé dans les années 1960 alors même que l’apparition de l’informatique tend à automatiser et accélérer les procédures. Toutes ces évolutions ont laissé des traces politiques – par exemple la contestation anti-fiscale poujadiste – mais ont acté la mise en place d’un Etat-Providence aux larges compétences, et, depuis les années 80, c’est environ 45% de la richesse nationale qui est désormais captée par l’État pour son fonctionnement et le financement de ses politiques.
***
Tout cet édifice issu de 1500 ans d’Histoire dont les régimes politiques ont sédimenté peu à peu la structure, représente encore aujourd’hui la plus puissante et prestigieuse administration. Mais les évolutions historiques n’ont pas cessé de le modeler et avec l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, le néo-libéralisme à la sauce anglo-saxonne fait son entrée au cœur de l’État, dans l’administration fiscale elle-même.
« Une des premières décisions du gouvernement Fillon et du Ministre du Budget Eric Woerth [issu de sciences po et HEC, passé par le consulting privé et mêlé depuis à quatre scandales politico-financiers – NDLR] à l’été 2007 a été de fusionner la Direction Générale des Impôts et la Direction Générale de la Comptabilité publique pour accoucher d’une Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP), l’objectif affiché étant la mutualisation et la rationalisation des moyens afin de gagner en efficience…tout en faisant des grosses économies en personnel par le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. On est donc passés de 130 000 agents en 2008 à moins de 100 000 aujourd’hui, une baisse de plus de 25%… » explique un cadre de l’administration fiscale, qui poursuit : « le projet de fusion est un vieux serpent de mer, les socialistes avaient déjà tenté le coup dans le passé ,en 2000, mais de grandes grèves portées par les agents, très syndiqués dans le secteur, avaient fait échouer les réformes. En fait, depuis les années 60, les agents des services des impôts et du trésor sont très politisés et, au-delà de leur statut et des conditions de travail, ils défendent d’abord ce service public essentiel, comme cela avait été le cas lors des grands mouvements de 1989. La gestion de l’impôt, la lutte contre la fraude et la transparence dans ce domaine sont les conditions de la justice sociale et du sentiment de faire société ensemble (…) On ne va pas se mentir, on a pas choisi ce métier par vocation, mais une fois dans la maison, on saisit rapidement les enjeux du service public que l’on anime, et on aime notre boulot et le sens qu’il peut avoir (…) et on n’est pas les seuls, même si les médias aiment nous coller mauvaise réputation, les enquêtes montrent que les usagers sont satisfaits de notre travail, de nos conseils et de notre aide ».
Un agent qui travaille sur le site de Champ-Girault à Tours, rajoute « les statistiques et les économies, ça fait plaisir au ministre et ça fait bien pour afficher son bilan lors de la campagne suivante, mais ça cache la réalité de la situations pour les usagers. En Indre-et-Loire on est passés de 32 trésoreries il y a 20 ans à … 0 aujourd’hui, au profit de la dématérialisation à outrance et du choix de mettre le paquet sur Internet. Bien sûr, il reste la possibilité d’aller dans les gros centres de Loches, Amboise, Tours ou Chinon, sur rendez-vous, ou alors de tenter le coup sans rendez-vous, sur le modèle de ce qui se fait à la CAF, avec tickets, files, box, façon fourmilière. Parfois, ce sera un jeune en service civique payé 475 euros par mois qui vous aidera à remplir les documents en ligne (…) Le ministère annonce fièrement le développement des Maisons France Service dans des espaces plus isolés, mais le personnel sur place n’est que très peu formé aux formalités fiscales et généralement, ça se finit par une prise de rendez-vous dans un grand centre ou en visio (…) en fait, l’ancien maillage des trésoreries sur tous le territoire, au-delà d’être proche des personnes qui pouvaient avoir des difficultés à faire de grands trajets ou simplement qui n’avaient pas les moyens, pas de famille, pas de voiture ou des ennuis de santé, servait également de lieu de sociabilité. On y accueillait les usagers, on pouvait les conseiller, répondre à leurs questions, parfois remplir leur déclaration en cas de situation compliquée, on pouvait y distribuer les aides spéciales, notamment en liquide, un moyen bien plus simple et moins humiliant que des tickets ou bons (…) Dans les campagnes, c’était hyper important, là où la culture numérique et les réseaux ne se sont pas déployés, là où on n’a pas de carte bleue ou de smartphone avec les applis qui vont bien. On y payait parfois la facture d’eau ou de cantine, on y rencontrait pas mal de monde, c’était un vrai lieu de vie (…) la petite vieille, veuve, sans permis et avec ses enfants qui habitent loin, elle fait comment si elle n’a pas Internet et qu’il n’y a pas de transports en commun pour venir à Tours et se noyer à Champ-Girault ? ».

Un délégué du personnel de la DGFiP éclaire la question côté agents : « Les chiffres avancés par les syndicats au national sont sans appel, entre 2011 et 2018 la souffrance au travail a augmenté de 25% chez les agents, avec un stress permanent et une perte de confiance. Les collègues ont l’impression d’être devenus des simples rouages d’un système déshumanisé, la charge de travail a explosé avec les réductions d’effectifs, mais la perte de sens c’est ce qui ronge le plus les personnels, l’impression d’être inutiles et de ne plus assurer un service de qualité (…) Prenez les services de contrôle et de vérifications fiscales. Dans les années 1990 et 2000, les fiscalités des particuliers et celles des entreprises, implantées dans chaque centre des impôts, ont fusionné, puis se sont regroupées dans des pôles départementaux uniques. À Tours, en 2009, il y avait alors 24 agents qui travaillaient dans ce pôle unique. En 2010, ils perdaient deux postes, et aujourd’hui ils ne sont plus que 10 à travailler dans le pôle. Désormais, la direction centrale du ministère envoie à tous les contrôleurs et inspecteurs des fiches sur des personnes ou entreprises à contrôler, le travail se fait au bureau et la capacité d’initiative, de repérage et d’analyse a été considérablement réduit. En aval de ce service, les brigades de vérification ont vu pendant longtemps leurs emplois prétendument « sanctuarisés », c’est à dire pas concernés par le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Ce n’est plus le cas, et la hiérarchie met la pression avec des objectifs chiffrés de redressements, les vérifications directement dans les entreprises ou chez les particuliers se cantonnent aux points d’investigation pré-mâchés par les fiches issues de la direction centrale du ministère, alors qu’avant on pouvait en profiter pour laisser traîner nos yeux et nos oreilles, des fois que l’on constate d’autres infractions … et dire que le gouvernement veut nous faire croire que la lutte contre la fraude est une des priorités du quinquennat (…) D’autres postes sont aussi concernés : on a perdu beaucoup de géomètres et d’agents du cadastre, là aussi l’automatisation va bon train, quitte à utiliser des logiciels privés ou à aller sur Google Maps pour vérifier les déclarations de constructions de piscines…(…) Les collègues sont aux premières loges de tout un tas de petites et grandes injustices, de pas mal de combines, et ça ça fait mal encore une fois au sentiment d’utilité. Le jeu ne se fait pas du tout à armes égales entre les entreprises, les illustres particuliers et l’administration fiscale,sans même parler du code des impôts qui grossit chaque année de ses articles dérogatoires et de ses niches fiscales obtenues par amendement. On est aux premières loges du manque grave de civisme qui frappe pas mal de privilégiés, et on réduit encore nos moyens ».
***
Moins médiatique que la situation à l’Hôpital, moins soutenue que le service public d’éducation, l’administration fiscale n’en souffre pas moins et ce serait une grave erreur de ne pas s’en soucier, car il en va de justice sociale, du partage de l’effort commun et de la capacité de financer nos choix politiques, conformément à ce que rappelle l’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
Après 15 ans de régime néo-libéral et avec les promesses d’Emmanuel Macron de continuer la « réforme de l’État » et d’impulser des économies dans un contexte inflationniste post-covid, le moment est crucial. Et seule la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale dispose du programme et de la dynamique pour construire des politiques plus solidaires et solidifier les services publics dans l’intérêt des usagers et dans le respect des agents. Les 12 et 19 juin prochains, en Indre-et-Loire, ce seront Charles Fournier, Christelle Gobert, Roxane Sirven, Laurent Baumel et Françoise Langlade qui porteront cet espoir.
excellente analyse pour un service essentiel ( recadrage historique, problèmes actuels). pas de justice sociale sans une administration fiscale solide ( cf pôle financier) et capable de guider et d’aider les citoyens .
J’aimeJ’aime
Josephine, Merci de ces infos documentées ! Quel bon boulot! nous sommes ravis de lire vos textes. Nupesement vôtre. Geneviève et Gilles Chambord Hamaide
J’aimeJ’aime
Bravo encore pour cet éclairage et cette qualité rédactionnelle! Je lis, j’apprends et je comprends! merci et que le vent tourne aux législatives pour le meilleur!
J’aimeJ’aime
Une nuance … avant à la fusion , c’est la DGI qui recouvre directement la plus grosse partie de l’Impôt : les Recettes des impôts encaissent laTVA de loin le plus productif de nos prélèvements .
J’aimeJ’aime