Le parcours de soin de Justine, bipolaire

Quatrième partie du dossier spécial de la rentrée dédié à l’état de la psychiatrie en France : un entretien intime avec Justine, diagnostiquée bipolaire, qui nous a reçu à la clinique de Vontes, non loin de Tours. L’occasion pour nous de revenir sur son parcours thérapeutique et sur la structure où elle est régulièrement suivie depuis presque 20 ans.

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On arrive à Esvres, on longe une petite route bordée de jolies maisons avec leur glycine qui court sur les murets en pierre, de l’autre côté, il y a l’Indre qui coule mollement. Un peu plus loin, un virage qui dessert la clinique psychiatrique de Vontes. Une légère barrière en béton délimite le parc et une petite route serpente jusqu’au parking, à moitié plein. Il y a des bancs disposés de-ci de-là, avec des gens assis dessus, posés, même. Juste devant l’entrée du bâtiment principal, Justine nous attendait. On commence par visiter l’extérieur. Au-delà du parking, des chemins s’enfoncent dans l’espace boisé où les patients et leurs visiteurs peuvent se balader. Il y a un espace de méditation avec des tabourets taillés dans des troncs d’arbre, deux terrains défraîchis – basket et volley – et plus loin, un recoin de débarras en friche. On retourne sur nos pas et on se plante devant l’entrée principale : à droite, les cabinets des psychiatres pour les consultations en libéral de l’après-midi. Des docteurs réputés qui doivent s’acquitter d’un joli billet d’entrée pour s’installer là, avec la patientèle qui va avec. A gauche, c’est la clinique à proprement parler. Pas de grandes hauteurs, pas de fouillis d’édifices inquiétants et enchevêtrés, c’est propre et à taille humaine. On rentre, on met le masque, on signe le registre et on passe dans une sorte de salle d’accueil décorée de meubles des années 70 et de bas reliefs en ciment à la façon grandiloquentes des hall de HLM de ces années-là. Le bureau de l’assistante sociale, présente à plein temps pour préparer la sortie des patients dans les meilleures conditions, donne sur cette salle, qui dessert aussi les services administratifs. On y trouve une machine à café et un distributeur avec des sodas, des chips et des friandises, histoire de pimenter un peu les visites de la famille. De là, on passe à un assez grand réfectoire très lumineux, cheminée centrale, l’espace buffet et service jouxte la cuisine située au fond. « La nourriture est pas mal, même s’il y a eu du changement dernièrement et il y a un peu moins de personnel en salle » nous dit Justine. Ici, c’est également le seul espace avec le wifi, mais c’est quatre euros par jour. Le réfectoire est percé de couloirs qui sont autant de points de passage vers les ailes avec les chambres, les salles d’attente, les dispensaires pour l’administration des médicaments. Il y a aussi les cabinets des psychiatres qui reçoivent chaque matin chaque patient, et parfois une salle climatisée pour les canicules. C’est propre, lumineux, aucune odeur suspecte d’hôpital ou de violent produit désinfectant, aucune perspective carcérale de couloir interminable et impersonnel, pas de caméras. Les vues donnent sur les jardins, les chambres, simples ou doubles sont simples, modernes et bien faites. L’œil expert y verra néanmoins de discrets dispositifs anti-suicide et l’impossibilité de les verrouiller de l’intérieur. Chacun sa télé avec écouteurs obligatoires, à 8 euros par jour. Au rez-de chaussée, des salles de sport, des salles pour la sophrologie, l’art-thérapie, l’origami, la danse, la vannerie, la sculpture, la musique, les soins esthétiques, le yoga et les groupes de parole.

Certaines de ces activités sont librement accessibles, d’autres sont prescrites par les psychiatres en fonction des besoins des patients. La clinique de Vontes est ainsi réputée pour ses soins axés sur l’autonomisation progressive du patient, par ses activités thérapeutiques et par l’encadrement médical transversal (psychiatres, infirmiers, médecins généralistes, psychologues, kinésithérapeutes…) qui privilégie la parole et la recherche des molécules et des dosages les plus adaptés à chaque patient. Les méthodes plus anciennes telles que les contentions ou les mises à l’isolement sont rares, mais on continue d’y administrer de l’électroconvulsivothérapie aux sujets atteints de formes graves de dépression. Lors d’une crise très grave d’un patient, la direction appelle le SAMU pour l’envoyer aux urgences psy en mesure de prendre en charge la situation, la clinique n’est pas équipée pour ces problématiques, et c’est probablement un choix, laissant au service public les cas les plus graves et complexes.

La clinique a été crée en 1982 par des psychiatres associés qui ont ensuite revendu à Korian, un groupe français multinational qui génère presque 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et qui compte 57 000 salariés. Korian a ensuite revendu la clinique – pas aussi rentable que les ehpads – au groupe Inicéa, spécialisé dans la psychiatrie avec un réseaux d’une vingtaine d’établissements. Et puis finalement, Korian a racheté Inicéa et a donc récupéré de nouveau la clinique de Vontes. Cette dernière déclarait 9 millions de chiffre d’affaires en 2020.

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On s’installe avec Justine pour boire un petit Schweppes agrumes sans sucre dans le jardin desservi par une des ailes, avec un coin fumeur. Un petit groupe de patients discute autour d’un clope, et bientôt deux patientes nous rejoignent, venues taxer une cigarette avant de prendre leur douche, elles qui viennent de terminer une séance de ramassage de déchets dans le bois de la clinique – essentiellement des bouteilles d’alcool – sous une chaleur lourde. Les deux femmes tiennent à nous dire « qu’ici entre patients, on se serre les coudes, on peut même se faire des amis ici, les voir après la sortie, ça crée des liens. Franchement, ça compte ».

« Je suis bipolaire, diagnostiquée comme telle depuis plus de 15 ans (…) Rétrospectivement, je pense que c’est le décès de mon grand-père quand j’avais 7 ans qui a été une sorte d’élément déclencheur. Ça m’a beaucoup affectée à l’époque. Plus tard, au lycée, j’ai connu ce que je pense maintenant être un premier épisode dépressif. Mais bon, j’étais ado, gothique et dans ma famille, les discours sur la psychiatrie étaient hyper négatifs, à base d’images du film « vol au dessus d’un nid de coucous » et d’angoisses d’enfermement. A l’époque, on se disait juste que j’avais le spleen, que c’était presque normal à mon âge, que ça passerait. Le truc s’est un peu calmé, mais à la faveur de soucis de couple, vingt ans plus tard, j’ai consulté un premier psy. Puis est venue la séparation. Là j’ai vraiment eu un gros passage dépressif mais je l’ai expliqué par le chagrin amoureux, et puis je me suis beaucoup investi dans le monde associatif, j’étais de plus en plus politisée. Mais bon, en 2007, après les premiers traitements, mon état s’est vraiment dégradé et j’ai connu les premières crises aiguës, les nuits d’insomnie, les pulsions violentes, la consommation de plus en plus importante d’alcool et de shit, les pensées suicidaires. J’ai demandé alors à être internée. J’avais besoin de dormir, il me fallait du repos et clairement ma vie à l’extérieur était trop intense pour y arriver. J’y suis retournée en 2009 et 2010, les régulateurs d’humeur marchaient plutôt bien et ça allait mieux (…) En fait, c’est 2013 où le truc a repris le dessus. J’étais hyper investie politiquement, notamment en faveur des sans papiers. C’était exaltant, tout allait hyper vite dans ma tête, et j’ai décidé d’arrêter les médocs. Je fréquentais des squats où on organisait les mouvements de soutien, j’ai recommencé à pas mal boire, je sentais la tension monter. Il y a eu plusieurs moments violents, de bagarres de rue et de menaces et je suis devenue vraiment agressive. J’ai été internée de nouveau fin 2013, ça a duré 4 mois mais ça a été la fin du déni pour moi et j’ai accepté enfin le diagnostic de mon psy. Ça a été aussi pour moi la fin du déni familial, et j’ai compris que la dépression traînait depuis longtemps dans la famille, mais que l’on a préféré fermer les yeux à ce sujet. Ça a été difficile d’en parler et de se l’avouer, et puis il faut ensuite en gérer les conséquences (…) La bipolarité est très invalidante quoi qu’invisible, c’est dur de trouver un travail stable. C’est pour ça que j’ai une invalidité à hauteur de 66% reconnue par la MDPH (…) Grâce à l’accompagnement des psys et aux soins à la clinique, j’ai trouvé un certain équilibre, avec les bons médicaments. Et puis surtout, j’ai appris à préparer mes sorties, à être assez autonome dans le rapport à la maladie, à savoir repérer des signes de dégradation puis tirer la sonnette d’alarme et revenir à la clinique si besoin, sans sentiment d’échec ou de culpabilité. Ici, c’est une sorte de cocon, l’ambiance est apaisée et apaisante, les personnels sont disponibles et on voit bien qu’ils restent des années et ça c’est bon signe. En plus, ils me connaissent, c’est pas un soin anonyme et impersonnel (…) Il ne faut pas non plus se faire une idée trop terrible des soins et sombrer dans le pathos. Tiens la semaine dernière, ma psy m’a raconté une super blague. Elle me dit, vous savez pourquoi on fait des études de médecine ? Pour faire plaisir à sa mère. Et pourquoi on fait des études de psy ? Parce qu’on ne peut pas toujours faire plaisir à sa mère ! Ça m’a bien fait rire et je trouve ça vraiment bien de pouvoir communiquer sur ces registres aussi, ça dédramatise et ça ne nous réduit pas au simple statut de malade, c’est important d’avoir une certaine proximité entre soignants et patients (…) Ça fait partie aussi de mon équilibre, de savoir qu’il y a cet espace calme dans lequel je peux aller me reposer, parce qu’une partie de la problématique de la maladie, c’est l’hypersensibilité et hyperémotivité et ça, dans la vraie vie quotidienne, ça fait ressentir beaucoup de violence et d’injustice et des fois ça fait trop, ça déborde (…) au final, je ne sais pas si c’est la maladie qui m’a orientée vers l’engagement militant par la recherche de l’exaltation, ou si mes combats politiques participent à connaître des phases d’abattement mais en vrai, je suis contente d’être bipolaire, c’est une maladie qui a des côtés positifs, qui évite une vie ennuyeuse, plate. Et puis, cette sensibilité exacerbée, même si elle fait souffrir, elle est le moteur de mon engagement et du sens que je donne à ma vie ».

Photos prises par Yoan Jäger à Vontes en août 2022

2 commentaires sur “Le parcours de soin de Justine, bipolaire

  1. Burn out violent il y aura 20 ans en 2023. J’ai vu la mort de très très près, non pas en tentative de suicide, mais parce que mon corps ne répondait plus, je faisais a peine 45 kgs pour 1,75m. Et puis, c’était la canicule ! Alors quand je n’ai plus eu la force de me bouger jusqu’à répondre aux coups de sonnette, la porte d’entrée a été ouverte, et ils ce m’ont retrouvés sur le sol, à gisant. Décision a été prise de m’emmener dès le lendemain à la clinique de Beaumont. J’ai fait une cure de sommeil pendant la 15 jours ! La cure de sommeil, ce n’est pas dormir H24, c’est une perf de valium tous les matins, qui t’abrutit le cerveau mais pas le corps. Donc tu marches, et tu te casses la gueule ou le corps, c’est au choix ! Cerveau dodo et gros dégâts physiques. Et puis je bégayais, horriblement. Un bégaiement traumatique 20 ans auparavant, qui me prend quand je suis HS, ou angoissé ou lorsque je croise un bègue…. Cette année là, j’ai bégayé pendant bien, 18 mois. C’est atroce le bégaiement ! En plus de souffrir des mâchoires, les gens finissent tes phrases à ta place : frustrant, surtout quand ce n’est pas ce que tu veux dire ! Alors quand j’ai vu le psy de la clinique la première fois, il n’a pas attendu que je finisse ma question en bègue : qu’est-ce que j’ai donc Docdocdoc ?  » Vous faites un burn out ! C’est c’est c’est quoiquoiquoi ? (On est en 2003, le burn out n’est pas encore le terme dans le dictionnaire), « Un effondrement existentiel ». Et oui c’est ça la dépression du, de la, bipolaire ! Un effondrement existentiel. Toute ta vie qui fout le camp en une fraction de seconde pour le.la malade. Et c’est vrai que j’ai pris un aller simple en train sans prévenir personne, j’ai mis 1000 kms brutalement entre une vie de couple depuis 13 ans, des beaux-fils, leurs enfants dont je suis le parrain, un job pourri, des ami.es. J’ai largué les amarres et me suis englouti dans la tempête. Et pourtant mes potes me disaient « vas voir quelqu’un ; j’ai une bonne psy, tu devrais consulter ; tu ne vas pas bien » alors que je menais des projets de fous, je bossais 20h par jour, chef de projets, je demandais à certains collègues d’être opérationnels, à 4h du mat.
    Mais un jour, effondrement existentiel ! C’est une douleur comme personne ne peut imaginer. Physique et mentale, une douleur absolument atroce. La bipolarité ! La dépression du bipolaire. Mais aussi les phases « up » où tout est sur possible, où celui ou celle qui te dit  » Ce que tu demandes n’est pas possible » a intérêt à avoir de sérieux arguments et te faire une démonstration de l’impossible , sans faille ! Parce si tu es dans une phase à avoir une force mentale et physique ( jusqu’à l’épuisement) insoupçonnée ! Et tu peux drainer des tas de gens dans des opérations coups d’éclats, très réussies. Être UP, c’est bouffer la vie à pleine dents, être down, c’est crever à feux violents ! C’est chez les bipolaires que l’on trouve le plus de suicides dans les pathologies mentales. Ça je l’ai appris lors d’une opération  » bipolaires ! Bien connaître sa maladie », 10 séances d’informations et d’échanges avec des psy et des soignants, alors que j’étais à nouveau hospitalisé en HP. C’était ma onzième hospitalisation. Une par an en moyenne jusqu’en 2014 ! Putain d’hypersensibilité, d’hyperémotivité, d’hyperempathie, d’hypertension d’exister. Mais une psycho-clinicienne, qui sans remettre le diagnostique en question, m’a lentement et sûrement parle d’une autre voie, d’un autre aspect de tout mon être. Ce n’est qu’au bout de 18 mois que j’ai passé le wais 4. Et les résultats ont été probants. Oui les HPI sont aussi hyper tout ça !
    Alors tu regardes ton passé et tu commences à comprendre pourquoi ta vie a été une multitude de chaos, tant dans la vie sociale, qu’affective. Tu te prends les pieds dans la maladie puis tu sautes a la corde avec un cerveau en perpétuelle
    r-évolution, questionnements, qui ne switch jamais sur off. J’ai fait de l’HP en hôpital, en cliniques ( dont une qui a bien fini par avoir ma peau en m’assommant de cachetons : 18 par jour, pas moins. J’ai perdu la mémoire et je ne sais pas ce qu’il c’est passé pendant 8 mois en 2010 ! C’est long un coma de 8 mois, surtout quand l’ambulance t’emmène à la CPU pour être désintoxiqué, afin de pouvoir faire une sysmothérapie. En langage courant, on dit électrochocs. J’ai récupéré en 4 mois à peu près, sans électrochocs ! ).
    J’étais suivi par 2 psychiatres, un à l’hôpital, une psy en cabinet privé ( c’est elle qui m’a diagnostiqué bipolaire, au bout de 2 à 3 ans de suivi environ. Elle a succédé à une autre psy qui est partie en retraite et qui m’a pris en charge dès ma sortie de Baumont. J’étais dans un état lamentable et elle m’a aidé. J’ai été, entre autre, dirigé par erreur, sur une grosse clinique de desintox d’alcool en 2012 alors que j’avais arrêté de boire depuis janvier 2006 ( ah oui, un des troubles puissants de la bipolarité se situe dans un facteur de facilitation à la dépendance),
    clinique dont je me suis tiré au bout d’une semaine. L’horreur. Je n’avais rien à faire là. Ma première psy était venue me voir là bas. Au bout d’un moment, elle m’a dit texto
     » Je ne reviendrais pas vous voir ici, c’est trop dur ». Une psy qui te dit qu’elle te respecte à ce point, c’est rare ! Sa retraite, une grosse gifle ! Il a fallu que je fasse le deuil. La deuxième m’a suivi pendant plus de 10 ans et puis j’arrivais de plus en plus en retard, je sautais des rdv. Non pas consciemment, loin de là, mais il s’est passé une chose étrange : un jour, c’est la première à qui j’ai dit, je suis un mec. Elle m’a répondu non. Et pourtant, en formulant, j’ai compris que j’allais enfin sauter le pas. Elle a fait en sorte de ne pas entrer dans ma véritable personnalité.
    C’est vrai que bipo, HPI et trans, ce n’est plus un mille-feuilles, ce sont les montagnes russes.
    Ma ( oui oui je revendique et j’assume le MA) psycho-clinicienne avait quitté le système hospitalier pour se mettre en libéral, me suit depuis 11 ans, autant que le psychiatre, à l’hôpital. Mais avant de parler d’elle, un coup de projecteur sur lui. Rencontre alors que je m’étais plongé désespérément dans le shit, que j’étais hyper accro, et que je détruisais ma vie à longues bouffées de merde. Il m’a suivi sur les 4 cures de desintox dont 3 qui n’ont servi qu’à me faire encore être hospitalisé en psy. A la 4e, en psy toujours, j’ai rencontré quelqu’une avec qui j’ai eu une liaison très forte. Bingo, j’ai arrêté de fumer en quelques semaines. Et depuis, nada. Mais ma garce m’a viré un soir de chez elle avec perte et fracas. J’ai recraqué et fait une TS. HP à nouveau. Elle m’attendait a la sortie. J’ai replongé dans l’histoire. Ça a duré quelques mois et elle m’a rejeté au sens le plus littéral du terme. Re- TS et là, HPO, hospitalisation psychiatrique d’office ! Ce n’est plus la même chanson que d’être simplement hospitalisé. Je suis resté un moment puis je suis sorti. Le psy, dont appréciais vraiment nos échanges, je ne l’ai revu qu’à la sortie. En 2013. Il a essayé plein de trucs pour m’aider, du médicamenteux, jusqu’à la sophrologie ! M’ouaip, rien prenait. Avec certains médicaments, je prenais 10 kilos en deux mois, je ne supportais pas mon corps, alors on changeait
    Et puis depuis cette rupture, j’étais devenu insomniaque, mais une insomnie bien spécifique : 3 an et demi sans dormir. Je n’avais pas sommeil donc je ne me couchais pas. Ah oui, ça je ne fumais plus de shit et autres saloperies pour m’abrutir, mais deux paquets de clopes par jour et nuit. Au vu du montant de ma pension d’invalidité, 800€ et 460 de loyer, j’étais au max des débits financiers. Et je ne dormais pas. Un jour, j’avais été qualifié pour une finale importante France-Quebec à Paris, un vendredi soir. J’avais dormi 1/4 d’heure le dimanche et plus du tout jusqu’au vendredi. Finale super, After, hôtel, voyage de retour et là ont commencé les problèmes. J’ai souffert d’ivresse du sommeil. Pas terrible comme truc. Tu entends des voix, tu vois des choses qui ne se passent pas, tu parles à haute voix, mais seul.. Ton cerveau t’averti que tu pars en vrille, que tu ne contrôles plus rien. La bipolarité, les hémisphères droit et gauche en ébullition, l’amaigrissement à vue d’oeil, pas bon ça, l’ivresse du sommeil. Une gueule de bois 24h sur 24, 7 jours sur 7. Jusqu’au jour où tu prends ta voiture, tu t’engages sur le pont Napoléon et tu as une brutale perte de réveil. Ce sont les klaxons et le bruit de ferraille de la voiture qui te ramènent à toi : tu es sur le trottoir qui longe le pont. Paniqué : et s’il y avait eu quelqu’un.e à cet instant, tu le butais. Oui une panique totale. J’avais rdv avec ma psycho-clinicienne. Elle a pris immédiatement contact avec le psychiatre. Je leur ai demandé de l’aide à tous les deux.
    Direction la psy D à Bretonneau ! J’y étais pour rétablir mon rythme circassien. La psy D ! C’était il y a 4 ans. J’ai vu l’horreur de patient.es qui n’avaient rien à faire là, mais il n’y avait pas de lits ailleurs, j’ai vu et subi la maltraitance d’un cadre soignant sadique et abusant de son poste de cadre, très très con le mec, vraiment ! J’ai vu et subi un personnel à bout de force, au bord ou en plein burn out. J’ai vu des malades en plein craquage dû à l’institution en plus de la pathologie. J’ai protégé ma mère d’une chute alors qu’une jeune psychotique piquait un 100 mètres pour s’enfuir de l’HP, poursuivie par les soignants J’ai demande à ma mère de ne plus jamais venir. Elle a accepté immédiatement.
    Mais petit a petit, très lentement, la chef de clinique, psychiatre, qui me connaissait déjà, a réussi à faire en sorte que je me couche. D’abord a 5h, puis 4 et 3 et 2 jusqu’à 23h, heure de fermeture définitive des lumières.
    Or, là où il fait noir, quand mes yeux se sont, une nouvelle fois, habitués à l’obscurité de la folie générale, j’ai sympathisé avec un type grand, et musclé nommé autiste. Personne n’avait entendu le son de sa voix, sauf le jour où il m’a regardé au réfectoire, nous mangions face à face, et suite à un mic mac, l’infirmière est passée pour rejoindre la table à côté de la nôtre, où déjeunaient les soignants et lui a dit en me désignant  » Tu pourrais dire merci ». Et mon copain autiste a lâché un son guttural dans lequel le personnel hospitalier à côté et moi, avons entendu  » arci ». C’est la seule fois qu’il a ouvert la bouche. Le jour où j’ai eu ma sortie définitive, je l’ai croisé et lui ai expliqué que je partais définitivement, que l’on ne se reverrait pas. Je lui ai tendu la main. Il l’a prise dans la sienne et à serré assez fort. Une vraie poignée de mains d’amis, de frères de combat. Il s’est mis à pleurer doucement, les larmes coulaient en silence, puis il est parti. J’ai eu des nouvelles. Il serait aujourd’hui dans une structure spécialisée dans l’autisme. J’espère qu’il y est bien.
    Avec le temps, j’ai reussi à rééquilibrer mon sommeil et ma vie a pris un grand virage quand j’ai annoncé à ma mère que je transitionnais. Ma psycho-clinicienne elle, a eut un sourire et m’a juste répondu  » Enfin ! ». Ma psy en ville qui me voulait bipolaire avant tout, a mal encaissé. J’ai dû rater encore un rdv je crois. Toujours est-il que du jour au lendemain, je n’ai plus jamais eu de nouvelles. Pourtant, j’ai laissé des messages sur son répondeur mais non, j’avais sans doute dépassé ses limites d’encaissement.
    Le psy hospitalier a enfin trouvé le traitement adéquat pour traiter la bipolarité et le TDHA ( dans le mille-feuilles, je l’avais oublié celui-là, qui m’a bien bouffé la vie aussi).
    Avec ma transition, l’annonce de ma transidendité à la famille qui a très mal réagi, j’ai conservé l’amour puissant de ma mère ( 80 ans) qui après avoir passé des phases logiquement douloureuses, m’a vu être de mieux en mieux dans ma peau, plus calme, plus posé, plus affectueux et surtout, équilibré ! Mais j’ai perdu un frère et deux soeurs. J’ai compris que ma transition a fait exploser les conventions familiales, les silences, les non-dits, les apparences surtout. J’ai pris une énorme baffe affective dans la gueule et puis quoi ? A l’expression commune de cette fratrie qui fut  » Tu ne penses qu’à toi ! « , J’ai répondu oui ! Je pense à moi, enfin !!! Puis j’ai pris de la distance. Le fait que je sois enfin totalement moi-même les dérange ? Tant pis, pour eux . Je leur souhaite juste que mes neveux et mes nièces ne sortent pas de leur moule familial, du cadre social sinon, ça va être chaud pour iels !
    Ma mère me présente comme son fils, me genre de la bonne façon, a accepté pleinement l’idée et l’opération de la mastectomie. Nous nous aimons. Et ça ça n’a pas de prix !
    Le psychiatre hospitalier, dont la transidendité n’est pas la spécialité, a tenté de me suivre dans les méandres d’un parcours parfois compliqué. Je ne l’ai jamais perdu. Entre mes médocs que je prends avec pragmatisme (même si parfois j’en ai marre ), nos échanges, son suivi, je vais bien. Ce qu’il a constaté en me disant quelque chose qui m’a interpellé  » votre bipolarité n’a peut-être pas disparue mais presque. Avec votre transition, vous êtes bien. Et on l’a déjà remarqué sur d’autres patient.es. Quand iels se trouvent, alors c’est gagné. Nous pouvons commencer à réduire les doses de médicaments ». Je vais bien, mieux !
    Ma psycho-clinicienne elle, ne passe sur rien. Je suppose qu’elle attendait que je formalise verbalement la cause si évidente qui me bouffait la vie depuis que je le savais, c’est a dire avant de naitre, qu’il y aurait un important problème entre ce que les gens veulent que je joue comme jeux affectif, sociétal, environnemental, professionnel etc. et moi, né différemment de qui je suis. Mais je ne rentre pas dans les cases.
    Oui je suis bipolaire, j’ai une hyperactivité, j’ai un QI un peu au dessus de la norme ( et de toute façon, ça on n’y peut rien) et je suis trans, ce qui n’est pas une maladie !!
    Voilà, l’exemple d’un parcours de 15 ans de séjours en HP à Tours et alentours, de maladie non pas incompressibles, mais si on s’y intéresse, à cette pathologie bestiale, anthropophage, qu’est la bipolarité. On peut se faire submerger par la maladie mais on peut aussi construire des digues, des fondations en reconnaissant les signaux, en l’acceptant sans s’y soumettre pour autant, en l’apprivoisant. Adieux les hôpitaux et cliniques psy.
    Je ne suis pas un miraculé. J’ai nagé des milliards de kilomètres pour atteindre la rive, je me suis épuisé mais j’y suis arrivée, à force de ténacité et en acceptant de l’aide.
    Ils m’ont tous et toutes, même celles et ceux qui m’ont rejetté, donné un trousseau de clefs. Les serrures étaient en moi. J’ai ouvert de mauvaises portes, j’ai cherché des clefs qui n’existaient pas, je me suis cassé le nez sur de nombreuses illusions d’ouvertures, puis enfin, j’ai trouve LA clef qui ouvrait la bonne serrure.
    Merci à toutes celles et ceux qui m’ont aidé, je suis envies ! A celles et ceux qui m’ont lapidé, je suis en vie, et ça, ça n’a pas de prix !
    Aujourd’hui, j’emmerde la mort et je souris… 🦓

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