Alertes sur la situation des Gens du Voyage en Indre-et-Loire

Parmi les discrètes victimes collatérales du départ de la Préfète Marie Lajus en décembre dernier – limogée par le ministère de l’Intérieur sous la pression de quelques élus locaux issus de la majorité et de la droite rurale –, on trouve les populations les plus fragiles qui avaient bénéficié du virage social opéré par cette haute fonctionnaire depuis plus de deux ans. Et sans surprise, ce sont les gens du voyage qui se retrouvent désormais dans une situation alarmante.

Mme Lajus s’était en effet donné pour priorité d’accélérer la mise en conformité du plan départemental d’accueil des gens du voyage, perpétuellement à la traîne depuis 20 ans, n’offrant que 2/3 des places imposées pourtant par la loi. Ceci, sans même parler de la qualité des aires d’accueil, 25 sur 27 étant considérées comme indignes, enclavées, polluées, isolées et vétustes. Pire, la principale aire de Tours Métropole située à Saint-Pierre-des-Corps, construite sur une décharge sauvage en 2000, pourrait bien devenir le nouveau scandale sanitaire et environnemental à gérer pour un exécutif métropolitain déjà bien affaibli.

Mais depuis que le Préfet Patrice Latron, ex-officier parachutiste coulant des jours heureux au cabinet du ministère des anciens combattants, a été bombardé en Indre-et-Loire pour rassurer les notables locaux, les bonnes vieilles habitudes semblent reprendre de plus belle.

Un schéma départemental bafoué

Par la loi dite Besson II de 2000 – votée sous le gouvernement Jospin –, il a été imposé aux communes de plus de 5000 habitants de prévoir des places d’accueil pour les populations itinérantes. Cependant, très vite, la droite s’est affairée à détricoter et assouplir les contraintes de la loi, notamment lors du passage remarqué au ministère de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy, très offensif sur ces questions. La technique utilisée était simple : traiter sous l’angle sécuritaire une politique publique pourtant liée à la dignité et au droit au logement des personnes. Ainsi, la loi dite sécurité intérieure de 2003 puis la loi de 2007 sur la prévention de la délinquance ont limité la portée de la loi Besson, aménageant de multiples dérogations aux obligations d’accueil des gens du voyage.

Aire de St Pierre des Corps – on aère la literie sur un capot de voiture, à côté des poubelles

Ce rétropédalage législatif porté par la droite a été particulièrement bienvenu en Indre-et-Loire où le retard sur l’offre de terrains d’accueil pour les gens du voyage est structurel. Le premier schéma départemental ne comptait que 600 places de caravane sur des aires d’accueil sur les 900 projetées. Lors du deuxième schéma établi en 2017, on avait supprimé une cinquantaine de places, tombant à 550, avec une répartition assez inégalitaire, une petite moitié des places disponibles dans le département étant proposées par la métropole de Tours qui a, suivant les derniers chiffres disponibles, accueilli 1500 Voyageurs, dont 600 enfants en 2022. A l’inverse, certaines communes de plus de 5 000 habitants ont continué à être dispensées officiellement de construction d’une aire, c’est le cas de Bléré, la Ville aux Dames ou Esvres. D’autres, comme La Riche ou Ballan-Miré esquivent leurs obligations depuis 20 ans, faisant traîner les procédures, se défaussant sur la Métropole et jouant de l’inertie des enquêtes publiques et des études de faisabilité à mener. En tout, 8 communautés de communes sur 11 dans le département ne respectent pas les obligations du Schéma Départemental, reconnaissait la Préfecture en janvier dernier.

En plus du sous-dimensionnement chronique du dispositif d’accueil, 96% des aires d’Indre-et-Loire sont isolées du tissu urbain, 25% sont sujettes à des nuisances importantes, souvent accolées à des voies de circulation majeures, nationales ou autoroute, quand elles ne sont pas en zone inondable classée aléa fort, mot poli pour dire « zone dangereuse ». Il faut reconnaître que les communes rivalisent d’originalité pour leurs implantations d’accueil : l’aire d’Amboise est voisine du plus gros élevage de pintades du département, avec l’odeur pestilentielle et le bruit permanent qui vont avec, deux aires de Chinon sont à côté d’un club de tir, à Saint-Cyr-sur-Loire, l’aire est située en plein milieu d’un échangeur routier, celle de Neuillé-Pont-Pierre est accolée aux poubelles du Super U, celle de Saint-Martin-le-Beau jouxte la station d’épuration.

Résultat ? Les taux d’occupation sont d’à peine 55%, les gens du voyage évitant le plus possible de séjourner dans ces aires reléguées, ce qui, du reste, réjouit la plupart des élus qui peuvent ainsi facilement justifier le status-quo dans le schéma départemental qu’ils qualifient de surdimensionné et dispense l’Etat d’investissements pour moderniser les aires.

Aire de Saint Pierre – promiscuité et proximité

Bien entendu, cette situation favorise les occupations spontanées de terrains par les Voyageurs et donc les tensions avec les propriétaires et le voisinage, sous le regard inquiet des maires qui croient voir s’éloigner leur réélection à mesure que la colère de la population augmente. Lorsque Mme Lajus à pris la tête de la Préfecture en 2020, l’idée était d’accompagner le département vers la conformité, avec une révision du schéma mais aussi une responsabilisation des communes qui ne proposent pas un nombre de places suffisantes. Dans ces cas-là, impossible pour les maires de solliciter la force publique pour déloger les voyageurs, situation que prévoyait déjà la loi Besson. Cette orientation a grandement participé à la grogne des élus ruraux, le plus souvent issus des rangs de la droite et clairement conservateurs. Le sujet est devenu vraiment épineux lorsque Jean-Gérard Paumier, grand baron LR de la Touraine, s’est lancé dans la campagne des élections départementales en 2021 tout en lorgnant vers les sénatoriales de 2023, deux scrutins qui donnent beaucoup de poids à la ruralité. Dès lors, Paumier a dû sortir le grand jeu et mettre en scène la proximité avec les élus de la campagne, s’adosser à la France du bon sens qui souffre et qui est invisibilisée par la Babylone locale : la commune de Tours, figure de la grande ville qui étouffe et polarise son territoire environnant, d’autant plus détestée que désormais c’est un écologiste qui a pris la ville en 2020 avec une coalition comptant même de dangereux Insoumis. Bref, pour Paumier, il fallait rassurer, pourquoi pas en musclant un peu le traitement des gens du voyage, solution facile et pas chère. C’est donc très probablement un des sujets qui a contribué aux demandes de départ de Marie Lajus…

Car la grogne des élus des petites communes où la culture de défiance envers les Voyageurs est ancienne et bien ancrée s’exprime de plus en plus de manière décomplexée, par exemple dans la huppée Cinq-Mars-la-Pile où la maire Sylvie Pointreau a utilisé le magazine municipal début 2023 pour laisser libre cours à sa plume vengeresse, critiquant ouvertement la loi et le droit le plus élémentaire : « nous sommes conscients de l’exaspération que suscitent les dégradations et les incivilités en tout genre qui sont le fait des « gens du voyage ». Mais pour obtenir une demande d’expulsion administrative, il faut maintenant monter tout un dossier et prouver que les nuisances génèrent des troubles graves à l’ordre public. Les délais sont insupportables pour nous tous ».

Aire de Saint-Pierre – un environnement enchanteur

Il faut dire que les discours douteux font florès en Touraine et l’effet de tabou ou de modération tend à disparaître. On se souvient des tirades islamophobes sur les réseaux sociaux de l’adjoint LR à la sécurité à Château-Renault – commune qui ne respecte pas le Schéma Départemental d’ailleurs – ou plus récemment des dérapages de Frédéric Augis, président LR de Tours Métropole, qualifiant un camarade de son parti de « sale portugais », injure qui fait désormais l’objet d’une plainte. Plus élégant encore, le vice-président métropolitain proche LR et par ailleurs CRS de profession – Sébastien Marais – qui est en charge du dossier des gens du voyage, a été remarqué sur Twitter pour ses partages de messages de l’ultra-droite identitaire, peu suspecte d’amitié envers l’altérité. D’ailleurs, des témoins des commissions métropolitaines qui pilotent les politiques à destination des gens du voyage rapportent des attitudes et propos d’élus d’assez mauvais goût, même si depuis quelques mois, une certaine bonne volonté et du pragmatisme semblent davantage à l’œuvre.

L’État vous protège

L’arrivée du Préfet Latron a donc été vécue comme le moment de siffler la fin de la récréation en Touraine. Le virage sécuritaire voulu par l’exécutif à Paris et appelé par ses vœux par la droite locale trouve désormais un sérieux défenseur, tranchant avec l’image de Mme Lajus qui a parallèlement fait l’objet d’une belle campagne de presse sur le registre « oh grands dieux mais que faisait une telle gauchiste sous les ors de l’Hôtel de Préfecture ? ».

Changement dans la communication de la Préfecture donc. Désormais, drones, interdictions de rassemblements, charges de CRS en manif’, plaintes envers des militant.e.s et interventions musclées font partie du champ des possibles. Mais que l’on se rassure, « l’État vous protège » nous vantent les éléments de langage et puis, on est dans « les 100 jours de l’apaisement » décrétés par un Emmanuel Macron désormais fatigué par les manifestations et les critiques sur ses méthodes de gouvernance.

Aire de Saint-Pierre – maison du gardien et locaux collectifs

Dans le cas qui nous intéresse, les associations spécialisées dans l’accompagnement des gens du voyage, notamment pour scolariser les enfants et permettre l’accès aux droits (CAF, RSA, allocations, CMU…) signalent un changement de doctrine à la Préfecture. Une procédure accélérée d’expulsion lors des occupations illégales de terrains a été promise aux élus et ce dès le premier déplacement officiel du Préfet Latron en janvier dernier : « je n’ai pas la prétention de dire qu’on réglera le problème car ça existe depuis des années et je tiens à rappeler que les gens du voyage ne sont pas tous dans l’illégalité. Certains respectent les règles et sont bien intégrés dans les communes. Mais pour les autres, je prends des engagements de rapidité administrative. Lorsque les élus me feront une demande d’arrêté de mise en demeure, je souhaite qu’elle puisse être traitée le plus rapidement possible. J’ai demandé à ce que la gendarmerie soit en appui des maires pour établir les troubles à l’ordre public et qu’on ne perde pas de temps. Lundi, par exemple, j’ai eu une demande d’un élu le matin et il a eu la réponse dans la soirée ».

Les amendes de 135 euros pour mauvais stationnement de caravane pleuvent désormais, des témoins signalent même des coups de pression de la gendarmerie dans le chinonais pour effrayer certaines familles afin qu’elles partent rapidement. Un bon connaisseur de la question tempère un peu : «  le Préfet fait le dur pour rassurer les élus mais il n’a pas d’autre choix que de suivre la loi, et lors des réunions en Préfecture, il est à l’écoute, il pousse pour favoriser les médiations et s’étonne des libertés prises par certains élus avec la loi Besson »…

Il faudra désormais suivre également au long cours l’évolution du nouveau schéma d’accueil des gens du voyage, porté par Mme Lajus et dont on peut facilement imaginer qu’il passera de toute urgence en bas de la pile des dossiers à traiter.

Décharge d’accueil

Justement, parmi les dossiers délicats que doit traiter la Préfecture, on trouve la situation de l’aire d’accueil de Saint-Pierre-des-Corps, la plus importante de la Métropole avec 48 places.

Ce parking sordide avec ses blocs sanitaires vétustes – une aire d’accueil en Touraine quoi – est coincé entre la D140, un ruisseau rempli de pneus de voiture et un dépôt de Fil Bleu, le tout non loin d’une usine dangereuse classée Seveso encore en activité il y a peu. Le site est depuis quelques mois l’objet d’une attention particulière à cause des odeurs inquiétantes qui se dégagent du sous-sol. A tel point que Mme Lajus s’y est rendue l’été dernier avant de pousser la métropole de Tours à la conduite d’un rapport d’expert sur la pollution, rapport que j’ai pu me procurer. Mais revenons d’abord un peu en arrière.

Aire de Saint-Pierre – affaissement progressif des sols

Cette aire est en fait le fruit d’un drôle de compromis qui remonte à 20 ans : quand il a fallu se conformer aux obligations de la loi Besson, voilà le Maire de Tours PS-tendance pas de vagues, Jean Germain, bien embêté. Il fallait trouver un terrain d’accueil pour les gens du voyage, mais les réserves foncières de la ville de Tours sont rares et surtout, elles sont très valorisées sur le marché. Ce serait dommage de gâcher des terrains que l’on pourrait céder à des promoteurs immobiliers pour des programmes à destination de familles CSP+ venues de Paris grâce à la fée TGV, le tout sans trop de nuisances de voisinage ni de risques électoraux. De même, la maire PCF de Saint-Pierre-des-Corps, Marie-France Beaufils, ne souhaitait pas faire d’efforts particuliers au sujet des gens du voyage, ayant déjà à gérer une concentration importante de populations avec des difficultés sociales sur une commune en pleine mutation, avec le désengagement de la SNCF dans ce bastion cheminot historique. Et là, par la magie du win-win, les deux maires tombent d’accord sur un deal : la commune de Tours dispose d’un terrain le long de la D140, terrain abandonné devenu depuis les années 1970 une décharge sauvage, notamment pour certaines activités de gens du voyage mais également pour des habitants indélicats de la cité de la Rabatterie toute proche ainsi que pour des artisans et garagistes du coin. La parcelle se trouvant sur la commune de Saint-Pierre, cela permet aux deux communes d’arguer qu’elles se conforment à la loi Besson. La préfecture valide et hop, voilà le projet de plus grande aire d’accueil métropolitaine sur les rails. On ne traite pas les pollutions présentes, on recouvre juste avec des la chaux et des gravats, on met du bitume par dessus, on installe des blocs sanitaires et une sorte de baraquement de parpaings sans fenêtres qui fera office de salle commune et c’est parti. A l’époque déjà, les scientifiques consultés et l’association Tsigane Habitat s’étaient opposés à cette implantation, mettant en évidence les risques sanitaires, notamment en termes de stabilité du sol et de dégazage de composés organiques. Et de même, certains s’inquiétaient de la proximité de l’aire avec la D140, le retrait minimal exigé par la loi n’étant pas respecté, avec le risque pour les caravanes et les Voyageurs en cas d’accident et de sortie de route d’un véhicule qui peut rouler à plus de 90km/h sur ce tronçon. Mais bon, il fallait avancer.

Sauf qu’avec le temps, les prévisions des experts se sont réalisées : les polluants ont continué leur lent processus de méthanisation malgré les couches de chaux et de bitume, provoquant des odeurs nauséabondes et des petits affaissements du parking qui ont alerté les usagers, puis les autorités sanitaires et préfectorales.

Aire de Saint-Pierre – dépôts sauvages à l’entrée de l’aire

Que dit donc le fameux rapport de l’automne 2022 ? Il note des « traces de ferraille, des odeurs d’hydrocarbures, du caoutchouc, des plastiques, des tissus, des mousses », cette poche de déchets baignant dans des remontées d’eau de la nappe alluviale toute proche. Les experts remarquent des taux importants d’hydrocarbures, des résidus de combustion d’hydrocarbures, des polluants organiques persistants, des dérivés de benzène, du cuivre, du mercure, du plomb et du zinc, des fluorures, des sulfates et de l’antimoine. Le carottage montre des terres noirâtres, imbibées de certains hydrocarbures, dès le premier mètre de profondeur.

Ces excès de concentration de produits polluants « peuvent induire ± directement des risques sanitaires, par contact direct et/ou envols de poussières, inhalation de composés gazeux… (…) La plupart est également problématique pour l’environnement dans la mesure où leur présence dans les eaux souterraines peut rendre celles-ci impropres à la consommation. La solution extrême à cette problématique consisterait à évacuer la majorité des remblais, notamment les argiles vasardes.  (…) Concernant le projet de réhabilitation et d’extension de l’aire d’accueil des gens du voyage, la solution la plus abordable économiquement consisterait à minima, à confiner les sols du site sous 30 cm minimum de terres saines et/ou tout revêtement imperméable (béton, enrobé…). Il s’agit d’empêcher tout contact direct et/ou envol de poussières. Les conduites d’adduction d’eau potable enterrées seront également à protéger au sein d’une gangue de matériaux sains. Bien entendu, toute plantation de végétaux comestibles sera à proscrire. Le vecteur de contaminations par inhalation de composés gazeux nocifs est ici très restreint, eu-égard au fait qu’on se trouve en milieu ± ouvert, sans véritable possibilité de concentration excessive en milieu confiné, excepté pour le logement du gardien et les locaux techniques attenants. On peut effectivement considérer que le mode d’hébergement des gens du voyage en caravanes et/ou véhicules, est naturellement équipé de sortes de vides sanitaires ventilés. Concernant les risques sanitaires au sein des locaux sanitaires, ils sont également à priori restreints, du fait que ceux-ci sont généralement peu hermétiques et que leur fréquentation journalière se limite à quelques instants ». On l’a compris, les mots clefs sont : pollution et solution à pas cher. L’Agence Régionale de Santé, elle, a procédé à un test de l’au potable le 13 avril dernier, test qui s’est révélé conforme aux normes…mais bon, cela prouve l’efficacité des stations de traitement après le captage, mais ne dit pas grand chose de l’état du ruisseau en contrebas de l’aire d’accueil.

Aire de Saint-Pierre – ruisseau qui se jette dans le Cher, non loin d’un point de captation d’eau

Après la prise de connaissance de ce rapport fin 2022, concomitant au limogeage de la Préfète Lajus, il est soudain devenu urgent d’attendre… Mais au printemps, le pouvoir politique métropolitain commence à prendre la mesure du risque. En réunion, Sébastien Marais, le vice-président en charge de la question reconnaît que l’aire est « insalubre et indigne ». Les services techniques métropolitains commencent même à paniquer et cherchent à mettre la main sur le rapport d’expert de 2000 qui avait été perdu, rapport qui préconisait de ne pas utiliser ce site… Un cadre métropolitain formule clairement lors d’une autre réunion qu’il a peur qu’un article paraisse dans la presse, d’autant plus que certains Voyageurs stationnés sur l’aire commencent à poser des questions, selon lui.

En coulisses, on assiste donc à une jolie partie de refilage de patate chaude, chaque acteur minimisant ses responsabilités. Fin mars, il a été décidé de suivre les recommandations a minima du rapport de 2022. Toutefois, ce a minima représentant tout de même 700 000 euros, la Métropole sollicite donc des subventions d’État afin de couvrir une moitié de la somme.

Un bon connaisseur de la situation locale commente : « en fait, à la mairie de Tours, il n’y a pas de service dédié à la question des Voyageurs, il n’y a pas d’élu de référence, pas de directeur général adjoint qui suit officiellement les dossiers, tout a été transféré à la Métropole, et même si Sébastien Marais n’est pas le mauvais bougre et semble vouloir faire avancer les choses, il n’y a pas de dynamique (…) Quand Christophe Bouchet – l’ancien maire de Tours – est arrivé en 2017, il a fait fermer certains accès aux Voyageurs, par exemple à la Peupleraie, ce qui a mécaniquement fait augmenter les occupations illégales et les tensions avec les populations riveraines, avec un anti-tsiganisme latent, aussi bien parmi les citoyens que parmi certains agents municipaux qui ont l’impression que les Voyageurs jouissent d’une certaine impunité alors que bon, ils sont en situation d’errance de fait (…) A Tours, il y a environ 135 familles de Voyageurs dans une situation difficile et comme la communauté n’est pas hyper structurée en associations, elle est peu en mesure de se constituer en interlocutrice privilégiée pour faire avancer les dossiers (…) mais bon, ça avance quand même, il y a un projet de Terrains Locatifs Familiaux à Tours Nord, ce sera un progrès indéniable…mais ça prend du temps et il faut désamorcer les oppositions (…) sur le plan métropolitain, ça avance aussi, depuis trois mois des aides au logements des Voyageurs commencent à être versées ».

Aire de Saint-Pierre – passage de la D140

Et les Voyageurs dans tout ça ?

Sur place, à Saint-Pierre, lorsque l’on discute de tout ça avec les Voyageurs, on comprend que le malaise est plus large. « Nous, on vient ici de temps en temps. On a un petit terrain de loisirs [non constructible] du côté de Montlouis, mais la municipalité ne nous autorise pas à nous connecter à l’eau et à l’électricité, de peur de nous voir nous y installer durablement et qu’il y ait d’autres manouches qui se pointent. Du coup, surtout en hiver ou quand on a besoin de nettoyer les caravanes ou de faire des réparation, bah on vient ici. C’est vraiment pourri mais bon, c’est pas loin. Les blocs sanitaires sont dégueulasses, on n’y prend pas de douche parce que c’est connecté en direct au tout à l’égout sans siphon, ça pue la mort. Pareil, les toilettes à la turque, c’est vraiment pas pratique, pour les petits ou les anciens, c’est même carrément dangereux. C’est mal éclairé, y’a pas mal de vipères et de couleuvres qui remontent du ruisseau, encore tout à l’heure le gamin il en a tué une. Lui il a pas peur mais moi ça me rend dingue. C’est au bord de la route, il y a du bruit tout le temps. Y’a aussi pas mal de routiers qui n’aiment pas les manouches et qui klaxonnent en passant, même la nuit, ça réveille les gosses, c’est comme ça, c’est le racisme ça (…) Ce genre d’aire, c’est vraiment trop grand, il y a trop de monde, ça pose des problèmes de voisinage, y’a des mecs pas respectueux des familles qui viennent, qui picolent, qui font de la mécanique et du bruit et puis ils font n’importe quoi, ils tapent des accélérations ou des dérapages vu qu’il y a de longues allées, un jour il va y avoir un accident avec les gosses, c’est pour ça, nous on vient pas souvent, c’est vraiment quand y’a pas d’autre choix ». Un voisin poursuit « tiens regarde, il y a à peine un mètre entre nos caravanes, aucun muret ou haie de séparation, on est les uns sur les autres (…) Ici y’a pas de bus qui passe, si je suis pas là, comment elle fait ma femme pour sortir de l’aire, faire des courses ou amener les gosses à l’école ? Et en plus, il faut payer l’eau et l’électricité, pour le chauffage l’hiver, pas le choix, on a des poêles à bois dans les caravanes, mais t’imagines c’est dangereux si ça prend feu ou les intoxications. Nous on est 7, on touche 1 600 balles d’aides par mois, et on paye une blinde en assurances pour les voitures et les caravanes, genre moi c’est 300 balles chaque mois, comment tu veux qu’on s’en sorte ? C’est sûr on a tous des tafs ici, élagage, ferraille, services ou des trucs comme ça, faut bien s’en sortir, mais bon c’est compliqué. Une fois y’a une personne de la mairie ou j’sais pas quoi qui m’a demandé si je voulais un boulot, je lui dis oui, elle m’envoie pour un entretien dans une décharge et là le mec quand je lui dis que je suis manouche il me dégage en disant qu’il veut pas m’embaucher parce que je vais voler de trucs. Les thunes c’est vraiment chaud, quand t’as une merde sur une caravane ou si jamais t’as l’idée d’en acheter une si ta femme est enceinte ou que tu veux acheter un bout de terrain, là, pas le choix, il te reste que Cofidis ou des trucs comme ça, avec des taux d’intérêt à 15%, ça nous fout dedans, nous on a pas le droit à des vraies banques et à des crédits comme tout le monde, et les prix ils augmentent en ce moment. Le pire c’est que j’ai déjà entendu des sédentaires dire que c’est l’État qui paye nos caravanes et que les aires c’est gratos, n’importe quoi ».

Aire de Saint-Pierre – Bloc Sanitaire 5*
Aire de Saint-Pierre – Toilettes

La pollution du site ? « bah ouais, on sait bien, de toutes façons ils nous ont foutu sur un gadou [décharge]. D’habitude ils nous foutent à côté, cette fois c’est dessus [rires]. C’est clair que ça pue, pis avec les gamins qui jouent partout c’est dangereux. En même temps, y’a presque personne l’été, avec tout ce goudron il pète de chaud, qui va rester là ? Et j’te parle pas du dépotoir que c’est à l’entrée de l’aire, t’as vu non ? Je sais que les gens ils disent que les manouches ils sont sales ou quoi, mais nous ici on travaille que le bois, tu crois que ça sort d’où tous ces sièges, pneus, batteries et plastiques d’auto ? Y’a des garagistes qui viennent foutre ça là, comme ça on accuse les manouches et on s’pose pas de question [en effet un garagiste s’est fait attraper par les gendarmes à Joué les Tours il y a peu] »

Un bon connaisseur de la communauté des Voyageurs précise : « dans la métropole, trop d’équipements sont vétustes et datent d’il y a 20 ans. Les visites de conformité et les contrôles sanitaires sont rarissimes, et les organismes gestionnaires des aires fournissent des qualités de service très disparates, par exemple le gestionnaire Vago, le leader français est réputé vouloir faire juste de l’argent, avec parfois l’embauche de gros bras pour « gérer » les soucis sur les aires… Sur Internet, les infos sur les aires ne sont pas actualisées, ça ne facilite pas la vie des Voyageurs. C’est de pire en pire, et avec la crise économique et l’inflation… Nombre de Voyageurs ne touchent pas les minimas sociaux et ont des difficultés pour faire valoir leurs droits. Les services du Conseil Départemental, compétant en la matière sont notoirement sous-dimensionnés. En fait, plutôt que de dépenser des sommes importantes pour isoler les pollutions sur ce site et repartir pour un tour, il faut assouplir l’offre d’accueil : des petites aires, pas plus de 12 places, isoler les places avec des haies pour éviter la promiscuité factrice de tensions, végétaliser les aires pour contrer la chaleur, développer les Terrains Locatifs Familiaux qui permettent aux familles d’avoir un petit lopin plus confortable et autonome, c’est d’ailleurs désormais le projet qui prévaut à Ballan-Miré, espérons que celui-ci ne va pas végéter des années… Et puis il ya un gros travail sur l’architecture de ces lieux. Ici à Saint-Pierre, avec les plots en béton, le bâtiment aveugle et la barrière, les Voyageurs y voient un avatar des camps d’internement crées par le régime de Vichy et perpétués des années durant par la Quatrième République, cette mémoire de l’enfermement et de la persécution est très vive dans la communauté ».

Aire de Saint-Pierre – dépôts sauvages à l’entrée de l’aire

***

La Touraine est donc de nouveau face à un carrefour : soit continuer une politique indigne et visant les économies et l’isolement des populations de Voyageurs, du reste issues du coin depuis des générations, soit comprendre le sens de l’Histoire débuté par la loi Besson il y a 20 ans et s’appuyer sur les efforts réalisés par le président Macron sur un plan symbolique avec l’annonce en janvier dernier de la création d’un musée à la mémoire des gens du voyage sur le site de l’ancien camp de concentration de Montreuil-Bellay où entre 1941 et 1945, plusieurs milliers de tsiganes ont été enfermés, mettant un terme à 70 années d’invisibilisation.

Quel sera le choix pour l’aire de Saint Pierre des Corps ? Remettre une couche de cache misère et faire vivre des familles sur une décharge polluée ou alors enfin se donner les moyens de garantir des politiques de dignité envers les citoyens, tous les citoyens ?

Aire de Saint-Pierre – dépôts sauvages à l’entrée de l’aire

Crédits photos : Joséphine Ka

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