Il est parfait. La petite quarantaine, bien mis de sa personne, petite veste légère, décontractée mais pas trop, cheveux un brin hirsutes, barbe de quelques jours. Sympathique, à l’aise en campagne électorale, béton sur sa communication, obtenant une bonne couverture presse malgré son anonymat il y a encore deux ans lorsqu’il briguait la mairie de Génillé, 1 500 habitants. Affable et réaliste, il bâtit en peu de temps l’image d’un homme ouvert au dialogue à base de déclarations qui ne sont pas sans rappeler le Macron de 2017, il est en effet « convaincu de l’importance fondamentale de créer un espace de dialogue, d’écoute et de travail pour faire naître, par l’intelligence collective, des projets de développement qui comptent ».
Son récit politique, il commence à l’écrire en 2020, lorsqu’il se lance en politique. Assez classiquement, il entend trouver un ancrage local qui lui servira de marche pied pour la suite avec, pourquoi pas, l’idée de grappiller en passant une image d’homme de terrain attaché à la ruralité. A ce moment, il est sans étiquette, au delà des clivages partisans, ni de droite ni de gauche. La NR écrit alors à son sujet, dans un article au titre si macroniste – Un challenge pour Henri Alfandari – : « Après des études dans le cinéma et l’audiovisuel, il a créé et dirigé une entreprise de production à Tours. Il est actuellement directeur de communication du groupe Saint-Gatien à Tours. Venant de Paris, il s’est installé à Genillé en 2012-2013 où il a évolué, ensuite, pendant sept ans, comme joueur, au sein de l’ESG, le club de football de Genillé ». Le retour de l’enfant du pays, venu se mettre au vert après un exil parisien, le goût de la simplicité et du collectif en prime.
Dans la foulée, la même année, il est élu délégué de sa communauté de communes puis se présente aux départementales 2021 comme binôme de la LR Valérie Gervès, adjointe au maire de Loches et conseillère départementale sortante. Il remplace alors dans le binôme le sénateur UDI Pierre Louault qui ne souhaite pas se présenter de nouveau. Alfandari est alors classé par la nomenclature de la Préfecture comme appartenant au bloc centriste mais sans étiquette. A l’époque, un autre article de la NR décrit son parcours en ces termes : « natif de Chambray-lès-Tours, Henri Alfandari a grandi à Tours puis est monté à Paris, à l’âge de 18 ans, pour des études d’économie et de gestion. Sans succès, il se tourne alors vers le monde du cinéma où il occupe plusieurs postes : régisseur, assistant à la décoration, à la production ou à la réalisation. Puis il bifurque vers la communication d’entreprise au sein du groupe Saint-Gatien. Il a démissionné en février 2021 pour se consacrer « à 100 % »à ses mandats électifs mais il reste administrateur du groupe ». Cette fois-ci on a droit à une sorte de bohème moderne balloté par la vie, arrivé à la politique sur le tard. Là encore, le ni de droite ni de gauche est porté en étendard : « Non encarté politiquement – « le plus tard possible », glisse-t-il -, il affirme avoir déjà voté à gauche par le passé. « Si je trouve que quelqu’un est bien et que j’ai envie de travailler avec, je ne regarde pas la couleur politique », indique-t-il ». Largement élu avec sa binôme, il entre au Conseil Départemental et se fait remarquer par les fonctionnaires des services qui le trouvent accessible et maîtrisant les dossiers, percutant rapidement sur les sujets, ce qui n’est visiblement pas si fréquent dans le ronronnement de l’auguste collectivité. Parfois même, il surprend le grand patron Jean-Gérard Paumier en soutenant des propositions de la gauche (PS tendance très soft) lors du travail en commission, pas spécialement habitué à ce genre d’indiscipline dans « sa » majorité.
Toujours dans un article de la NR de 2021 : « Carriériste ? Il réfute le terme. « Je ne suis pas là pour faire carrière mais avec l’ambition d’apporter des idées, de susciter le débat et d’ouvrir des horizons d’avenir… ». On le croit sur parole mais… patatras, la situation politique lors de la dernière présidentielle et le risque de voir Marine Le Pen aux portes de l’Élysée l’obligent à sortir de sa modeste réserve et il appelle publiquement à voter pour Emmanuel Macron entre les deux tours. Et là, nouvelle surprise : le 6 mai, moins d’un mois plus tard, Henri Alfandari reçoit l’investiture de la majorité présidentielle avec l’étiquette Horizons – le parti crée par l’ancien premier ministre Édouard Philippe il y a quelques mois – pour se présenter aux législatives sur la troisième circonscription d’Indre-et-Loire (Loches-Chambray-Saint Pierre-Chambray-Preuilly-SaintAvertin). Face à lui, la députée sortante Sophie Métadier (UDI) avec comme suppléant Michel Lamy (LR), donnés comme favoris, soutenus par une partie des notables locaux de la droite et par Jean-Gérard Paumier lui-même. On trouvait aussi une extrême-droite éclatée et une candidate NUPES, Roxane Sirven, qui partait de loin, dans une circonscription rurale classée à droite, si ce n’est la commune de Saint-Pierre-des-Corps. Après une campagne courte et intense, encore une surprise, c’est Henri Alfandari qui arrive en tête, juste devant Roxane Sirven, tous les autres candidats dont Sophie Métadier étant éliminés, en dessous des 12,5% des inscrits.
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Bon, ça, c’est la légende dorée, celle forgée par cet expert en communication qui décide de se lancer en politique et d’aller vite, très vite. Mais peut-être convient-il d’éclairer ce parcours sans faute avec d’autres perspectives…
Henri Alfandari est le cinquième enfant de Jean-Pierre Alfandari, célèbre médecin tourangeau qui racheta la clinique Saint Gatien en 1974, fondant alors ce qui allait devenir le groupe Saint Gatien, aujourd’hui dirigé par le frère aîné, Christophe Alfandari, secondé par toute la fratrie : Marie-Laurence, Paule, Bruno et enfin Henri, jusqu’à peu directeur de la communication du groupe familial – précision omise par la NR dans chacun de ses articles – , et encore membre de quatre conseils de surveillance d’établissements du groupe, gérant d’une Société Civile Immobilière, administrateur de la polyclinique de Blois et enfin président du conseil de surveillance de la clinique des Fontaines à Melun. Par ailleurs, de sympathiques membres de l’UDI m’ont signalé aussi en off qu’Henri Alfandari était surnommé parmi eux « le châtelain », à cause de sa modeste masure à Génillé, probablement bien difficile à chauffer l’hiver avec les prix du gaz qui augmentent. Bon, certainement une méchanceté de campagne, il est vrai.

Attention, le groupe Saint Gatien n’est pas une modeste petite clinique familiale, mais bel et bien un mastodonte du secteur de la clinique privée en France qui a su grâce à Christophe Alfandari prendre le virage de la libéralisation du secteur au début des années 2000, avec son cortège de rachats, fusions, acquisitions, partenariats public-privé et levées de fonds.
Le groupe rachète quelques petites cliniques tourangelles (Saint Grégoire et Velpeau), installe un pôle de santé dit de l’Alliance à Tours Nord en 2007 puis se diversifie territorialement avec le rachat de trois cliniques en Gironde dans la décennie 2010. En 2013, le groupe Saint Gatien ouvre un énorme pôle de santé – Oréliance – dans le nord d’Orléans. En 2014, le groupe fusionne avec le groupe Salvia qui possède trois cliniques en Seine-et-Marne puis participe à un partenariat public-privé pour récupérer un établissement en faillite, en lien avec le centre hospitalier de Melun. En 2016, le groupe Saint Gatien crée un groupement d’investissement, possédant 50% des parts, le reste étant entre les mains du groupe Ovalie, issu de la fusion du groupe Saint Joseph – cliniques angevines – et du Pôle Vinci qui possède une grosse structure à Chambray-lès-Tours après fusion de quatre cliniques privées de Tours. Ainsi naît le groupe Sisio qui rachète rapidement le groupe 3H qui possède cinq cliniques en Vendée et Maine-et-Loire. En 2017, le groupe Saint Gatien rachète la HPVL qui détient une polyclinique de Blois et décide du déménagement de la clinique Saint Gatien, en plein centre de Tours, devenue trop vétuste pour la déplacer, justement, à Tours Nord, en agrandissant la clinique de l’Alliance, qui devient le pôle NCT+. En 2019, Saint Gatien rachète le groupe des cliniques Courlancy qui possède des établissements en Champagne et prend 25% du capital du groupe de la polyclinique du Parc Rambot à Aix-en-Provence, alors même que le groupe échoue au même moment dans son projet de rachat de cliniques à Nantes. Saint Gatien affiche dès lors 450 000 patients annuels, 115 000 prises en charge dans ses services d’urgence, 800 médecins libéraux pratiquant dans ses établissements et 2 300 salariés, mettant en avant que 3% de la chirurgie en France se déroule dans un établissement du groupe. Le chiffre d’affaires et les bénéfices du groupe sont difficiles à établir, mais on parle de largement plus de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Du reste, le groupe gère aussi 13 millions d’euros d’épargne de ses salariés.
Saint-Gatien est parfaitement intégré dans l’environnement économique de l’industrie du soin : pour certains projets d’absorption, il a bénéficié de prêts et de participations au capital de la Caisse des Dépôts et de la Banque Publique d’Investissement, instruments financier de l’État, mais aussi d’un accompagnement bancaire par la Banque Populaire, le Crédit Agricole et la Caisse d’Épargne. Le groupe touche également des subventions de l’Agence Régionale de l’Hospitalisation. Saint Gatien fait aussi appel a des cabinets de consulting informatique comme GPLExpert et Eric Bréchet, directeur du groupe Saint Gatien en Île-de-France est également administrateur d’Apsis, un gros cabinet de consulting santé. L’expertise du groupe est reconnue, le PDG Christophe Alfandari ayant même été auditionné par des commissions parlementaires pour aider à évaluer les lois réglementant le secteur : les questions du poids de l’engagement immobilier, de la productivité, de la rationalisation et de l’informatisation des soins ont été mises en avant, la solution d’une massification des soins en ambulatoire (sans nuit à l’hôpital) étant clairement privilégiée par le patron du groupe Saint Gatien, pour des questions explicitement financières.
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Bien entendu, rien d’illégal dans tout cela, mais une petite impression qui se dégage au sujet d’Henri Alfandari de ne pas vouloir afficher la réalité de son parcours et de ses origines sociales, préférant l’image du père de famille amateur de foot et de cinéma venu s’installer à la campagne. Malheureusement pour le citoyen moyen, la fiche de déclarations d’intérêts et de revenus d’Henri Alfandari qui doit obligatoirement être déposée à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique n’est pas encore publiée, toujours en cours de traitement. Du reste, son directeur de campagne n’a pas souhaité me répondre sur ces éléments, considérant que c’est du registre de l’attaque personnelle.
Politiquement, le personnage a aussi davantage d’épaisseur que ce que l’image publique laisse penser. Henri Alfandari réussit à naviguer en sud Touraine, terre de notables et de mini-baronnies locales, jouant des tensions chez les centristes de l’UDI qui se déchirent à la suite des querelles entre Sophie Auconie, ancienne députée de la circonscription partie en 2021 pour maladie et Sophie Métadier, élue à sa place et accusée par certains d’avoir été assez ingrate envers le parti. Henri Alfandari est également un des seuls au Conseil Départemental à ne pas s’aligner docilement avec les choix du Président Paumier, ce dernier ayant alors mis le paquet pour soutenir Sophie Métadier aux législatives, sans succès. Signe du séisme politique, des proches de la campagne de Mme Métadier ont affirmé qu’ils avaient subi des pressions de Paumier pour appeler immédiatement à voter Alfandari au lendemain du premier tour, histoire que la grande famille de la droite des notables garde une image d’unité, mais cela fait grincer des dents en interne. De même, quand Mme Métadier a évoqué explicitement le soir de sa défaite qu’Henri Alfandari : « a continué à faire campagne samedi avec son camion, c’est anormal je vais faire un recours. D’autre part, quand Sophie Auconie, ancienne députée, vice-présidente de l’Autorité de régulation des transports, tenue à un droit de réserve absolu, se permet d’assister à ses réunions publiques et de parler de moi dans des termes tout à fait négatifs, je vais le signaler » il semble que M. Paumier serait également intervenu pour l’en dissuader et, en effet, Mme Métadier anonçait dès le lendemain qu’elle abandonnait l’idée de recours. Du reste, l’équipe de campagne d’Alfandari a nié vigoureusement toutes ces accusations.
« Paumier est inquiet, il voit en Alfandari un concurrent d’avenir dans sa volonté de tout contrôler, qui plus est dans la circonscription où on trouve Saint Avertin, le fief personnel de Paumier. Maintenant il va devoir composer avec, mais il a peur qu’Alfandari fomente un groupe Horizons au Conseil Départemental et ça, Paumier n’en veut pas, obsédé qu’il est par l’unité, l’unanimité et le contrôle de ses troupes » commente un bon connaisseur de la politique locale qui conclue « on l’a même vu passer un peu de temps avec M. Christian Gatard, maire plus ou moins PS de Chambray et grand ennemi de Paumier, ça a beaucoup fait jaser » .
Habile dans la constitution de ses réseaux, Henri Alfandari a pris comme suppléante Mme Claire Debré-Chaffaud, petite fille de l’illustre rédacteur de la constitution – Michel Debré – et fille de Bernard Debré, longtemps député-maire d’Amboise. Elle a été la collaboratrice de Charles Pasqua, de Philippe Séguin et assistante parlementaire de son père. Elle s’est occupé d’un centre équestre avant de s’installer dans le nord de l’Indre-et-Loire, bien loin de la circonscription où elle se présente et a domicilié son entrerpise dans le modeste domaine de Poillé à Charentilly, un château classé. Aussi pudique que M. Alfandari, elle fait noter sur la profession de foi du binôme comme principale référence : « Mon mari est éleveur et pendant quinze ans, à Saint-Branchs, j’ai travaillé avec lui ».

Pour ce qui est de la critique politique, il me semble que la candidate NUPES sur la circonscription – Roxane Sirven, archéologue et syndicaliste – est assez claire dans une publication récente sur les réseaux sociaux : « Le fonctionnement de la clinique NCT+ Alliance est éclairant : les médecins y sont « indépendants » et libéraux – libres de toute hiérarchie mais aussi de tout plafonnement d’honoraires -, les locaux et équipements y sont loués très cher. Certains paramédicaux libéraux s’en plaignent. Les parkings pour la clientèle sont payants, etc. Bref une grosse machine à fric.
On comprend mieux alors les logiques du programme d’Henri Alfandari.
Pour « favoriser la stabilité de l’emploi et l’augmentation de la rémunération », il entend créer «une double décote vertueuse sur les charges sociales. ».
Passons sur l’emploi du terme « charges sociales » alors qu’il s’agit de cotisations sociales faisant partie du salaire différé du salarié et comprenant une part salariale et une part patronale, qui permettent de financer entre autres l’assurance maladie et l’assurance vieillesse.
Henri Alfandari, non content que les bas salaires aient des baisses de cotisations sociales très importantes, veut étendre cette exonération de la même façon aux salaires plus élevés d’une manière systématique, alors que c’est déjà le cas de façon dégressive et ce, jusqu’à une certaine limite de salaire.
La réduction accrue des cotisations sociales qu’il préconise volera un peu plus les salariés, au profit des patrons et au détriment de la Sécurité sociale, qui pourtant fait vivre les cliniques privées…
Pour notre part, nous passerons au 100 % Sécurité sociale en remboursant à 100 % les soins de santé prescrits et en intégrant les complémentaires santé dans la Sécu, de façon à répondre à la devise : «Chacun reçoit selon ses besoins et contribue selon ses capacités »

Henri Alfandari, pour résoudre les problèmes de santé et de déserts médicaux, ne parle dans son programme que de mobilisation de médecins étrangers et d’étudiants de 4ème année de médecine, c’est-à-dire tous ceux qui sont déjà pressurés dans les cliniques privées…
De notre côté, nous recruterons et formerons 100000 soignants pour l’hôpital public, 240000 personnels pour les EHPAD et le secteur médico-social, en revalorisant significativement les carrières, et inciterons fortement l’installation de jeunes médecins dans le secteur rural. »
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Sollicité, le directeur de campagne de M. Alfandari n’a pas souhaité me répondre dans les conditions qui me sont habituelles, ce qui est tout à fait son droit. Il m’a cependant invité à ne pas aller dans l’attaque personnelle mais à lire le programme du candidat et à débattre avec eux, toujours dans cette optique toute macronienne de convocation de la discussion comme talisman, considérant que seuls les discours pris au premier degré, coupés de l’analyse de celui qui les porte, est valable. Dont acte. Je laisse les lecteurs et les citoyens se faire une idée à la lecture de cet article.
Sauf que le programme qui sera appliqué à l’Assemblée, avec la marge de manœuvre laissée aux parlementaires que l’on connaît si bien dans le macronisme, est celui du Président de la République, pas celui de M. Alfandari.
Reste alors la question du conflit d’intérêts entre son possible futur rôle de député et les logiques du business familial. Et la question sur la sincérité de l’engagement pris devant les électeurs, lui qui devra quitter ses mandats exécutifs de maire et de délégué au Conseil Départemental, mandats entrepris il y a moins de deux ans.
Magnifique !!
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Petit complément à ton très bon papier, chère Joséphine
J’étais le professeur d’histoire d’Henri Alfandari en classe de première S au lycée Alfred de Vigny de Loches. La NE s’enthousiasme de cet ancrage local…. sauf qu’Henri était fier de dire à l’époque qu’il s’était fait virer de tous les collèges et lycées privés de Tours et aussi de banlieue parisienne et qu’il avait échoué chez les boueux par accident puisque ses parents habitaient à saint Cyr. On n’est pas sérieux quand on a 17 ans on a le droit à une seconde chance mais pas de story glorieuse pour un fils à papa
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Energie, transports, éducation et ici santé… le grand remplacement du service public par des acteurs privés continue de se mettre en place. Nous avons vu pour l’énergie, nous voyons pour la santé, nous verrons bientôt pour l’éducation. Leur bilan commence à être visible, mais l’argent est empoché, c’est ce qui leur importe.
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