Les chroniques judiciaires de Joséphine #8 : Paris

15 000 personnes passent chaque année en comparution immédiate, temple de la Justice rationalisée en « temps réel ». Cette chambre correctionnelle est la face émergée de la Section P12, située dans le bâtiment même du Tribunal. Il s’agit d’un pool de procureurs qui gère les flagrant délits dans la capitale et qui applique depuis une vingtaine d’années le concept de « gestion des flux judiciaires » avec des substituts du procureur qui suivent en direct, sur des plate formes téléphoniques et avec un micro-oreillette, les appels des officiers de police judiciaire de toute la ville qui gèrent arrestations et gardes à vue. En moyenne, chaque substitut reçoit 85 appels par jour et peut consacrer à chaque affaire un maximum de 5 minutes. Les consignes en matière de poursuite sont issues des théories de « tolérance zéro » importées du New York des années 1980 : tout délit, même minime, doit être enregistré par la police, signalé au parquet, traité le plus rapidement possible et donner lieu à une réponse pénale afin que les délinquants soient assurés que leur déviance sera sanctionnée et améliorer ainsi le sentiment de sécurité des concitoyens.

15 février – 15h30 – 23ème Chambre, seconde section

La salle est pleine, il faut attendre que des gens sortent pour y avoir accès. Deux policiers filtrent l’entrée, vérifient les portables et placent ceux qui arrivent sur les bancs. Le président est un homme chauve et à lunettes, la bonne cinquantaine, plutôt débonnaire, pas un mot plus haut que l’autre, un peu dépassé par les quantités de papiers et qui s’inquiète assez tôt du nombre de dossiers et de l’heure à laquelle tout ça va finir. « Il y aura des renvois, je vous préviens », lance-t-il aux avocats. La greffière, une jeune femmes vissée à son ordinateur, n’ose pas lui dire que trois dossiers sont venus se rajouter au dernier moment. Le président est flanqué de deux femmes juge qui resteront silencieuses tout l’après-midi, la cinquantaine bien tassée. Il y a aussi un gamin, stagiaire de collège qui est assis à côté d’eux, pas spécialement impressionné, il semble s’ennuyer un peu, gonfle les joues, pense à autre chose. Une douzaine d’avocats sont là, plutôt jeunes, entassés sur les bancs de la défense et des parties civiles, entrant et sortant, vérifiant les horaires auprès de la huissière, une jeune femme souriante qui porte des baskets pour ne pas faire de bruit sur le parquet, contrairement aux avocates à talons. Le Procureur est un jeune, brillant de réputation, travaillant au pôle financier, trônant avec son ordinateur, ses papiers, son portable et un air peu commode. Les choses sont claires, le laxisme judiciaire ne passera pas par lui. Virtuose, il allie fermeté et rapidité – quitte à manger des mots – histoire de ne pas se mettre le président à dos en prenant du retard. Une demi-douzaine de policiers et de gendarmes jeunes et musclés encadrent la salle et les prévenus, rivés sur leurs portables. Ils tournent régulièrement pour tromper le copieux ennui qui semble les habiter.

Affaire 1 :

C’est un gars, la petite trentaine, multirécidiviste, en sursis probatoire. Il était sorti depuis peu de prison et il s’embrouille avec un couple d’hommes dans la queue d’une Brioche Dorée. Ils l’accusent d’insultes homophobes et du jet d’une canette en direction d’eux. Il n’y a pas de caméras de vidéosurveillance, pas de témoignages. Les victimes n’ont pas fait d’examen médical et n’ont pas donné suite aux demandes de la police pour procéder à une confrontation. Le Procureur demande 6 mois ferme et la révocation du sursis, soit 6 mois en sus. L’avocat de la défense parle de réquisitions disproportionnées et qu’il faut relaxer son client devant l’absence de preuves directes et face à la bonne volonté de l’accusé qui a attendu les policiers sur le trottoir d’en face la Brioche Dorée le jour des faits. Ou alors de tout requalifier en violences sans incapacité totale de travail (ITT), ce qui relèverait de la simple amende. Et puis son client suit un traitement à la méthadone pour l’aider à arrêter les drogues, tout en essayant d’arrêter l’alcool, le renvoyer en prison c’est de nouveau lui infliger une rupture de soins. Le Président le condamne à 6 mois avec révocation du sursis. Il part donc pour une année de prison, mais aménageable en régime de semi-liberté pour lui permettre de suivre des soins en journée mais ça, ce sera dans une quinzaine de jours, le temps que le Juge d’Application des Peines valide la décision.

Affaire 2 :

Arrivent deux jeunes gars dans le box. Le premier est un algérien sans papiers à la rue, il a 23 ans, le second a 25 ans, algérien sans papiers également, il est sans domicile fixe mais dort en ce moment chez une cousine. Ils sont accusés de vol avec violence, en réunion, puis d’outrage et de rébellion. Leur procès avait été renvoyé et ils sont en détention provisoire depuis plus d’un mois.

Le jour des faits, début janvier, les deux accusés et un troisième gars, mineur, étaient suivis dans le métro par des policiers en civil de la Brigade Anti-Criminalité (BAC), convaincus d’avoir à faire à des pickpockets. Au bout de quarante minutes de filature, un des policiers se retrouve dans le même wagon bondé que le trio et fait semblant d’être ivre pour ne pas se faire démasquer. Un des accusés lui demande si ça va et le tire hors du train, l’accompagne sur le quai, suivi par les deux autres. La caméra de vidéosurveillance montre alors que le portable du policier en civil tombe à terre et à ce moment-là, le fonctionnaire crie police deux fois, plaque au sol un des accusés qui était contre lui pour lui passer les menottes. Ce dernier tente de se défendre, se débat et donne des coups de poings au visage du policier. Deux autres membres de la BAC arrivent, sortent leurs matraques télescopiques pour séparer les deux hommes et tenir en respect les deux autres suspects. Un des policiers se blesse au pouce à ce moment là – il aura 4 jours d’ITT – et celui frappé au visage a son portable de cassé ainsi que sa montre, et ressort blessé avec 8 jours d’ITT. Les accusés nient avoir volé le portable qui est juste tombé de la poche du policier et nient avoir compris que c’étaient des policiers. « N’importe qui peut crier police », « j’ai vu un bâton, je n’ai pas compris que c’était une matraque » rapporte la traductrice, une vieille dame qui a du mal à marcher. « On a crû que le mec était un SDF, il avait l’air défoncé, on a voulu l’aider ». Hilarité des juges et du Procureur, qui ponctue d’un commentaire sur l’excellence des policiers dans l’art du camouflage.

L’avocate du principal accusé plaide une demande de nullité, considérant que les policiers ont provoqué le délit en utilisant une ruse, ce qui est illégal en droit français. Elle s’appuie sur la jurisprudence pour tenter de démontrer que le fait que le fonctionnaire crie « police » ne peut suffire à l’identifier et qu’on ne peut retenir la rébellion pour son client qui n’a fait que se défendre dans un contexte confus. Le procureur prend la parole, visiblement énervé, « c’est déplorable de faire ça, de multiplier les demandes de nullité. On veut quoi ? Que les policiers arrêtent de surveiller et qu’ils ne prennent plus leur portable sur eux ? Vous sous-entendez que les policiers mentent dans leurs dépositions et procès-verbaux ? Dans ce cas il faut porter plainte auprès du Procureur ou de l’IGPN ! ». La demande de nullité est rejetée, on passe donc au jugement.

Le tribunal examine le profil des deux hommes. Le principal accusé est arrivé en France en passant par l’Espagne depuis le printemps 2022, il a été arrêté sous différentes identités et jugé à Evry, et bientôt à Marseille. Il dort dans les gares, il travaille au noir sur des marchés, déclare avoir été blessé à l’œil par un des policiers. Il fume du cannabis pour réussir à dormir et dit être dépressif à cause de sa situation, voulant retourner en Espagne. Le deuxième homme a plus ou moins le même profil, il a été arrêté en même temps que l’autre à deux reprises. Il n’a pas de travail, il fait parfois des chantiers au noir, il fume du cannabis, il est instable et souffre d’asthme.

L’avocat des parties civiles accuse la défense de vouloir empêcher les policiers de faire leur travail alors que tout est nickel dans la procédure, du reste habituelle en matière de vol à la tire. Il parle de délinquants aguerris qui utilisent la technique dite du judoka, dans laquelle les voleurs entourent la victime, la touchent un peu partout pour ne pas qu’elle se rende compte qu’on lui soustrait un objet. Bref, c’est limpide, il demande respectivement 2000 euros et 1300 euros de dommages et intérêts pour les policiers.

Le Procureur enchaîne sur la même ligne, parle du mal endémique des vols dans les transports, de bon travail des policiers et du caractère évident du vol et de la rébellion, les accusés ayant bien entendu compris qu’ils avaient à faire à des policiers. Il demande 12 mois ferme pour l’un, 8 mois ferme pour l’autre, avec mandat de dépôt, c’est à dire qu’ils resteront en prison après le jugement.

Les avocates de la défense listent les problèmes de procédure, des confusions dans les accusations entre les trois prévenus, des témoins de la scène qui ont filmé avec leur portable mais qui n’ont pas été sollicités pour l’enquête, des six autres policiers arrivés sur place et qui n’ont pas témoigné, de l’accusation de vol avec violence que les images ne montrent pas, des incohérences dans le déroulé des faits tels qu’ils figurent dans la procédure. Le Procureur souffle, excédé, le visage fermé.

Le président demande si les deux accusés veulent rajouter quelque chose. Une des avocates qui tourne le dos au juge fait les gros yeux à son client pour qu’il ne dise rien. Il a saisi le message, il répond sobrement « non » par l’intermédiaire de la traductrice.

Le principal accusé prend 12 mois ferme et repart en prison, avec une interdiction de territoire français de trois ans, avec la possibilité de demander une conditionnelle d’expulsion, c’est à dire de réduire son temps de prison en échange d’un retour dans son pays. Le deuxième accusé prend 6 mois avec sursis, il dormira chez sa cousine le soir même. Les policiers obtiennent 1000 et 750 euros de dommages et intérêts.

La séance est suspendue.

17h30 – 23ème Chambre, première section

Le tribunal est composé de trois juges femme. La présidente n’est pas commode. « Je sais que c’était la Saint Valentin hier, mais vous pouvez arrêter les messes basses, les deux, là ? » lance-t-elle à un jeune couple dans le public. Le procureur est jeune, plutôt sympathique et bien disposé. La salle est presque vide, les procès s’enchaînent à vitesse grand v, selon une mécanique bien huilée.

Affaire 3 :

Comparaît un jeune homme, ressortissant portugais. Il est accusé de conduite sous l’emprise de produits stupéfiants. A la lecture de son téléphone portable, les policiers se rendent compte qu’ils ont à faire à un dealer. « – Ca veut dire quoi, 40 euros les deux, monsieur ? », «- je parle de chaussures », « ah vous précisez que vous en vendez deux quand vous vendez des chaussures vous monsieur ? ». « – Et ça veut dire quoi ça : y’a de la bonne, du Brésil, MD et cailloux, check les nouveautés, que vous avez envoyé à vos 109 contacts ? », « – je ne sais pas, en fait on m’a prêté ce portable, c’est pas le mien », « – mais alors il est à qui monsieur ? » , « – Didi », « Didi ? C’est tout ? », « – Dylan de Rosny sous bois, j’sais pas comment il s’appelle, moi ». « – Ok… mais pourquoi rouler en scooter 250 cm3 en ayant fumé du cannabis en avec 200 euros de cash sur vous ?, « -j’avais rendez-vous au consulat du Portugal et j’étais en retard madame, alors j’ai échangé mon vélo contre un scoot ».

On passe au casier du prévenu. Il est bien fourni : des vols avec effraction, du stup et surtout pas mal de délits routiers, conduite sans permis et sous emprise de drogues. L’homme a été victime d’un accident de voiture il y a quelques années dans lequel son père, son frère et sa sœur sont décédés, lui s’en est sorti avec des séquelles à vie après un mois de coma si bien qu’il a du mal à travailler, même s’il installe des cuisines au noir de temps en temps. « Monsieur, vous devriez être particulièrement sensible aux questions des dangers sur la route (…) je ne comprends pas votre attitude monsieur. D’ailleurs, je vois que vous avez une condamnation en suspens, vous devriez porter un bracelet électronique non ?, « – oui, on devait me le poser aujourd’hui, mais j’ai pas pu y aller madame», répond l’accusé en montrant le box avec ses mains.

Le procureur a l’air un peu embêté mais bon, il faut bien que l’accusé « comprenne que ce n’est plus possible, qu’il fait courir des risques à tout le monde et à lui-même ». Il demande 12 mois dont 8 mois de prison ferme à purger de suite puis 4 mois de sursis avec obligation de soins, un stage sécurité routière, un stage sur les dangers de la drogue et l’obligation de passer le permis de conduire.

L’avocat commis d’office est lunaire. « Faute avouée à moitié pardonnée madame la juge. Mon client se cherche mais il a de beaux jours devant lui ».

Affaire 4 :

Alors que l’avocat n’avait pas fini sa plaidoirie, l’huissier passe un coup de fil pour faire monter le prévenu suivant, tout se tuile parfaitement. Arrive dans le box un homme de 35 ans, sans papiers, né au Burkina Fasso. Il habite un squat tenu par un marchand de sommeil à Saint Denis. Il a été arrêté pour détention, usage et cession de crack. Cela fait 48h qu’il est en garde à vue, il semble un peu en manque, il est absent, regarde dans le vague, demande à répéter les questions. Il s’est fait attraper porte de la Chapelle après avoir vendu 0,03g de crack pour une valeur de 10 euros. Il avait de faux papiers italiens, 500 euros en cash et un téléphone dont l’examen montre qu’il traîne plusieurs heures par jour dans le coin depuis des semaines. Il n’y a pas de vidéosurveillance.

Il dit qu’il est passé par l’Espagne, par le Maroc puis par l’Italie et qu’il vend du crack pour payer sa consommation et son loyer. Les 500 euros ? Il a gagné ça au PMU la veille.

Le Procureur prend la parole, parle de la misère du monde, de la désocialisation, de vulnérabilité, de handicap, de gens qui quémandent une dose, parfois à 5 euros. « Monsieur a l’air bien en forme. Il comprend tout, il n’a pas de signes visibles de forte consommation, ce n’est clairement pas un crackeux. C’est un vendeur habitué, lorsque les policiers l’ont attrapé il a directement ouvert la bouche pour montrer qu’il n’avait rien, c’est justement dans la bouche que les dealers cachent leur marchandise, c’est ce que les policiers vérifient tout de suite. D’ailleurs, s’il est positif à la cocaïne c’est probablement à cause de ce qu’il porte dans la bouche, pas à cause d’une consommation. Son téléphone montre qu’il passe des heures porte de la Chapelle, s’il n’était qu’un simple consommateur, on le verrait faire des allers-retours ». Il demande 15 mois de prison ferme et une interdiction de territoire pendant 10 ans. L’avocat, toujours le même, dit qu’il faut lui donner une chance de s’insérer. La présidente demande à l’accusé s’il veut ajouter quelque chose. Blanc d’une dizaine de secondes. « Quoi ? » murmure l’accusé.

Affaire 5 :

Entre dans le box une femme transgenre italo-marocaine. Un style de bimbo, french manucure fluo, faux cils, manteau en fausse fourrure, perruque auburn, style affecté. Elle est accusée de vol d’une carte de crédit à une dame de 90 ans, d’escroquerie envers la Société Générale et d’une tentative un peu plus tard, en retirant de l’argent à un distributeur. En fait, elle habite dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale à Marseille et elle avait besoin d’argent pour rentrer de Paris. Son casier porte mention d’une grosse dizaine de faits, des vols et des escroqueries sur des personnes âgées vulnérables, des délits routiers et de la prostitution.

Elle a arrêté l’école en troisième même si elle voulait passer un CAP esthéticienne. Elle est au chômage, elle vient juste de se faire enlever son bracelet électronique pour une précédente condamnation et elle est suivie par le service de probation et d’insertion professionnelle (SPIP). Elle a du mal à marcher car elle a des broches dans une de ses jambes, à la suite d’une défenestration – c’est sa deuxième tentative de suicide -. Sa famille l’a rejetée, sauf sa sœur – présente dans la salle – et elle a un suivi psy en pointillés. Elle raconte que la prison a été une torture pour elle : mise à l’isolement pour ne pas se retrouver dans le quartier des hommes, avec les conséquences que l’on imagine, elle a dû aussi arrêter son traitement hormonal. Seule dans une cellule de 9m², deux promenades par jour, seule dans une minuscule cour grillagée.

Le juge d’application des peines à Marseille déconseille de la renvoyer en prison et note sa volonté de réinsertion mais elle a d’autres procès à venir, avec des procédures qui traînent en longueur.

Le procureur prend la parole. Il met en avant la lâcheté de l’acte, le masque et les lunettes qui montrent la préméditation et la volonté de se dissimuler des caméras de vidéosurveillance. « C’est détestable, combien y aura-t-il d’autres victimes ? J’entends que c’est dur pour monsieur en prison », « – ma cliente veut qu’on l’appelle madame », « – ah pardon oui. Mais rien n’excuse ce que madame a fait ». Il demande 8 mois ferme avec mandat de dépôt.

L’avocate met en avant que sa cliente assume et ne ment pas, qu’elle cherche un emploi, qu’elle a un suivi psy et un hébergement et que désormais une femme de sa famille l’aide. L’huissier passe pendant ce temps le coup de fil au dépôt. Arrive un jeune homme en survêtement. Il fait une mine dégoûtée et refuse de s’asseoir à côté de l’accusée, il s’installe à l’opposé du box en hochant la tête.

19h – 23ème chambre, deuxième section

La séance va reprendre, le public est autorisé à revenir dans la salle. Il y règne un joli brouhaha, les prévenus attendent dans le box et échangent des regards et des mots avec des proches dans la salle, provoquant l’intervention des policiers et gendarmes qui le leur interdisent. Les avocats de la défense rigolent et parlent fort, le Procureur est seul, assis, regardant dans le vide, une grosse liasse de papiers en équilibre entre ses mains.

La sonnette retentit, la salle se lève et se tait, les juges entrent.

Il se fait tard et les dossiers restent entassés devant le président. Il décide de procéder à des renvois, c’est à dire à décaler à plus tard certains procès prévus pourtant ce jour. L’enjeu est de savoir si les accusés resteront en prison jusqu’à cette date ultérieure ou s’ils peuvent sortir dans l’attente du procès, présentant suffisamment de garanties pour que le tribunal considère qu’ils viendront bien le nouveau jour choisi.

Affaire 6 :

Un gars de 20 ans attend dans le box, il a l’air calme et propret, bien coiffé, collier de barbe taillé. Son procès est renvoyé au 29 mars, le temps de réaliser une expertise psychiatrique, il restera en détention d’ici là. Il est accusé de violences sexuelles en récidive sur sa copine, présente dans la salle. Il se lève et pointe la jeune femme, mains tatouées, survêtement. « Toi là-bas, je t’aime bébé ». Elle a les larmes aux yeux et lui fait amoureusement au revoir de la main, émue. Le procureur se lève et demande à la greffière que l’épisode soit rajouté au dossier.

Affaire 7 :

Entrent deux hommes de vingt ans dans le box des accusés. Ils se sont fait attraper alors qu’ils conduisaient sans permis et qu’ils ont refusé de s’arrêter à un contrôle policier, mais on en saura pas davantage sur le fond. Le premier a déjà été interpellé 5 fois mais jamais condamné, il habite chez ses parents, il est au chômage, il boit un peu, il souffre d’asthme, il est blanc. Le second a été interpellé 6 fois pour du stup, des conduites sans permis, du recel et un refus d’obtempérer. Il habite chez ses parents, il a eu le permis fin janvier et travaille en intérim, il est noir.

Le procureur demande un contrôle judiciaire strict pour le premier homme avec pointage au commissariat une fois par semaine, un suivi par le SPIP et une interdiction de rentrer en contact avec l’autre. Pour le second, il demande un maintien en détention provisoire du fait de son casier et de son profil. L’avocat du premier demande une remise en liberté simple, l’avocate du second prend la parole de manière véhémente pour critiquer le fait que son client va de fait se désinsérer professionnellement du fait du trop grand nombre de dossiers ce jour et qu’il n’a pas à faire les frais du manque de moyens de la Justice. Il est toujours venu à ses procès, il ne va pas se soustraire.

« Délibéré en fin de soirée, peut-être vers 23h », souffle une avocate à la copine d’un prévenu dans la salle.

Affaire 8 :

Arrivent du dépôt deux gamins de 18 ans. Des petits durs. Ils toisent la salle, soutiennent les regards du publics, menaçants. Le juge leur demande s’ils veulent être jugés aujourd’hui. Ils disent oui. Le juge répond que le dossier est renvoyé et qu’ils ne seront pas jugés ce jour. Le gamin à gauche le regarde salement, ne comprenant pas pourquoi alors avoir demandé. Il est orphelin de père et habite chez sa mère avec ses deux sœurs. Il a été condamné à 17 reprises depuis ses 13 ans. « – Avez-vous été en prison monsieur ? », «- ouais », « – combien de fois monsieur ? », « – j’sais pas moi, 3-4 fois », « – comment ça vous ne savez pas monsieur », « *bruit de la bouche* ». Le jeune à sa droite, lui, a été condamné à 21 reprises depuis ses 13 ans, mais n’a pas fait de prison. Les deux ont donné dans le recel, le refus d’obtempérer, le vol, les violences, le port d’arme, les stups, l’extorsion, la conduite sans permis, les outrages, les rébellions.

Le procureur demande leur maintien en détention vu les profils et vu ce qui leur est reproché, à savoir, d’avoir volé quelques euros à un jeune homme en le menaçant d’un couteau sous la gorge devant son domicile. La victime a déménagée et se constitue partie civile mais n’a pas la force de venir au Tribunal.

Affaire 9 :

Se lève dans le box un homme de 35 ans. Il habite chez sa mère. Il est accusé de l’avoir violentée, frappée à l’épaule, étranglée et cognée sur la tête avec une bouteille en plastique. Les faits se sont déroulés mi-décembre, mais le procès a été renvoyé deux fois dans l’attente d’une expertise psy. Son avocat prend la parole pour demander un examen en nullité de la procédure. L’accusé a comparu menotté dans le box le 16 décembre – ce qui est illégal et ne garantit pas la présomption d’innocence -. La clef est restée bloquée dans les menottes au moment de les ouvrir, il fallait attendre les pompiers pour le désentraver et la cour a quand même décidé d’un renvoi, après que l’accusé ait refusé de comparaître – ce qui est son droit -, il n’a pas été présent non plus lors du délibéré.

Le Procureur ne voit pas le problème, vu que l’accusé a refusé de comparaître et qu’il avait un avocat, il cite des points de droit et conclut que de toutes façons, dans ce cas, il aurait fallu que la défense dépose une réclamation écrite. L’avocat réagit vivement en disant que son client a refusé de comparaître car il avait ses menottes ! Moue du procureur qui se rassoit.

Les juges partent délibérer sur ce point pendant dix petites minutes. A leur retour, ils décident qu’il n’y a pas de nullité, et qu’il faut passer au jugement. Il est déjà 20h.

La maman – âgée – se porte partie civile. Elle vient à la barre, a du mal à se contrôler, part dans tous les sens dans sa déclaration, son avocate tente de la canaliser et se tourne vers les juges pour s’excuser du regard. A deux reprises, le téléphone de la maman sonne, elle ne sait pas éteindre son téléphone. Un policier s’approche pour le récupérer mais n’arrive pas à l’éteindre, on le passe à un ado dans la salle – forcément expert – qui parvient à l’éteindre enfin. La maman raconte son quotidien, son fils enfermé dans sa chambre à longueur de journée, les menaces de mort, les violences, son état second récurrent, les voisins qui se plaignent de lui, les insultes, les « je t’aime pas », les « t’es une sorcière ». « Depuis qu’il est avec sa copine, il a changé, il crie, les voisins en ont marre et ont fait une pétition, je veux l’aider, il doit se soigner, il a peur des autres, il sort avec un couteau, il est malade, je veux l’aider, qu’il ait une femme, un travail ». Elle a eu des douleurs à l’épaule, 2 jours d’ITT mais pas de bleu. C’est le frère qui était a la pharmacie en bas de l’immeuble qui a entendu sa mère crier au secours par la fenêtre et qui est monté pour aider, mais il n’a pas constaté de violences.

L’accusé a été préalablement condamné 11 fois pour des violences, des menaces, du recel, des stups, outrage et rébellion, il a déjà fait de la prison. On lui demande s’il a déjà été voir un psy, il dit que oui. « Dans quel contexte monsieur ? » demande le président. On apprend alors que son frère – celui qui est monté à la suite de l’altercation -, a assassiné le père de famille et son autre frère, qu’il a été reconnu irresponsable de ses actes, interné puis que maintenant il est sorti et vit dans un appartement thérapeutique. L’accusé dit qu’il avait besoin de raconter tout ça à quelqu’un et qu’il « ne voulait raconter ça à ses copains pour par amener un mood négatif. Ça sert à ça les psys de toutes façons ». Le président regarde la maman qui s’est mise à sangloter sur le banc des parties civiles et enchaîne avec le résultats de l’expertise psy qui ne montre pas de pathologie particulière.

Le procureur demande trois ans de prison ferme. L’homme sera condamné vers 23h à un an ferme. Son avocat est bien déçu, une consœur commente que c’est vraiment fort d’avoir réussi à diviser par trois la peine requise par le procureur.

Pour finir, un texte d’une jeune avocate, écrit après la condamnation de son client, il y a quelques semaines :

C’est Madame la Présidente

C’est oui Madame la Présidente bien sûr Madame la Présidente

C’est oui bien sûr mais oui bien sûr Madame la Présidente

C’est Monsieur le Procureur

C’est Monsieur le Procureur qui requiert trois ans de prison pour une galette de crack

C’est oui bien sûr Monsieur le Procureur

Ah non Madame la Présidente bien sûr que non je ne parlais pas de vous je parlais de Monsieur le Procureur

Ah la parole est à moi Madame la Présidente ?

Merci Madame la Présidente

Je vais plaider alors

Je vais dire

Je vais vous dire Madame la Présidente

Je vais vous dire que Monsieur l’étranger pas français dans le box des accusés il est addict au crack Madame la Présidente

Si je vous le dis c’est pour que vous compreniez qu’en fait dans sa tête à lui c’est pas vraiment un choix de vendre une ou deux ou trois ou quatre ou cinq galette de crack à ses copains de La Chapelle

Non mais je vous le dis parce que comme ça vous comprendrez que si il le fait pas ses os ils deviennent tout froids Madame la Présidente

Oui bien sûr c’est vrai qu’en continuant ses dents elles vont tomber mais je ne sais pas si il y pense Monsieur l’étranger pas français dans le box des accusés

Vous Monsieur le Procureur vous restez bien à votre place s’il vous plaît oui merci c’est important que vous restiez bien assis Monsieur le Procureur sur votre grande chaise à tout petits ressorts oui voilà comme ça ne bougez plus Monsieur le Procureur

Je disais donc que Monsieur l’étranger pas français dans le box des accusés il y pense pas aux dents qui tombent

Il pense au trou dans le ventre aux mains moites à la montée d’adrénaline aux yeux qui se ferment tout seul à l’odeur et au goût de la galette qui va le sauver la galette qui va l’emmener loin du périphérique la galette de La Chapelle celle de l’église des retrouvailles avec son Dieu à lui et oui je sais la France est un pays laïque mais lui c’est Monsieur l’étranger qui n’est pas français

Oui pardon Madame la Présidente je disais ça je plaidais ça je salivais ça comme un baveux comme un crapaud le dos rond devant la Cour des miracles pour vous expliquer que Monsieur l’étranger il peut quand même pas passer trois ans de sa vie en Prison ni même deux ni même un parce qu’il a donné une galette à son copain

Non mais je vous le dis pas pour contester dans le vent c’est pas vrai Monsieur le Procureur vous restez assis on a dit assis

Je vous le dis je vous le plaide je vous le salive comme un baveux comme un crapaud le dos rond devant la Cour des miracles pour vous dire que ça n’a pas de sens pour Monsieur l’étranger qui n’est pas français dans le box des accusés

Ca a pas de sens d’abord parce qu’il va mourir en prison il va mourir de désespoir de plus avoir rien à bouffer même pas la terre ni les cailloux luisants

Et qui va le soigner de sa mort

Personne Madame la Présidente

Personne soigne Personne en Prison Madame la Présidente

Donc il va rentrer il va devenir fou il va ressortir et la seule chose qu’il va faire c’est prier le seigneur pour retrouver la chapelle et non je suis pas prosélyte moi je ne suis au service de personne à part de Monsieur l’étranger qui parle pas français dans le box des accusés

Personne soigne Personne en Prison Madame la Présidente

Donc voilà vous allez le relâcher, on va tous se lâcher, on va arrêter ça, on va arrêter d’arrêter les pauvres on va arrêter de les tuer les pauvres les tox les putes on va leur foutre la paix éternelle

On va les soigner on va leur dire tu vois mon gars je t’avais dit que y avait mieux quand même et que y avait pas besoin de bouffer la merde comme ça à même le sol

On va faire ça Madame la Présidente

Vous allez voir ça va être beau

Moi, vous et même Monsieur le Procureur il va faire ça

Pas vrai Monsieur le Procureur 

Pas vrai Monsieur le Procureur que cette fois on va le faire 

Vous êtes vivants ?

Vous êtes vivants tous dans cette salle-là ?

Vous assistez à la même chose tous ensemble là ?

Votre cœur bat ?

Vous allez le relâcher.

Vous n’allez pas le condamner.

Vous allez l’aider.

Madame la Présidente vous m’écoutez ?

Madame la Présidente elle est où ma salive ?

Elle est où ma bave ?

Je voudrais qu’elle soit dans vos entrailles dans votre bouche dans vos oreilles qu’elle coule oui voilà comme ça elle suinte de partout ça coule c’est degueulasse vite une fiole qu’on récole ce liquide qu’on le garde précieusement ça veut dire que je vous ai touché j’ai réussi avouez Madame la Présidente haha allez avouez-le regardez même Monsieur le Procureur il rigole maintenant

Bon alors on fait quoi Madame la Présidente dîtes moi à votre tour moi j’ai plus de souffle j’ai donné le mien à Monsieur l’étranger qui n’est pas français dans le box des accusés

« La Cour condamne Monsieur à la peine de neuf mois d’emprisonnement ferme avec révocation du sursis et mandat de dépôt immédiat. »

Vous êtes vivants ?

Votre cœur bat ?

Un commentaire sur “Les chroniques judiciaires de Joséphine #8 : Paris

  1. Etudiant en Droit dans les années 1970, je me rendais parfois aux « Flagrants délits » la 39ème Chambre si ma mémoire est bonne. Visiblement rien n’a changé ! Sauf qu’à l’époque, Libé en faisait une chronique régulière, ce qui permettait de savoir. Justice de classe, indéniablement.

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