On rentre au Tribunal en faisant la queue pour passer sous un portique détecteur de métal, les sacs sont passés aux rayons X. « Vous avez un liquide dans votre sac, monsieur », « oui, c’est un bain de bouche », « ok c’est bon monsieur ». On passe contre un échafaudage assez haut, il y a des travaux au plafond. La séance du matin a lieu au fond à gauche.
Tribunal Judiciaire d’Orléans – Chambre Correctionnelle – 8h50
La salle, petite, sorte de bunker judiciaire en pierre et en bois avec une Marianne qui trône en hauteur derrière les juges s’allume tout à coup. Une classe de lycée attend devant depuis un moment, les élèves rentrent et s’assoient, ils ont 15-16 ans, ils sortent méticuleusement leurs cahiers pour faire style ils prendront des notes. L’huissier, un grand gaillard d’une cinquantaine d’années prépare déjà les dossiers sur une petit table, la greffière allume l’ordinateur, une stagiaire s’installe à côté d’elle sur une chaise plus basse. L’huissier balaye la salle d’un regard, il se lève et se dirige vers le seul noir de la salle, un élève. « Vous êtes convoqué à quelle heure monsieur ? À 9h ? ». Le jeune reste muet. Le prof qui les accompagne dit au huissier qu’il s’agit d’un simple spectateur. « Ah… ». L’huissier repart, certains élèves regardent leur camarade, un sourire gêné aux lèvres. Une jeune Procureure rentre et installe ses dossiers. Grande, cheveux bouclés, lunettes, avec une assurance toute relative.
La sonnette retentit. « Mesdames et messieurs, le Tribunal, levez-vous ». La juge, une petite femme, la quarantaine bien tassée rentre et demande au public de s’asseoir. Elle a l’air très sérieuse et concentrée, très pro, pas fermée non plus, juste pro. Elle parle distinctement mais avec une vitesse tout à fait respectable. C’est une technicienne, il n’y a pas de coup d’éclat, de petite phrase assassine face aux contradictions des accusés, pas d’émotion. Non, vraiment, très pro.
Affaire 1
Rentre dans le box un homme noir, la vingtaine, il remonte du dépôt, il a été extrait de sa cellule à la maison d’arrêt de Saran le matin même, il est accusé de violences sur un de ses gardiens. Il vient de Fort-de-France, il a travaillé un peu dans une déchetterie puis est venu en métropole, sans trouver de véritable domicile fixe. Il a été condamné quelques fois pour des vols, des violences aggravées et il a pris 5 ans de prison ferme pour un vol à main armée. On ne comprend pas très bien ce qu’il dit, mais il est en colère, il parle avec un ton menaçant, agite les bras, invective la juge. Il n’a pas d’avocat, la victime ne s’est pas constituée partie civile, la procédure est réduite à sa plus simple expression.
Lors d’une fouille de routine de sa cellule, il n’a pas supporté le ton des gardiens, s’est opposé à la fouille, les a menacés avec ses poings et lorsqu’ils ont essayé de le maîtriser, il ne s’est pas laissé faire et a agrippé un des gardiens au cou, causant une ecchymose et quelques griffures. Les gardiens ont fini par le menotter et par le calmer avant de l’emmener au quartier disciplinaire à l’isolement. Quelques jours plus tard, lors d’une procédure interne à la prison, il est condamné à 15 jours de mitard. Le prévenu dit que ce sont les gardiens qui l’ont agressé et qui ont été violents. « Écoutez monsieur, on a le témoignage de quatre gardiens contre vous. Pourquoi avez-vous agressé ces fonctionnaires, monsieur ? », « si j’avais voulu les agresser, personne ne m’aurait maîtrisé. Ces gars-là ils assument rien, alors je vais assumer pour eux ». Le prévenu a refusé un examen médical après l’altercation, impossible de vérifier sa version. Il demande juste à changer de prison parce que ça va mal se passer avec les gardiens après cet épisode.
La Procureure se lève et prend la parole. Elle parle de faits désagréables, d’une agression caractérisée que « le tribunal reconnaîtra sans difficultés ». Elle demande 8 mois ferme. La juge baisse la tête, s’en suit un blanc de quinze secondes, on voit qu’elle est en train d’écrire quelque chose. « Après en avoir délibéré, la cour vous condamne à 6 mois ferme. Veuillez raccompagner ce monsieur au dépôt ».

Affaire 2
Rentre un homme dans le box des accusés, lui aussi comparaît détenu. Son procès devait avoir lieu à 10h30 mais comme il n’a pas d’avocat et qu’il est venu de la prison de Saran avec le précédent accusé, l’huissier propose de la juger de suite et comme ça les escortes peuvent rentrer plus tôt.
« Pas de menottes monsieur ? », « non ». « Pas d’avocat ? », « non, il ne va pas venir je crois, « vous êtes sûr monsieur ?, « oui, oui ». Le gars parle difficilement, il vit dans la Beauce profonde, il a l’air bien paumé. Il est jugé pour refus d’obtempérer en récidive, pour conduite sans permis sous l’emprise de stupéfiants, il s’est fait attraper en roulant en sens inverse dans un bled. Il vit en concubinage, il a un enfant et sa copine est enceinte d’un deuxième enfant. Lui est au chômage, elle elle travaille, au Smic. Il a 25 mentions à son casier judiciaire, dont les deux tiers pour des délits routiers, c’est d’ailleurs pour cela qu’il comparaît détenu, il purge une peine pour un délit de fuite qui a provoqué un accident avec un blessé qui a été envoyé à l’hôpital pour trois mois.
Le soir des faits, les gendarmes voient un véhicule qui roule à vive allure, ils mettent les gyrophares pour procéder à un contrôle mais la voiture file. Ils finissent par la retrouver dans une impasse, deux cagoules ont été jetées par la fenêtre, la plaque est fausse, la voiture est vide. Après quelques minutes les gendarmes retrouvent deux gars cachés dans un bosquet non loin de là. Ils nient toute implication. Après la garde à vue, un des deux accepte la procédure du plaider-coupable, mais l’autre clame son innocence, c’est lui qui comparaît aujourd’hui. Il dit qu’il ne conduisait pas, qu’il était passager, tout comme son complice, et qu’il a de suite demandé au conducteur de s’arrêter lorsque les gendarmes ont commencé à les poursuivre. La juge lui dit que les gendarmes sont formels, il n’y avait que deux personnes dans la voiture et que le passager avait une coupe afro, ce qui est le cas de son complice. « Oui mais moi quand j’ai vu les gendarmes et que j’ai compris que le conducteur n’allait pas s’arrêter je me suis allongé sur la banquette arrière, ils confondent ! ». « Monsieur, vous avez changé déjà trois fois de version », « oui mais j’avais peur, à cause de mon casier ». « D’accord monsieur, mais il est passé où ce conducteur ? C’est qui ? », « oh ça je ne sais pas, c’est un copain du passager avec la coupe afro, je ne sais pas ce qu’il est devenu mais je sais que quand on s’est cachés dans le bosquet j’ai entendu un grand plouf, il a p’tet sauté à l’eau à côté du lavoir ? ».
La Procureure demande 6 mois ferme et la révocation du sursis précédent, rendant difficile un éventuel aménagement de peine, avec un bracelet électronique par exemple. « On n’a pas envie de vous croire monsieur, depuis 2019 vous multipliez ce genre de délits (…) le tribunal n’aura donc aucune difficulté à rentrer en voie de condamnation ». L’accusé répond « je suis victime d’une erreur, je clame mon innocence, je l’ai toujours clamée, c’est pas ma voiture, je l’ai jamais conduite, relevez les empreintes ! Pourquoi vous ne les avez pas relevées ? Ma femme est enceinte et c’est la galère pour aller chercher la petite à l’école ».
De nouveau un blanc de quinze secondes de la juge. Coupable. 6 mois ferme sans aménagement, 200 euros d’amende pour le sens interdit. L’accusé hoche la tête et repart au dépôt. Les escortes pourront rentrer tôt.
Affaire 3
Cette fois, il n’y a ni accusé, ni victimes, juste l’avocate de la défense. Le gars absent est accusé de conduite sans permis, en récidive, sous l’emprise de stupéfiants, il a déjà été condamné pour des faits similaires trois fois. En fait, l’accusé est convoqué pour deux affaires, le tribunal décide de les joindre pour rendre une seule décision, vu que ce sont des faits identiques à quelques jours d’intervalle.
La Procureure considère que « le Tribunal reconnaîtra la culpabilité sans difficultés » et demande trois mois avec sursis et un stage de sensibilisation. L’avocate de la défense dit que son client avait consommé en réalité du CBD et qu’il a des phobies administratives, d’où son incapacité à répondre clairement aux gendarmes au moment du contrôle si son permis était suspendu ou pas, elle demande donc la relaxe.
Coupable ! Il est condamné à la peine demandée par la Proc’.

Affaire 4
Comparaît un homme de trente ans, petit, sec, pas vraiment en forme. Il vit en concubinage, il a un enfant, il est au RSA, sa compagne est au Smic, il a 5 mentions sur son casier, pour violences conjugales et vol par ruse. Il parle lentement, il faut répéter les questions, il ne comprend pas tout, il n’a pas d’avocat.
En décembre 2019, l’accusé, ivre et sous l’emprise de cannabis, rentre chez lui avec son cousin. En fait, son ex-copine est sa voisine du dessous, il décide de sonner à la porte pour lui parler. Elle a peur, il insiste, elle appelle son copain qui ne tardera pas à arriver vu qu’il revient de son entraînement de foot avec ses amis. Entre temps, l’accusé et son cousin – mineur – s’en prennent à la voiture de la jeune femme, en crèvent les pneus et cassent des vitres. Lorsque le copain arrive, l’accusé lui saute dessus et le roue de coups de poings, provoquant la rupture du nez avec déplacement du cartilage qui nécessitera une opération en urgence, des œdèmes, un déboîtement de la mâchoire et l’endommagement de plusieurs racines de dents, le tout en proférant des menaces de mort. La victime sera arrêtée pendant 10 jours, souffrant également d’un trauma psy.
L’accusé nie les faits – reconnus par son complice jugé par les tribunal des enfants il y a quelques mois – et dit juste que son ex l’a insulté et qu’il a donné une ou trois claques à son nouveau copain. « Monsieur, vos déclarations sont contradictoires avec l’examen médical, vous lui avez mis combien de coups ?, « je ne sais plus trop, ça fait 4 ans ! », « oui voilà on est plutôt sur ça je pense monsieur, vous ne vous souvenez plus des coups de poings ».
L’avocate de la victime demande près de 3000 euros de dommages et intérêts. La Procureure note le déchaînement de violence et les témoignages variés et concordants si bien que « le tribunal n’aura aucune difficulté à condamner monsieur ». Elle demande 10 mois avec sursis avec deux ans de probation, l’indemnisation de la victime, l’obligation de soin et de travailler, l’interdiction du port d’arme.
Blanc. Coupable. 8 mois avec sursis, interdiction de port d’arme et 2000 euros de dommages et intérêts.
Affaire 5
Ni avocats, ni victimes, ni accusés. Le gars absent a été arrêté pour conduite sans permis et sous l’emprise de cannabis. Il a un casier portant 7 mentions, des agressions, des violences, des menaces, des extorsions, des stups. La Procureure demande 3 mois de sursis, la suspension de permis pour 9 mois et un stage de sensibilisation. La juge confirme.
Affaire 6
Cette fois, l’absent est un homme marié de 50 ans, trois enfants, un casier chargé. Il a dit aux gendarmes ne plus avoir de permis mais qu’il allait chercher du lait pour que sa femme le donne au petit. La Proc demande un stage et 350 euros d’amende. La Juge suit les réquisitions.

Affaire 7
Toujours personne.
Il s’agit d’une histoire d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique. Un SDF de Pithiviers est accusé d’avoir dit puis tagué sur un Carrefour Contact « le maire, nique sa mère et même sa grand-mère, je lui chie dans les bottes ». Entendu par les gendarmes, il dit qu’il n’avait fait que répondre au maire qui a dit un jour de marché qu’il allait « virer les clodos de la ville » et que son tag est une référence au film la Haine. L’accusé a 45 ans, il a un casier rempli, essentiellement des affaires de stup, de violences, de dégradations et d’ébriété sur la voie publique.
La Procureure demande 4 mois ferme, la juge le condamne finalement à deux mois ferme, il faudra aller l’arrêter à Pithiviers s’il y est encore.
Il est 10h35, la cour a un bon petit rythme, une suspension de séance de 10 minutes est décrétée pour souffler un peu. A 10h45 tapantes, la sonnette retentit, la séance reprend.
Affaire 8
Cette fois, seuls les représentants légaux de la victime et leur avocate sont présents. L’accusée, une femme de presque 70 ans a écrit une lettre au tribunal pour dire qu’elle ne voulait pas être présente.
Il y a quelques mois, une dame de ménage dans une résidence HLM entend des pleurs qu’elle considère comme alarmants, elle descend au rez-de chaussée, identifie l’appartement d’où proviennent les cris, elle sort, contourne le bâtiment et va voir par une fenêtre à l’arrière. Elle découvre l’accusée, assistante maternelle, en train de tirer par les cheveux un enfant de deux ans sur son lit, puis le saisir et le frapper sur les membres pour qu’il s’endorme enfin. La dame de ménage appelle immédiatement les parents et se réfugie, en pleurs, chez la gardienne. Les parents débarquent et prennent le petit puis partent à l’hôpital le faire examiner par les services judiciaires spécialisés. Le médecin constate des bleus probablement causés par des coups et un décalage de la fontanelle, possiblement issu de coups répétés . Les parents portent plainte, et déclarent que leur fils avait en effet changé d’attitude depuis quelques semaines, pleurant lorsqu’ils l’emmenaient chez la nounou, et hurlant lorsqu’on lui touchait la tête, notamment pendant le bain, sa sœur a commencé à avoir des tocs à peu près à la même période.
Entendue par la police, l’assistante maternelle nie en bloc, elle déclare avoir juste couché l’enfant et que la dame de ménage a mal vu, mal compris. Elle accuse d’ailleurs la maman d’être instable, sous-entendant que si blessure il y a, c’est la maman la responsable. Elle finit son audition par la police en précisant qu’elle est partie à la retraite depuis les faits, très peinée par l’accusation.
L’avocate des parents de la victime parle de trahison, de cette assistante maternelle qui est une sorte de troisième grand-mère, de confidente depuis des années. Elle parle de déni massif, des services de la Protection Maternelle et Infantile (PMI) qui après enquête ont retiré l’autorisation d’exercer à l’accusée qui, de fait, n’est pas partie à la retraite de son plein gré. Elle parle de la maman qui a eu besoin de trois séances de psy pour gérer la culpabilité de ne pas avoir constaté plus tôt que quelque chose clochait. Elle demande 5000 euros de dommages et intérêts. La Procureure reprend son expression favorite et est confiante dans le fait que le « Tribunal reconnaîtra sans aucune difficulté la culpabilité de la prévenue ». Elle demande 6 mois avec sursis et l’interdiction de travailler avec des enfants.
Délibéré renvoyé à plus tard.

Affaire 9
Arrive un monsieur de 40 ans, il habite à Pithiviers, il vit en concubinage, il a quatre enfants, il est technicien de maintenance. Il est accusé de conduite d’un véhicule sans permis, sans assurance, sans carte grise à jour et sans contrôle technique à jour, le tout sous l’emprise de cannabis. Il a 6 mentions au casier, des vols, des blessures, des destructions, des délits routiers, de l’extorsion.
Lui, il a un avocat, un sacré numéro. Après l’exposé des faits et l’examen de la personnalité, l’avocat tient à refaire dire à son client qu’il a bien 4 enfants en bas âge à charge. L’accusé dit qu’il a fumé du CBD – légal – et non du cannabis et qu’il ne savait pas qu’il n’avait plus de permis vu qu’il n’avait pas reçu la lettre recommandée de la Préfecture qui lui signifiait l’annulation de permis à la suite d’un contrôle routier pour un excès de vitesse quelques semaines auparavant.
La Procureure ne croit pas à la thèse du CBD ni de la lettre non reçue, d’ailleurs la Poste certifie avoir toqué à la porte et avoir laissé un papillon de son passage pour que le monsieur aille retirer le courrier les jours suivants. « Ce sont les excuses classiques que l’on entend à longueur de temps dans un tribunal. Vous attendez qu’il y ait un accident grave pour réagir monsieur ? ». Elle demande 3 mois ferme et une suspension de permis de 6 mois, une fois que « le Tribunal aura reconnu sans difficultés la culpabilité du prévenu ».
L’avocat de la défense sort alors le grand jeu, subjuguant les élèves dans le public, qui retiennent quelques sourires. Selon lui, il y a méprise, en fait son client consomme du CBD rapporté de Suisse par le beau-frère et les normes ne sont pas les même, il y a parfois par accident plus de substance active que dans le CBD français, il « suffit de se renseigner sur internet pour le constater ». Le coup de l’annulation de permis ? Un quiproquo. En fait le client n’a pas eu le papillon du passage du facteur donc il n’a pas pu aller chercher le recommandé et de toutes façons il travaille car il a quatre enfants à nourrir. L’avocat s’appuie alors sur une mésaventure personnelle, preuves à l’appui, montrant à la cour un papillon de passage de recommandé avec marqué « absent le jour de la distribution », alors que l’avocat affirme « mais j’étais là et j’ai bien reçu le recommandé, donc vous voyez, la Poste fait des erreurs… et puis avec le manque de moyens connu et reconnu, ça ne fait qu’empirer ». L’avocat s’emporte « mon client n’a pas été condamné depuis 4 ans et vous voulez l’envoyer en prison pour avoir fumé du CBD suisse et ne pas avoir reçu de papillon de la Poste, c’est ubuesque ! Il a besoin de son véhicule pour aller travailler, votre condamnation, ce serait un arrêt de mort social ! ».
Délibéré renvoyé à plus tard.