Alerte sur la situation des EHPAD en Indre-et-Loire

Suite de la série dédiée sur ce blog aux services publics : après quinze ans de néo-libéralisme et alors que la situation craque de toute part – protection de l’enfance, école, hôpital, psychiatrie, services de secours, assistance sociale, ferroviaire – des agents prennent la parole pour défendre fièrement et dignement leurs missions d’utilité publique.

Aujourd’hui, on parlera des problématiques propres à la prise en charge des personnes âgées dépendantes – sujet épineux s’il en est –, ce qui soulève d’énormes enjeux, avec le vieillissement de la population issue du Baby Boom et alors que les liens familiaux distendus limitent fortement la prise en charge dans le cadre familial. La crise du Covid et les révélations récentes sur le système Orpéa qui a déclenché une demande d’enquête par le gouvernement ont beaucoup médiatisé la question. Mais qu’en est-il en Indre-et-Loire ?

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Les Établissements d’Hébergement pour Personne Âgée Dépendante (EHPAD) ont été crées par une loi de 2002. Ces établissements publics, privés associatifs ou privés lucratifs sont soumis à une autorisation du Conseil Départemental et de l’Agence Régionale de Santé (ARS) qui évalue la conformité du projet d’établissement à la loi tout comme la qualité de l’hébergement, de la prise en charge de la personne dépendante et des soins délivrés. A ce titre, les EHPAD sont des lieux qui croisent les compétences et les tutelles administratives qui les obligent à signer des conventions tripartites tous les 5 ans, formalisant les budgets, les objectifs et les modalités d’accueil et donnant lieu à des évaluations, dans la perspective d’une amélioration permanente de l’offre.

Cette tripartition des EHPAD s’organise de la manière suivante : un axe structure d’hébergement avec une direction, des personnels d’entretien et des animateurs ; un axe prise en charge de la dépendance, avec des agents de service à la personne, des psys, des assistantes sociales ; un axe soins, avec des aides soignantes, des infirmières, des auxiliaires, des pharmaciens et des médecins. Cette configuration originale induit également un montage financier complexe qui s’explique par la répartition des compétences entre collectivités territoriales différentes.

La partie hébergement, tout d’abord, est payée par l’usager mais si ce dernier n’en n’a pas les moyens, ce sont les services de l’Aide Sociale du Conseil Départemental qui prennent en charge les sommes, essentiellement pour les personnes âgées isolées, sans domicile fixe ou touchant le minimum vieillesse. Mais il est aussi possible pour les résidents de percevoir des aides publiques au logement (APL) en fonction de leurs revenus. La partie dépendance, ensuite, est calculée après évaluation du degré d’autonomie de l’usager par un médecin selon une grille nationale dite AGGIR, c’est aussi le Conseil Départemental qui va financer cette partie, au titre de ses compétences pour le versement de l’allocation personnalisée d’autonomie. L’usager, si son niveau de revenu le permet, paye une partie de la prise en charge de sa dépendance et du reste, les EHPAD calculent également une moyenne du taux de dépendance de leurs résidents et touchent une enveloppe globale corrélée, ce qui facilite la gestion des fonds sur l’année. La partie soins, enfin, est prise en charge par l’Assurance Maladie.

Concrètement, il y a en France 11 000 établissements, soit 770 000 places disponibles, en augmentation de 50% en 15 ans. Les établissement publics accueillent plus de la moitié des usagers et dispose de 2 personnels pour 3 usagers. Le privé lucratif, lui, c’est 25% des places, et juste 1 personnel pour 2 usagers en moyenne. Presque les deux tiers des établissements privés lucratifs n’ont pas l’habilitation pour recevoir des personnes bénéficiaires de l’aide sociale, essentiellement dirigées vers le public. 85% des usagers des EHPADS sont dans des situations de forte dépendance. La durée moyenne du séjour en EHPAD est de de trois ans et demi, l’âge moyen du décès y est de 89 ans.

Plus précisément, sur un plan financier, en Indre-et-Loire, le coût journalier d’une chambre est en moyenne de 69 euros, il faut rajouter en moyenne 20 euros par jour pour la prise en charge de la dépendance et une quarantaine d’euros par jour en soins. Le tout coûte donc en moyenne 130 euros par jour soit 3900 euros par mois, légèrement au-dessus de la moyenne nationale. Par ailleurs, 80% des usagers n’ont pas la capacité de payer la totalité de ce qui reste à leur charge soit, en moyenne, 1900 euros par mois, demandés à la famille ou ponctionnés sur les revenus et le patrimoine des usagers si la personne n’a pas le droit à l’Aide Sociale de son Conseil Départemental.

Pour finir ce rapide tour d’horizon, niveau ressources humaines : il y a environ 380 000 personnes, toutes fonctions confondues, qui travaillent à temps plein dans un EHPAD. Le taux d’accidents du travail est trois fois supérieure à la moyenne nationale, les arrêts maladies sont 30% supérieurs au reste du secteur de la santé et l’absentéisme est très important, avec en moyenne 33 jours d’absence par an et par salarié. Le taux d’encadrement – le nombre de personnels par résident – est moitié moindre que la norme dans les pays du nord de l’Europe. Le turn-over dans le secteur est impressionnant : en moyenne, dans chaque Ehpad, environ les deux tiers des infirmiers et aides soignants sont soit arrivés au cours de l’année précédente soit cherchent à partir…

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Au-delà d’exposer des réglementations, des financements et des chiffres, qui scandent souvent les discours des politiciens de droite, des boîtes de conseil privés ou des membres des cabinets tout droit sortis de Sciences Po, ce qu’il faut faire, c’est tout simplement écouter les professionnels du secteur, les usagers et leurs familles. Eux seuls incarnent la véritable expertise et détiennent la légitimité, n’en déplaise à nos technocrates au pouvoir qui cherchent à légitimer comptablement le démantèlement de pans entiers de nos services publics.

Un ancien directeur d’établissement d’hébergement pour personnes âgées (EHPA) privé, c’est à dire une structure d’accueil mais sans soins délivrés sur place, commence : « De ces quelques mois où j’ai pris la direction d’un établissement, ou la directrice venait de partir pour burn-out, je n’en ai retenu qu’une très mauvaise et bien triste expérience. La très courte formation ne porte que sur les axes de rentabilité… dans chaque résidence il y a 2 commerciaux, directement rattachés à celle-ci, qui ont pour mission de démarcher les prescripteurs que peuvent être les cliniques et hôpitaux, en quête de futurs résidents qui ont fait une chute chez eux, qui sont hospitalisés et ne pourront plus réintégrer leur domicile ensuite. Ils démarchent aussi les assistantes sociales qui peuvent avoir connaissance de dossiers susceptibles de quitter leur domicile. Il y avait aussi du démarchage direct auprès de futurs clients, tout est bon pour faire signer un contrat ! C’est bien évidemment un management pyramidal, j’avais des objectifs à fixer à mes deux commerciaux, mon directeur régional me fixait des objectifs, et chaque début de semaine, ce n’était pas comment tu vas, mais combien tu as fait ? Pourquoi n’as tu pas atteint les objectifs de la semaine dernière, que mets tu en place pour y parvenir ? Bien que revendiquant le fait de ne pas être médicalisé, et d’accueillir une population de seniors autonomes, en fait, il fallait ratisser large et sans scrupules, le tout étant de remplir les appartements. Le contrat de base d’un résident incluait uniquement l’hébergement, à nous ensuite, une fois qu’ils avaient intégré la résidence, de l’orienter sur des prestations payantes supplémentaires telles que la restauration, l’animation, ou même l’assistance de nuit qui n’était pas souscrite de base ! C’est à dire qu’un résidant limite entre l’Ehpa et l’Ehpad, qui n’avait pas souscrit à l’assistance de nuit, pouvait rester sur le sol toute la nuit en cas de chute (…) J’ai vu une très grande souffrance au travail au niveau de l’équipe, une communication basée sous pseudo empathie et bien être, respect du résident, alors qu’ils n’étaient en fait que de véritables porte monnaie sur pattes, bref, j’ai fui tout ça avec horreur et profond dégoût au bout de quelques mois, je ne pensais même pas que ça pouvait exister ! ». Une infirmière en Ehpad privé confirme : «  c’est juste un boîte à fric, avec des cadres qui ne viennent pas du secteur mais qui sont des bureaucrates (…) on met le paquet sur la déco et les meubles des parties communes pour séduire les familles qui veulent placer leur parent, mais c’est juste une façade (…) on essaye de tout facturer, par exemple les compléments alimentaires qui sont fournis aux résidents en plus de leurs repas. Ça coûte cher et personne vérifie qu’ils soient vraiment pris. Mais la facture, elle, on ne l’oublie pas et les familles payent (…) je pense que les familles ne disent pas grand chose déjà parce qu’elles culpabilisent de ne pas s’occuper de leur proche et puis, elle ont peur que si elles se plaignent, ce soit leur parent pris en charge qui en subisse les conséquences par la suite. Il y a aussi le bain médiatique qui, à force de scandales, finit par faire accepter l’inacceptable».

Un fils de résident confirme : «  nous avons été, mon frère et moi, contraints de placer en Ehpad nos deux parents, je ne peux que louer les grandes capacités d’écoute et de grande bienveillance des auxiliaires de vie, j’ai une très grande reconnaissance pour eux. En revanche, les prix sont exorbitants, nous avons étés obligés également de vendre la maison familiale, les quelques terres et de vider leurs comptes, à 5730€ par mois pour les deux….dans le public pourtant ! Mais tout dépend du niveau d’invalidité AGGIR. Mon père est décédé depuis, et nous versons à présent chacun, mon frère et moi, une pension alimentaire en complément de la retraite de maman pour payer, c’est une obligation, mais nous devons encore 16000€ d’arriérés et avons fait une demande d’aide sociale au département…..qui traîne à venir. Cette aide sociale du département nous a été refusée pour motif que maman est une personne âgée vieillissante, mais nous avons porté un recours car elle est “personne handicapée vieillissante“ grande nuance d’interprétation, à priori, nous n’aurions pas dû payer tout ce que nous avons déjà payé, nous restons dans l’attente de leur réponse… »

John Fernandes, psychologue clinicien à Tours, spécialiste en gérontologie, enseignant, formateur et ancien salarié dans divers EHPAD de la région, met en perspective : « le vieillissement de la population, en fait, ce n’est pas juste une problématique démographique ou économique, ça pose des questions très profondes à et sur notre société, sauf que pour l’instant on ne fait qu’apporter une réponse institutionnelle à ces interrogations. Jusqu’à peu, et c’est encore le cas dans les pays du sud de l’Europe, on gardait nos âgés à la maison. Ce n’était pas simple, il y avait des tensions, de la promiscuité, parfois un des enfants, souvent la fille aînée, sacrifiait une partie de sa vie pour accompagner ses parents dans la vieillesse, mais cela se faisait dans un cadre familial élargi et les séniors participaient à leur mesure à la vie collective. Avec la mondialisation des modes de vie et de l’économie, l’éclatement de la cellule familiale, l’allongement des durées d’études, l’atomisation des carrières, la nécessaire mobilité des mutations et de la recherche de postes mieux payés ont eu des effets très concrets sur la réalité matérielle et géographique de la famille : on ne vit plus dans le même village ou dans la même ville que ses parents et que ses frères et sœurs. Le travail est plus intense, les temps de déplacements ont explosé, il est donc impossible pour un adulte de passer deux ou trois fois par jour apporter un repas ou vérifier que tout va bien chez ses parents. Mais il y a un fait plus profond encore : l’avènement de la société néo-libérale et du mythe de l’individu autonome. L’imprégnation, dans notre culture, du concept d’hyper autonomisation des sujets/individus a fini par nous faire croire que l’autonomie est la norme et que la dépendance est une tare, un moment anormal voire pathologique qu’il conviendrait de dissimuler. La dépendance, c’est la faiblesse et la vulnérabilité, c’est la condition même du grand âgeet de la maladie. Le constat est simple, il suffit de regarder où est-ce que l’on relègue nos aînés, les malades, les fous et les prisonniers : toujours en périphérie des villes, au loin, là où l’on accède par voiture, là où il n’y a pas de lieux de vie, de consommation ou de socialisation. Non, ces établissements sont évacués dans les marges et le commun des mortels ne s’y rend qu’avec une bonne raison. Et tout ça, ce n’est pas anecdotique, ça marque notre rapport inconscient et spatial au vieillissement et à la maladie.

Résultat ? Et bien nous sommes pris dans la contradiction entre cette représentation de l’individu autonome qui n’a pour unique limite que son talent ou son travail et la réalité des difficultés personnelles, familiales et sociales. La vieillesse de nos proches nous renvoie bien sûr à notre propre finitude, mais aussi à la culpabilité de ne pas nous occuper de nos aînés. En fait, il faut déjà désamorcer pas mal de choses : c’est normal de vouloir vivre sa vie sans avoir à gérer celle de ses parents, c’est normal de ne pas être à l’aise avec le fait de prodiguer soins d’hygiène et change à ses parents car c’est quelque chose qui est de l’ordre du tabou (l’anthropologie nous montre cela sans ambiguïtés), c’est normal d’avoir recours à des professionnels pour accompagner un parent devenu très dépendant. Je dirai même en tant que psychologue que s’occuper de ses parents nuit et jour lorsqu’ils sont en situation de grande dépendance peut porter le risque de désaffectiver la relation filiale qui devient presque une succession d’actes technique, on professionnalise ses gestes en inhibant peu à peu la part émotionnelle. A mon avis, passer par un EHPAD, ça permet de garder un rapport sain avec ses parents, sans non plus attendre des professionnels de ces lieux qu’ils se substituent à la famille, ce qui n’est pas toujours simple lorsque les enfants sont emplis du sacro-saint devoir familial ».

Une infirmière qui a quitté le secteur mais qui a réalisé des stages puis des missions en EHPAD nous éclaire, justement, sur les conditions de travail et de prise en charge : « En fait, dès qu’on est en IFSI [Institut de Formation en Soins Infirmiers – ndlr], on fait de suite des stages en Ehpad. Ils manquent tellement de personnel que ça leur est indispensable pour maintenir les services à flot. Là où j’étais, il y avait une trentaine de résidents à mon étage. Pas de médecin fixe, il faut l’appeler. Un psy à temps partiel. Une infirmière qui gère tout, notamment les prises de médicaments, trois aides soignants à 1500 euros par mois et quelques Agents des Services Hospitaliers (ASH) qui font en réalité office d’aide soignants, changent les couches, prennent en charge les toilettes, parfois ils aident pour mettre une sonde urinaire ou s’occuper d’une escarre. Le petit déjeuner est servi à 9h30 et il faut que tout le monde soit lavé et habillé pour cette heure. Du coup, les douches, c’est une fois par semaine ou par quinzaine, et on se contente d’une toilette au gant. Les résidents sont allongés sur leur lit et on s’occupe de plusieurs personnes en parallèle, vu qu’on devait laver dix résidents chacune en deux heures. Nous on va de chambre en chambre, on contrôle la toilette de ceux qui sont encore un peu autonomes puis on nettoie ceux qui ne peuvent le faire, bien sûr, on n’a pas le temps de discuter ou lors, si quelqu’un va trop mal, on reste quelques minutes, mais ce sera au détriment d’un autre résident . Les jours où on sait que la famille vient, on renforce les toilettes… Mais sinon, souvent, le linge est sale, avec des traces d’excréments, les sols sont dégueulasses et la nourriture… c’est honteux : pour le goûter, c’est un sachet de deux spéculoos sous vide et un verre de grenadine. Les familles sont mal accueillies, on les contrôle à l’entrée et ensuite elles sont laissées libres (…) Toute cette ambiance, la répétition de ces journées, ça nous fait devenir maltraitants malgré nous. On en arrive à ne plus servir à boire aux résidents après 18h pour ne pas qu’ils urinent la nuit et qu’il faille soit faire lever la collègue de permanence ou alors juste pour avoir moins de linge à faire le lendemain (…) je ne sais pas pourquoi on accepte ça, peut-être la pression, la peur du chômage, le dépit. On ne prend pas en considération la souffrance des résidents qui sont juste renvoyés à leur statut de vieux un peu chiant ou qui perd la boule, la dimension psy est peu prise en compte et essentiellement médicamenteuse et ils se laissent aller peu à peu, franchement c’est une sorte de suicide doux parfois (…) pendant mon stage en Ehpad, en région parisienne, on avait écrit une lettre avec des camarades de promo pour alerter la direction de l’IFSI des conditions infligées aux résidents. Surtout ceux en fin de vie mais qui n’avaient pas de famille pour continuer de payer. Ils finissaient en séjour longue durée dans un brancard dans le couloir, remplis de médocs. C’était vraiment un mouroir, une sorte de sous soin palliatif. Et bien on nous a demandé de nous taire et de faire profil bas car on n’allait pas changer ça… certains ont pris peur pour la validation de leur diplôme et ça s’est arrêté là. Moi, je n’ai pas continué longtemps et je me suis reconvertie». John Fernandes, spécialisé en psychologie gérontologique, rajoute d’ailleurs à ce sujet que « le système porte un risque de défaut de bientraitance. Quand les contraintes de temps sont trop importantes, on automatise les process, on cherche à optimiser les gestes, on protocolise tout, on réalise des statistiques, des analyses quantitatives sur les résidents devenus une sorte de matière première du soin, un objet inerte qu’il faut traiter et à partir de là, la personne qui reçoit les soins n’est plus associée, prise en compte. On ne fait plus avec elle mais pour elle, on pense à sa place, on fait à sa place, car cela va plus vite. Et gare au soignant qui prendrait trop de temps avec un résident car il met en péril la fragile chaîne de l’organisation des tâches (…) certains EHPAD privés et publics vont jusqu’à embaucher des qualiticiens, comme dans l’industrie, pour identifier les temps morts et donc rendre encore plus efficient le temps de travail des personnels, faisant la chasse aux pauses, aux discussions informelles, aux quelques moments plus détendus où l’on peut relâcher la pression. On en arrive au fait de se faire engueuler si on fait bien son soin et là, c’est le début d’une contradiction impossible à résoudre : suis-je un bon professionnel qui obéit à la hiérarchie ou suis-je un bon professionnel qui prend soin de ses patients ? La perte de sens que cette interrogation porte en germe est, selon moi, ce qu’il y a de plus difficile à gérer et qui explique la masse de turn-over dans ces métiers ».

Une déléguée du personnel assez expérimentée confie : « les chiffres au national reflètent bien ce que l’on constate en Touraine. On est en sous-effectif chronique, partout. Les arrêts se multiplient, l’épuisement, le burn-out, y compris dans les équipes de direction, se généralisent. Et puis, il y a aussi des grosses difficultés pour recruter : c’est mal payé, peu prestigieux, épuisant physiquement et moralement, le travail s’étant intensifié depuis 10 ans pour pallier le manque de moyens et tenter de garder un prix de journée compétitif. Les démissions sont très nombreuses, face à la difficulté (…) le management gère très mal ces aspects, le discours principal est composé d’abord de fatalité. C’est comme ça, faut faire avec. Les gens qui restent s’en accommodent et finissent par craquer à leur tour (…) et puis, la question de la vaccination des personnels a laissé beaucoup de traces aussi, avec des mises à pied très mal vécues (…) La frustration des personnels est énorme, les injonction contradictoires ne permettent plus de dégager du sens à ces métiers. On ne parle plus de vie mais juste de soins, on ne prend pas en compte, en prend juste en charge (…) Bien sûr, il y a des directions qui alertent et font remonter les soucis, mais il y a peu de culture syndicale et politique dans le secteur, les grèves sont très rares et on est presque tout le temps en mode dégradé, c’est à dire qu’on fonctionne a minima vu les soucis d’effectifs. On sait déjà que ça va être hyper chaud cet été, comment trouver des remplaçants pour les personnels qui partent en vacances, et ce après des mois de Covid ? » et cette même professionnelle de continuer : «l’avenir est sombre, on voit bien que l’on s’oriente vers le plus possible de maintien à domicile et ce domaine est bien maîtrisé par le privé, par exemple le groupe O2 ou Petit-Fils, spécialisés dans la livraison de repas, le ménage ou l’accompagnement,et dont on peut très bien imaginer une überisation à l’avenir, avec des aides à domicile auto-entrepreneurs mis en lien avec des clients via des plate formes mandataires (…) c’est rageant un tel gâchis, alors même qu’on a des personnels bien formés, volontaires et attachés au service public. On sait que tellement de belles choses sont possibles et on été testées : vacances collectives, travail sur l’autonomie et l’incontinence, un véritable travail en équipe avec des temps de débat et de concertation, aménager plein de moments de convivialité, s’occuper d’animaux et de potagers… Il existe même des expériences assez abouties, comme le dispositif Carpe Diem qui entend s’éloigner du modèle très techno qui est devenu la norme et avec principal axe l’idée de dé-médicaliser les Ehpads pour en enrichir la dimension psy et sociale, en s’appuyant sur la richesse des personnels et en associant les résidents (…) Ça me met tellement en colère cette situation ».

Une animatrice en Ehpad conclue : « une des plus grosses problématiques à gérer, c’est que les établissements et le personnel soignant affichent une vision uniquement axée sur le soin. C’est assez déshumanisant car ils ne voient que le patient et ses pathologies, pas la personne. Pourtant, quand on dispose de quelques moyens et d’une direction aidante, on peut associer les soignants aux animations et ça change beaucoup de choses (…) sinon, c’est clair qu’on n’a pas de moyens, souvent la direction privilégie les animations qui sont censées faire plaisir aux familles plutôt que de nous laisser expérimenter des choses et construire les activités avec les résidents, il y a beaucoup d’auto-censure à ce niveau (…) les structures sont d’abord pensées comme des lieux de soin et comme des lieux de rentabilité, du point de vue des objectifs de la direction, pas spécialement comme des lieux de vie adaptés à des personnes avec des troubles sensoriels ou psychiques. C’est parfois mal pensé, mal agencé, très standardisé et donc qui pose des problèmes aux résidents pour se repérer…il y a aussi des soucis d’accessibilité et d’équipements ». John Fernandes rebondit : « on est arrivé à un moment clef : soit on continue l’impensé et on attend que les EHPAD finissent par craquer, et ça va arriver vu la situation et les perspectives démographiques, soit on se réfugie derrière la pensée de l’environnement prothétique – encore un nouveau terme à la mode – et l’on considère que la technologie, la domotique, les robots, les ordinateurs et le big data vont servir de prothèse ultra-moderne pour pallier ce que les individus âgés et dépendants ne peuvent plus faire, soit on se pose, on réfléchit et on arrête avec cette idée de l’individu hyper autonome. Un EHPAD c’est un collectif, chaque travailleur à des choses à apporter et à débattre. Il faut aussi beaucoup davantage écouter les résidents, les associer aux organisations et décisions. Ils sont plus lents ? Qu’importe ! Ils ont des besoins spécifiques et des contraintes mais veulent garder le plus possible de liberté et de capacité d’action ? Parfait ! Si on a appris quelque chose de la crise du Covid dans les EHPAD, c’est que l’isolement des résidents dans leur chambre pendant des mois et la mise entre parenthèses de leur vie sociale ont eu des effets massifs et catastrophiques, évalués concrètement par nos outils cliniques de psychologues et de médecins : les résidents ont beaucoup perdu de capacités cognitives à cause du manque d’interactions sociales et parallèlement ils ont perdu de la masse musculaire et des aptitudes physiques, devenant rapidement et irrémédiablement grabataires et cela se voit dans la flambée des niveaux de dépendance global à l’échelle d’un établissement, ce que l’on appelle le GMP – GIR Moyen Pondéré. Les priver de liberté, d’échange et de stimulations, ça les a peut-être protégés du Covid mais ça a dégradé très rapidement leur état. Ça, ce n’est plus possible, il faut changer de modèle d’accompagnement et remettre le soin à sa juste place : nous ne sommes pas que des corps ou des êtres solitaires, nous sommes des êtres grégaires, sociaux, qui vivons par le collectif. Nous avons besoin de faire, de penser, d’inventer, même à des stades de vieillesse très avancés et les EHPAD du futur ne pourront faire l’économie de ces changements et, bien sûr, en associant tous les professionnels et en acceptant de ne pas les traiter comme des automates. Et tant pis pour la rentabilité et les actionnaires car qui a un jour éprouvé sa fragilité et sa vulnérabilité dans l’existence sait qu’on ne peut pas et qu’on ne doit pas quantifier la souffrance humaine ».

***

Côté politiques, l’exécutif du Conseil Départemental, compétent sur le dossier, ne brille pas par son investissement sur la question. Conformément à sa stratégie favorite qu’il reproduit régulièrement, le Président Jean-Gérard Paumier fait la sourde oreille, ne répond pas, fuit poliment lorsqu’on l’interpelle, refilant le bébé à ses collaborateurs ou rejetant la faute sur le gouvernement, en croisant les doigts pour que l’orage passe et qu’il ne faille pas encore lâcher de l’argent pour les personnel ou le social. De son côté, l’opposition PS se saisit un peu de ces problématiques et leur chef de groupe, M. Laurent Thieux, a pris parti pour soutenir les revendication salariales des grévistes d’un Ehpad Orpéa qui demandent le versement de la prime exceptionnelle promise…puis refusée par le groupe qui argue de soucis financiers à la suite du scandale médiatique qui a éclaté il y a quelques mois. Mme Ursula Vogt, du groupe écologiste, n’a pas souhaité véritablement réagir sur la question après mes sollicitations.

Au-delà des quelques politiques, ce sont les professionnels du secteur eux-même qui alertent de la situation. En témoigne le courrier de la Fédération Hospitalière de France, une association crée en 1924 et qui réunit la plupart des établissements publics de santé et des établissements publics médico-sociaux de France, que je me suis procuré et qui est adressé à M. Jean-Gérard Paumier et à Mme Myriam Sally-Scanzi, directrice départementale de l’ARS, en date du 8 avril 2022. Sur quatre pages, le constat est sévère : les autorités de tutelle n’ont pas versé de compensation aux Ehpads publics qui ont versé des primes à leurs personnels, provoquant un important déficit dans certains Ehpads. Idem pour les surcoûts liés au Covid et à la baisse des recettes, non compensées par les tutelles. L’absentéisme des personnels est aiguë, le courrier parle d’une « alerte sur cette situation qui n’est plus tenable si l’on souhaite maintenir une qualité de prise de soins optimale et qualifiée auprès des personnes âgées dépendantes que nous accueillons quotidiennement ainsi qu’une qualité de vie au travail pour nos équipes ». Le courrier conclue sur une note plus pessimiste encore, s’alarmant de l’inflation à venir et des surcoûts pour les Ehpads, si les tutelles ne compensent pas les sommes en question. En tout cas, rien que pour 2021, les sommes dépensées par les Ehpads publics non compensées par les tutelles s’élèvent à 2 500 000 euros. Une paille.

***

Que faire, alors ? Déjà, même si le CD37 et l’ARS sont en première ligne, il faut bien saisir que les problématiques réglementaires et de contrainte financière sont posées par l’Etat, c’est donc lui le principal responsable de la situation. De ce fait, l’échéance clef est l’élection législative des 12 et 19 juin prochains. A Tours, on aura le choix entre le député macroniste sortant M. Philippe Chalumeau, médecin, ex-PS, qui sent de nouveau le vent tourner et qui a « oublié » de préciser sur sa documentation de campagne qu’il était bel et bien LREM. Plus cocasse, sur cette même documentation, il montre qu’il ne sait même pas orthographier le mot Ehpad…

Autre concurrent à la députation, M. Olivier Lebreton, sympathique cumulard (ville-métropole-département), vice-président aux finances au Conseil Départemental, c’est donc lui qui organise les budgets qui perpétuent depuis des années le manque de moyens dans le secteur en Indre-et-Loire. Et puis il y a M. Charles Fournier, de la NUPES, clairement le seul candidat avec une perspective de victoire et qui porte les 650 points de programme de la gauche unie, avec la promesse de services publics et d’agents enfin traités conformément à l’importance des enjeux à venir. Le moment est historique. Ne laissez pas la droite néo-libérale continuer à détruire le bien public, bientôt, il sera trop tard. Votez.

3 commentaires sur “Alerte sur la situation des EHPAD en Indre-et-Loire

  1. Une étude vraiment intéressante, des commentaires plein de bon sens.
    J’ai vécu avec une aide soignante de nuit en EHPAD. Seule avec une ASH pour 80 pensionnaires, sans oublier l’infirmerie. Lorsqu’elle rentrait presqu’aux larmes le matin, je savais que c’était dû à la mort d’un.e résident.e qu’elle n’avait pas pu accompagner, occupée à d’autres soins. Je savais ses colères contre l’administration, ses collègues, pressées de partir le soir, négligeant les changes des personnes, le manque d’écoute… et l’odeur ! Toutes les odeurs, celles nauséabondes d’une direction qui n’avait pas les moyens de faire autrement ; l’odeur du travail non fait, laissé au binôme suivant, entraînant la discorde, la colère, le découragement ; l’odeur de la merde dans des couches non changées par paresse, ça arrive, ou manque de personnel ; l’odeur du cri, ou pas, du ou de la résident.e tombé.e de son lit ; l’odeur, le matin, à la maison, pour arriver, traverser le couloir qui mène de la porte d’entrée à la douche… L’odeur Tue l’amour ! L’odeur du rythme infernal qui fait que la rupture est au bout du chemin.
    Les soignant.es se sentent seul.es en EHPAD, comme ailleurs me direz-vous, mais l’Ehpad c’est la mort inexorable au bout du chemin. Un chemin plus ou moins long, plus ou moins maltraitant, moins que plus aimant.
    L’EHPAD peut-être un scud avec des dégâts collatéraux inimaginables.

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    1. Non, par contre j’ai toujours été à gauche et pour l’Union de la Gauche, c’est explicite dans ma présentation.
      Ne me dis pas que tu fais aussi partie du groupetto de ceux qui hurlent à gauchisme et qui assument enfin être LREM ?

      Non, parce que, retenir que ça de l’article, c’est un bien drôle de truc

      J’aime

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