Conflit des mémoires de l’avortement à Tours : faut-il débaptiser la salle Soutoul au CHRU de Tours ?

Mail d’une militante des droits des femmes dans les années 1970 à Tours//reçu sur ma boîte mail en mars 2023

« J’ai découvert il y a peu qu’à l’hôpital Bretonneau de Tours, le bâtiment qui regroupe les services de gynécologie-obstétrique, la maternité et le centre d’orthogenie avait été baptisé Olympe de Gouges.

Olympe de Gouges rédigea en prenant pour modèle la Déclaration des droits de l’homme, une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, en 1791. Elle publia cette déclaration dans une brochure qu’elle adressa à la reine Marie-Antoinette. Cette déclaration est le premier document a évoquer l’égalité juridique et légale des femmes par rapport aux hommes. Cette déclaration resta à l’état de projet, elle ne rencontra pas de soutien favorable des députés. Olympe de Gouges fut ensuite guillotinée en 1793 pour ses prises de positions contre Robespierre qu’elle soupçonnait de dérive autoritaire.

Quelle n’a pas été ma stupéfaction, voir ma colère de découvrir qu’une salle de conférence dans ce bâtiment portait le nom de Jean-Henri Soutoul. Soutoul, gynécologue-accoucheur et chef du service gynécologie et obstétrique à l’hôpital Bretonneau au moment du passage de la loi Veil en 1975 était notoirement et publiquement contre le libre droit à l’avortement.

Son engagement a fait subir aux femmes qui avortaient en 1975 des souffrances terribles, j’en sais quelque chose. Malgré la loi, on était « triées », il fallait obtenir le droit à l’IVG en passant devant une personne qui se faisait juge d’accepter ou pas votre choix. Soutoul interdisait que les médecins qui avortaient aient recours à des anesthésistes pour que ceux-ci soulagent localement les femmes. Il refusait que les accouchements aient lieux dans les locaux de l’hôpital, il fit aménager des préfabriqués dans la cour, espaces rudimentaires où les patientes se mêlaient aux maris, conjoints ou amis de celles-ci, dans une grande promiscuité, sans pudeur ni respect. Soutoul avait nommé dans ce « service » des personnels soignants qui militaient aussi contre l’avortement. Soutoul et ses soignants humiliaient les femmes.

Pour ma part, je n’avais que 20 ans en 1975, je prenais la pilule Diane, médicament contre l’acné sorti d’un laboratoire américain qui avait donné des résultats contraceptifs à certaines femmes. Je n’étais pas prête à être mère dans ces années 1970 où les femmes manifestaient pour leurs libertés. Il fallut que je fasse le chantage que si je devais accoucher de cet enfant, il irait remplir les locaux de la DDASS.

Les soignants qui procédaient aux avortements étaient rabaissés systématiquement au rang «d’avorteurs» par Soutoul dans de nombreux articles, interviews et bouquins. Ces soignants ont été insultés, traînés dans la boue. Ceux-ci déposèrent d’ailleurs plainte contre lui pour diffamation fin 1979.

Je pense donc qu’il faut que la salle portant le nom de JH Soutoul soit débaptisée. Pour la liberté des femmes et le respect de leurs droits. Pour la défense de ses soignants et leurs ami-e-s qui ont pris des risques énormes, avant l’arrivée de la loi Veil, en se battant et en créant le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception (MLAC) en 1973 dans le but de légaliser l’IVG. Pour celles et ceux qui ont pris en charge et avorté clandestinement des femmes ».

***

***

La Nouvelle République//19 mai 1973

« Cinquante-deux avortements clandestins ont été effectués à Tours en 3 mois » annoncent les organisateurs du meeting de l’hôtel de ville

Deux tendances apparaissent au sein de la section Choisir de Tours, reflétant une certaine divergence : l’une proche de Gisèle Halimi et se battant avant tout sur le plan judiciaire, l’autre, plus radicale, qui entend, comme à Grenoble, autant que faire se peut, assumer les conséquences de ses prises de position, en réalisant des avortements dans la mesure de ses possibilités.

L’organisation du meeting qui s’est déroulé hier soir à l’hôtel de ville revient à cette seconde tendance du groupe Choisir à laquelle se rallie semble-t-il, la majorité des adhérents tourangeaux de l’association.

Hier, dans un quartier de Tours, un avortement a été réalisé dans le cadre de la journée nationale d’action lancée par le M.L.A.C. (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception). Quelques personnes (dont un médecin venu pour information) ont assisté à l’opération afin de pouvoir témoigner que celle-ci a bien eu lieu.

Par ailleurs, 52 avortements clandestins ont été effectués en trois mois à Tours par le groupe Choisir selon la méthode Kermans (aspiration). [erreur de la NR, la méthode est celle de KARMAN]

Si des faits d’actualité obligent Choisir à se mobiliser sur les problèmes de l’avortement, les organisateurs ont plusieurs fois rappelé au cours de la réunion que l’avortement n’était pour eux que le dernier recours possible et que la contraception devait être bien sûr un objectif prioritaire.

Ceci pour répondre aux opposant qui leur reprochent, souvent à tort de vouloir transformer l’avortement en méthode contraceptive…

Loi n° 75-17 relative à l’interruption volontaire de la grossesse//17 janvier 1975

La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi.

L’enseignement de ce principe et de ses conséquences, l’information sur les problèmes de la vie et de la démographie nationale et internationale, l’éducation à la responsabilité, l’accueil de l’enfant dans la société et la politique familiale sont des obligations nationales. L’État, avec le concours des collectivités territoriales, exécute ces obligations et soutient les initiatives qui y contribuent.

Est suspendue pendant une période de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, l’application des dispositions des quatre premiers alinéas de l’article 317 du code pénal lorsque l’interruption volontaire de la grossesse est pratiquée avant la fin de la dixième semaine par un médecin dans un établissement d’hospitalisation public ou un établissement d’hospitalisation privé satisfaisant aux dispositions de l’article L. 176 du code de la santé publique.

En aucun cas l’interruption volontaire de la grossesse ne doit constituer un moyen de régulation des naissances. A cet effet, le Gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires pour développer l’information la plus large possible sur la régulation des naissances, notamment par la création généralisée, dans les centres de protection maternelle et infantile, de centres de planification ou d’éducation familiale et par l’utilisation de tous les moyens d’information.

La formation initiale et la formation permanente des médecins, des sages-femmes, ainsi que des infirmiers et infirmières, comprennent un enseignement sur la contraception.

Chaque centre de planification ou d’éducation familiale constitué dans les centres de protection maternelle et infantile sera doté des moyens nécessaires pour informer, conseiller et aider la femme qui demande une interruption volontaire de grossesse.

La Rotative//15 janvier 2015, pour les 40 ans de la loi Veil

Légalisation de l’IVG : quand les médecins de Tours organisaient le triage des femmes

En 1975 à Tours comme en beaucoup d’autres villes, l’application de la loi Veil ne s’est pas faite sans heurts. Manque de locaux, de personnel, de matériel, le service de gynécologie-obstétrique ne fut pas en mesure de répondre immédiatement à une demande qui, du jour au lendemain, était devenue légale. C’est la période que choisit M. Soutoul pour mettre en place ces fameuses « commissions d’étude et de triage ».

En quoi consistent-elles ? Réunissant les spécialistes hospitaliers du service (professeurs agrégés et chefs de clinique), un médecin anesthésiste plein temps, un représentant du personnel soignant, une sage femme et une assistante sociale, ces commissions se fixent pour but d’étudier chaque dossier de demande d’interruption de grossesse et, par vote, d’accepter ou de refuser le droit à l’avortement. La femme est bien entendu absente de la discussion, et son dossier présenté par le médecin qui l’a vue en consultation. En plus du compte-rendu de l’examen gynécologique, ce dossier comprend des renseignements médicaux, sociaux, ainsi que — si elles existent — toutes les constatations faites par les autres spécialistes. Après discussion on groupe chaque « cas » selon la classification OMS (indications médicales, eugéniques, médico-légales, médico-sociales, sociales ou « convenance personnelle pure ») et l’on juge.

De telles commissions ont fonctionné à Tours de janvier à août 75, examinant environ 300 demandes et en refusant 220. Dans une étude publiée en juin de la même année, M. Soutoul et ses collaborateurs tiraient les conclusions chiffrées de ces trois premiers mois. Sur 150 demandes, on en refusa 110 classées « convenance personnelle pure », dont 22 « sans aucun motif médical » : 22 femmes qui n’invoquaient d’autre motif que celui de pouvoir bénéficier de la loi.

Au total donc, 220 femmes sur 300 se virent refuser l’avortement qu’elles désiraient, alors qu’elles avaient effectué les démarches prévues par la loi. Détail intéressant : quatre d’entre elles furent dans ce cas parce que la famille ou le mari souhaitaient garder l’enfant. L’enquête [de M. Soutoul] ne dit pas combien parmi elles ont trouvé une solution dans le florissant circuit parallèle tourangeau, pas plus qu’elle ne précise combien d’enfants non désirés par leur mère sont nés de ces 220 grossesses.

La Nouvelle République//avril 1975

L’A.T.L.A.C. MET UN TERME A SON ACTION

L’A.T.L.A.C. (Association tourangelle pour la liberté de l’avortement et de la contraception) communique :

Les permanences qui étaient organisées les samedis après- midi, 44, rue Losserand, n’auront plus lieu. Le problème depuis que la loi Veil a été votée, n’est plus d’organiser des départs à l’étranger, ni de pratiquer clandestinement l’avortement, ce qui reviendrait à servir le pouvoir et les médecins en les déchargeant de leurs responsabilités. Par contre, il reste à imposer l’application immédiate de la loi.

Celle-ci n’est pas satisfaisante, non gratuité, maintien d’un pouvoir médical sur un problème qui ne concerne que les femmes, avec pressions diverses pour faire accepter la poursuite de la grossesse.

Imposer que la loi soit appliquée va demander une lutte quotidienne au niveau de l’hôpital (un local doit y être ouvert pour la pratique des avortements), pour que les avortements y soient appliqués dès maintenant sans restrictions ou brimades morales (refus d’un avortoir, relégué dans un coin obscur de l’hôpital) et, dans des conditions normales (accueil, explication de la technique, possibilité de discuter; information sur la contraception…).

La Nouvelle République//17 août 1975

Le service d’interruption de grossesse de l’hôpital de Tours est ouvert

La loi sur l’interruption volontaire de grossesse peut désormais être intégralement appliquée en Indre-et-Loire puisque, depuis quelques jours, un service spécialisé est ouvert à l’hôpital de Tours.

La décision de créer un tel service en dehors de celui de gynécologie obstétrique monte au mois d’avril. Un délai de quatre mois a été nécessaire pour mener à bien les travaux d’aménagement et d’équipement des locaux. Le nouveau service est installé dans un petit bâtiment préfabriqué indépendant, entièrement remis à neuf. Il dispose de tous les équipements (en particulier de réanimation) permettant d’effectuer en toute sécurité d’une façon ambulatoire (sans hospitalisation) des interruptions de grossesses chez des femmes ayant eu leurs dernières règles depuis moins de dix semaines.

Il fonctionne sous la responsabilité de deux médecins hospitaliers (n’appartenant pas au service de gynécologie obstétrique) avec la collaboration d’assistants hospitalo-universitaires et de médecins extérieurs à l’hôpital.

La Rotative// 15 janvier 2015, pour les 40 ans de la loi Veil

Légalisation de l’IVG : quand les médecins de Tours organisaient le triage des femmes

Après l’ouverture du centre d’IVG, en août 75, M. Soutoul abandonnera ses préoccupations en matière d’avortement. Il n’aurait en effet accepté de conserver son « patronage » qu’à la condition qu’on maintienne les commissions. L’administration hospitalière lançait alors un appel aux chefs de service du CHU de Bretonneau pour savoir s’il s’en trouvait un pour faire fonctionner le centre dans le respect rigoureux de la loi. C’est ainsi que le centre d’IVG est passé sous la responsabilité de M. Weil, biochimiste, le seul parmi tous les médecins et chirurgiens de l’hôpital à avoir accepté de prêter son nom.

Les médecins vacataires durent alors aménager l’accueil, les consultations, le secrétariat dans les locaux initialement prévus pour les seules interventions : c’est la raison pour laquelle ils possèdent aujourd’hui un des centres les plus exigus de France. Mais au-delà de l’étroitesse des locaux, l’attitude de M. Soutoul eut une autre conséquence plus grave : l’absence totale de collaboration des gynécologues du CHU. Désireux de ne pas compromettre leur carrière hospitalière, respectueux de la hiérarchie du service, aucun des spécialistes de gynécologie-obstétrique n’a en 5 ans pratiqué un seul avortement au centre d’IVG.

Le salaire dérisoire versé aux vacataires (120 F pour 3h30 de travail) n’attirant aucun des spécialistes de la ville, le Centre n’a pratiquement fonctionné que grâce à la collaboration de généralistes volontaires. C’est ainsi qu’on n’y a vu aucun des étudiants voisins du Certificat d’Études Spécialisées de gynécologie-obstétrique, assurés qu’ils étaient d’échouer à leur examen s’ils osaient déplaire à M. Soutoul en travaillant à « l’avortoir ».

***

Avortement an II conséquences d’une loi – éditions de la table ronde//1977

Par JH Soutoul, extraits choisis dans cet ouvrage qui entend analyser la loi Veil et son application

« C’est là qu’apparaît l’irréalisme, le conservatisme et peut-être l’égoïsme inconscient de ces gynécologues-obstétriciens dont les motivations sont pourtant respectables et basées sur un christianisme militant. Nier la nécessité d’une indication d’avortement après un viol, un inceste authentique, ou devant la certitude d’une trisomie chromosomique démontrée génétiquement est difficilement acceptable. De même ne pas reconnaître des indications médicales soigneusement étayées par les explorations d’un groupe de spécialistes, écarter la possibilité d’une interruption devant des impératifs sociaux aigus démontrés par une enquête sérieuse, constituent des attitudes niant les réalités de la Vie, dans lesquelles se placent volontairement des médecins soucieux pourtant d’en défendre toutes les manifestations bien avant la naissance. »

« Nous retiendrons par contre comme réelles, les craintes exprimées récemment par la voix de E. Tremblay devant le plan Rockefeller visant à imposer par tous les moyens à l’Amérique du Nord (U.S.A. et Canada) et à l’Europe Occidentale, une réduction de sa natalité et de sa fécondité pour des raisons philosophiques confuses, basées sur la prévention de la redoutable « explosion démographique » mondiale. Ainsi des millions de dollars sont affectés à une immense action d’allure évangélique à la recherche d’une planification à tout prix des populations de la terre. Il est regrettable que les effets et les motivations de cette puissante campagne d’origine américaine ne soient pas davantage analysés devant le grand public afin que soient atténuées ses conséquences (…) et n’est appliqué avec rigueur que dans l’ensemble de l’Europe occidentale et en particulier en France qui en a le moins besoin, vu ses ressources et sa faible densité humaine ! Dans notre pays d’ailleurs, il est burlesque de constater que des marxistes ont un rôle actif dans les sections Rockefeller locales, c’est-à-dire les centres de Planning Familial, qui sont donc les émanations d’une des plus grandes forces capitalistes du monde. Cette collaboration de l’électorat de gauche avec le symbole même du super-capitalisme américain a sans doute une signification et surtout un but prévisible visant à l’affaiblissement de la civilisation dite « bourgeoise ».

 « Le deuxième argument avancé me semble beaucoup moins admissible pour des médecins de formation française. Il s’agit de l’application disciplinée d’une loi qui a pourtant le souci d’instituer une «clause de conscience » en cas de refus de participation du médecin. Agent d’un service public, le gynécologue peut-il refuser en tant que fonctionnaire de l’Etat d’appliquer une loi votée par les représentants du peuple ? La réponse est négative pour certains spécialistes sans doute soucieux de conserver ou d’améliorer leur situation. Il serait cruel et sans doute injuste d’évoquer à ce propos des situations identiques d’obéissance aveugle chez les médecins chargés de l’aptitude au S.T.O. ou chez les médecins affectés à des expérimentations dans des camps nazis, très respectueux eux aussi des exigences de la loi… de l’époque et du régime. »

« Si cette spécialité est ainsi vécue, comment imaginer que ce même praticien puisse sans un dégoût certain changer de blouse pour se rendre dans « l’avortoir » voisin blesser une femme saine, lui qui a appris à respecter l’âme et le corps, arrêter les battements du cœur d’un fœtus visualisés ou enregistrés sur des appareils utilisés la nuit précédente pour assurer le sauvetage d’un autre fœtus qui a eu la chance, lui, de dépasser le terme légal de dix semaines (plus un jour) ? »

« Le plus souvent le gynécologue-accoucheur est un être assez simple, plein de bon sens et réaliste, ouvert aux problèmes humains qu’il approche à longueur de jours… et de nuits, le plus souvent père de famille assez nombreuse indépendant d’esprit dans la profession médicale. Proche pourtant des spécialités à hauts risques (pédiatrie, réanimation…), souvent chrétien pratiquant s’il est accoucheur, israélite s’il a une tendance endocrinienne, parfois agnostique s’il est jeune, peu mondain et éloigné de la vie publique par sa disponibilité permanente en cas d’urgence, politiquement libéral en raison de l’approche journalière de tous les milieux sociaux. Il serait donc malhonnête de juger ce médecin comme rétrograde borné, conservateur forcené, phallocrate et fasciste, alors que ses réticences devant l’avortement bien que viscérales, n’excluent pas une parfaite connaissance des conséquences de l’acte criminel dont il souhaite extirper les racines par une libéralisation réfléchie et non anarchique de l’interruption de grossesse. »

« On vit alors se présenter les candidatures de confrères issus de nombreux horizons [pour devenir avorteur]: psychiatres, néphrologues, biologistes, etc., qui sous couvert de générosité ou de militantisme d’ailleurs parfois intriqués, venaient satisfaire un certain « voyeurisme » inassouvi dans leur spécialité d’origine. A eux, se joignirent des praticiens désireux d’une libération éclatante de tabous chrétiens insupportables, des médecins d’origine musulmane excédés par la rigueur coranique en matière de respect de la vie et enfin tous ceux qui recherchaient un défoulement phallique misogyne ou sadique, dont l’acte de pénétration du vagin et de la matrice constitue un symbole idéal, de même que la destruction d’un œuf, fruit d’un amour hétérosexuel normal ».

« Dans l’ensemble, ce personnel, qu’il soit médical ou paramédical, maîtrise mal ses relations avec les patientes dont l’attitude après l’intervention apparaît décevante, car leur fuite habituelle loin de l’avortoir avec un souci d’oublier l’acte, est vécue comme une marque d’ingratitude ou de mésestime. On espérait une fraternisation et on réalise les femmes ne venaient chercher qu’un « petit service » ! On comprend dès lors « les réactions des intervenants-médecins ou non médecins qui présentent après les premières interventions des fantasmes très agressifs (tentatives de viol ou d’effraction corporelle), d’autre part des fantasmes œdipiens mêlés à des pulsions prégénitales à prédominance sadique. Pour les femmes intervenantes, l’assimilation du matériel chirurgical à un pénis imaginaire est aussi évidente. L’angoisse, liée à l’effraction du corps, est noyée, compensée dans une complicité et une fréquentation homosexuelle inconsciente avec éviction de l’homme » (Labrousse). Il est facile de comprendre la sélection initiale de ce type d’avorteur mal aimé, déçu conjugalement, complexé physiquement ou intellectuellement, petit impuissant (ou frigide) à la sexualité ambiguë, recherchant une compensation affective »

« il est urgent d’envisager une proposition de loi visant à instituer un salaire maternel couvrant la troisième grossesse et éventuellement les premières années de ce troisième enfant, personnage décisif pour l’équilibre du couple et le renouvellement de la population. Une bataille est déjà engagée au plus haut niveau dans ce sens, mais nous pensons en Médecins que les efforts de dissuasion et de soutien de la grossesse doivent être prioritaires sur cette catégorie particulière de consultantes. »

« Point n’est besoin de dramatiser cet enseignement [l’éducation sexuelle] et de le confier à des militants. » Des cours élaborés selon les techniques audio-visuelles correspondant au niveau d’étude des classes feraient parfaitement l’affaire et rendraient sans objet l’angoisse des «Éducateurs » qui se font un devoir – et certains un plaisir – de s’occuper de la sexualité de leurs élèves pour oublier certains de leurs fantasmes et de leurs obsessions, qui risquent accidentellement et dangereusement d’apparaître au cours de leurs propos ! ».

Revue de médecine de Tours// mai 1979

LE MEDECIN DE LA FEMME DEVANT LA REPRODUCTION PROGRAMMEE

Essai de plaidoyer pour Gynécologues-Accoucheurs « mal aimés », par JH Soutoul

Les violentes attaques dont viennent d’être l’objet globalement les 96 enseignants Gynécologues-Accoucheurs de CHU de la part d’une association de Médecins généralistes parisiens dont « l’utopisme » est plus proche de la débilité que d’un comportement clairvoyant imposé par des mœurs nouvelles, symbolisent bien l’inconfort dans lequel se trouvent les médecins de la Femme et du Couple Mère-Enfant, devant l’opinion, faute d’honnêtes défenseurs.

En effet, les ambiguïtés de la Femme devant la fécondité, les exigences d’un féminisme échevelé manifestement racoleur pour la plupart des partis politiques, la contestation de plus en plus agressive du « pouvoir médical » symbole d’un vestige social bourgeois privilégié dans une lutte des classes sous-jacente bien qu’inavouée, autant de résonnances ressenties par le Gynécologue praticien en priorité dans son activité journalière.

La plus belle démonstration de la tyrannie des mœurs actuelles qu’il subit, est donnée par la signification accordée actuellement à l’Enfant à naître : ce dernier doit pour satisfaire ses géniteurs être non seulement désiré mais surtout programmé. En dehors de cette programmation rigoureuse par le Couple ou par la future Mère, cet Enfant ne peut être pour ses parents nouveau style que perturbé, malheureux et plus tard insatisfait dans un monde hostile…!

La responsabilité de tout échec dans ce programme est rejetée alors sur le Médecin ou le Gynécologue traitant, accusé d’être rétrograde, nataliste ou incompétent en matière de contraception.

L’Enfant accepté n’existe plus, il rejoint l’Enfant refusé sous l’aspiration de la militante canule ou dans la curette « légale » enfin accordée presque malgré elles à des femmes qui exigent leur droit Veil à l’avortement comme leur transport en téléski grâce à un forfait qu’elles souhaitent, avec leurs défenseurs, gratuit. (…)

En somme le Gynécologue est en cause et agressé :

– si la jeune fille contracte une maladie sexuellement transmissible moins programmée que la libération de son corps et que les positions amoureuses, qui n’exonèrent pas du tréponème ou du gonocoque, dont l’origine est difficile d’ailleurs parfois à déterminer chez des partenaires aussi divers que désinvoltes,

– la prise de la pilule est interrompue par caprice ou par inconscience,

– si une grossesse survient en dehors d’un programme bien défini non seulement en rapport avec des profonde aspirations du Couple mais avec la convenance, la saison, l’inscription au Club Méditerranée, le règlement des traites de la chaîne stéréo, etc…

– si le motif d’une interruption de grossesse exigible dans toutes les pseudo-détresses lui paraît regrettable pour l’avenir de la fertilité de la candidate à l’avortement souvent incompétente en matière de risques ultérieurs,

Ce qui précède intéresse surtout le Gynécologue et l’on pourrait espérer que l’obstétricien classique est à l’abri de cette revendication généralisée colportée avant tout par une presse féminine qui pour assurer le maintien de ses ventes dans une féroce compétition commerciale, se livre à une surenchère démagogique basée sur des informations médicales spectaculaires, erronées ou mal contrôlées.

« Docteur, je l’ai lu dans MENIE CLAIRE ou W. MAGAZINE »!

La présence du mari conjoint ou du géniteur occasionnel est prévue maintenant dans les maternités modernes (même au niveau de l’architecture); elle est très justement tolérée dans un but psychoprophylactique très louable par la plupart des accoucheurs actuels en dehors des manœuvres obstétricales ou chirurgicales qui exigent des gestes précis, rapides et pour l’opérateur une sérénité incompatible avec des spectateurs non médecins. Pourtant, des gestantes réclament à grands cris un accouchement  » convivial » avec parents, enfants, amis (pourquoi pas le bétail !) prôné par le Docteur X… sur ANTENNE 2 ou une anesthésie péridurale « à la carte » programmée par la Revue FEMMES DE DEMAIN qui ne fait aucune allusion bien entendu aux indications et aux conditions d’application de cette technique qui est la panacée pour toute journaliste féminine parisienne.

N’oublions pas l’accouchement dans l’obscurité sur des divans souples et profonds comme des tombeaux, dans une ambiance de scie musicale ou de mélodies si possible hindoues conseillées par le Docteur Y…, de la revue GRANDS-PARENTS.

N’omettons pas non plus le malaxage maintenant nécessaire du nouveau-né dans un bain préparé en salle d’accouchements, par les soins du géniteur souvent en salopette, aux mains pleines de cambouis et aux bottes d’égoutier. La prévention de la redoutable infection néonatale sera oubliée (au risque d’une plainte en responsabilité !) mais au bénéfice pour ces nouveaux apôtres d’un remarquable équilibre de l’Enfant qui accédera dans ce monde pollué et maudit, psychologiquement purifié par la chaleur du contact immédiat et programmé de ses parents, le père devant bien entendu d’après ces évangélistes parisiens couper maladroitement le cordon lui-même. (…)

Il n’y a aucune exagération dans l’énumération de ces exigences d’une clientèle qui conditionnée par des mass media débiles ou volontairement orientée vers la suppression de toute influence ou suggestion médicale, peut devenir agressive. Trois exemples vécus dans notre Service tourangeau pourraient paraître caricaturaux s’ils n’avaient été vécus péniblement en quelques semaines par les accoucheurs de garde d’un service de grossesses à risques, où la vigilance attentive (démontrée par l’abaissement spectaculaire du taux de mortalité périnatale) domine heureusement une complaisance excessive devant des réactions aberrantes des lecteurs de revues féminines:

Observation n° 1 – Le conjoint d’une primipare âgée refuse l’emploi d’un forceps sur un gros enfant après une épreuve du travail bien conduite et une période de poussées d’expulsion déjà trop prolongée. Il refuse de quitter la salle d’accouchements pour contrôler tout incident.

Observation n° 2 – Un père décide avec sa conjointe et la complicité bien volontaire d’un jeune médecin généraliste, un accouchement à domicile qui ne se terminant pas, impose le transfert à la Maternité à dilatation complète. Refus des parents de donner un prénom masculin à un beau garçon non programmé qui se trouve étiqueté de deux prénoms évoquant l’un un personnage du Contrat Social, l’autre une héroïne racinienne bien encombrante et cela, afin d’expurger sans doute toute phallocratie à ce fils d’intellectuels très admiratifs de la bande à Baader.

Observation n° 3 – Le premier prix revient à ce père très méditerranéen d’origine qui, apprenant que son premier enfant extrait par césarienne après une grossesse à risques scrupuleusement surveillée, est une fille et non le garçon dont le sexe aurait été à tort visualisé par les agents physiques dans un autre Service, remercie d’un direct appuyé l’accoucheur de garde exténué mais naïvement satisfait d’avoir accompli sa mission et qui se retrouve avec un hématome périorbitaire très marqué et persistant. (…)

Après ces réflexions qui pourraient donner à penser de la part de l’auteur et de ceux qui partagent ses préoccupations à une profonde amertume, il est bon toutefois d’insister sur les immenses satisfactions rencontrées en Gynécologie-Obstétrique. (…)

La Nouvelle République//15 novembre 1979

Le professeur Soutoul veut prendre en main le C.I.V.G. de Tours

Selon le gynécologue tourangeau, le CIVG crée à son initiative, en août 1975, mais qu’il avait renoncé à diriger, s’il offre une sécurité remarquable en ce qui concerne la pratique des Interruptions de grossesse (de 1500 à 1600 par an) ne satisfait pas aux prescriptions de la loi de 1975. M. Soutoul accuse les médecins vacataires du centre de ne pas respecter la loi, dans ses
dispositions sur l’information et la dissuasion des femmes candidates à l’avortement : « on n’ose
plus dire à une femme vous avez la solution de garder votre grossesse ».
Mais surtout, le Pr Soutoul reproche au personnel du CIVG son engagement militant et son acceptation d’un « parrainage du Planning familial qui est nettement politisé », « On ne peut pas mélanger dans l’hôpital l’avortement, le sexe, Marx et Che Guevara », nous a-t-il déclaré.

Ces propos ont entraîné une vive inquiétude parmi les médecins et les soignants du centre de Tours, qui ont démenti les affirmations selon lesquelles ils ne respecteraient pas la loi, observée selon eux scrupuleusement. Quant au directeur du CIVG, le Pr Weil, s’il refuse de partager les options politiques de gauche de la majorité des membres de l’équipe, il s’affirme totalement solidaire de leur travail et de leur conception de I’IVG qui, dit-il, « est toujours un échec et ne doit pas devenir un moyen de contraception. Mais seules les femmes ont le droit de décider d’un avortement ».

***

La Nouvelle République//13 mars 1980

LA DIFFICULTÉ D’EXISTER D’UN C.I.V.G. // L’ASSIGNATION EN DIFFAMATION DU GYNÉCOLOGUE TOURANGEAU, DES DÉBATS ENGLUÉS DANS LA PROCÉDURE

Une salle pleine comme aux meilleurs jours des assises: c’était jeudi soir au tribunal de Tours pour le procès qui met en présence le professeur Soutoul, chef du service du de gynécologie obstétrique C.H.U. Bretonneau et huit médecins du Centre d’interruption volontaire de grossesse de cette même ville. Les seconds assignent le premier en diffamation, lui reprochant, à travers diverses publications, d’accuser le Centre d’être incitatif à l’avortement et politisé ». Une salle pleine, et pourtant, il était près de minuit. Les plaignants ayant choisi la citation directe, cette procédure oblige à faire l’instruction pendant l’audience.

La Nouvelle République//5 avril 1980

LE PROCÈS S’EST POURSUIVI PAR L’AUDITION DE QUATRE NOUVEAUX TÉMOINS

(…) La matinée d’hier a été consacrée, dans un climat des plus sereins, à l’audition d’une partie des témoins cités par Maître Lison-Croze. Témoignages destinés à contrebalancer deux précédents, qui quoique flous, mettaient l’accent sur la politisation du personnel du CIVG et corroboraient ainsi les déclarations du Pr Soutoul, à certaines publications.

Le Dr Chouraqui, l’un des généralistes du CIVG, qui s’est senti diffamé mais ne s’est pas associé à la plainte, « parce que le Pr Soutoul a été l’un de ses maîtres», a appliqué « la loi sans la connaître par erreur », mais informe toujours des risques médicaux encourus, sans insister « pour ne pas culpabiliser au maximum la femme ».

Conseillère conjugale au centre de planification de la PMI dépendant de la DDASS, Mme Huart, qui a reçu plus de 400 consultantes envoyées par le CIVG en trois ans, estime que les médecins n’étaient pas spécialement incitatifs à l’avortement. Dans le dossier-guide portant l’inscription des centres de planification pour l’entretien obligatoire prévu par la loi, elle a remarqué quelquefois des signes distinctifs en face de certains, mais rien qui puisse dire qu’on envoyait les femmes vers un en particulier.

Le Planning Familial était visé. L’une de ses représentantes Mme Leroux était justement citée.

«En y entrant, dit-elle, on ne nous demande pas nos opinions politiques et notre action ne vise pas un changement de société. Si les femmes viennent, c’est peut-être parce que celui-ci est situé en dehors du cadre hospitalier et aussi pour une commodité d’horaires ».

Restait à entendre une avortée. « J’ai pris ma décision moi-même. La conseillère conjugale du centre de planification de l’hôpital a pourtant essayé de me dissuader ».

Chargée de l’accueil et du secrétariat au CIVG, Mlle Girard décrit la profonde souffrance physique et morale des avortées» qui ne bénéficient pas de l’anesthésie. A une question du défenseur de l’assigné, elle confirme qu’elle a bien participé à la marche des femmes du 6 octobre 79 avec des médecins et une aide-soignante du CIVG. Faut-il y voir un militantisme « incitatif » comme les questions de l’avocat le suggéraient ? Annick Girard répond: « Le personnel du CIVG n’a pas à juger, mais à se tenir à la disposition des femmes pour répondre à une demande ».

La Nouvelle République//26 avril 1980

TOURS: L’ASSIGNATION EN DIFFAMATION DU Pr SOUTOUL

« Le tribunal repoussera toutes les pressions d’où qu’elles viennent : faisant état de pétitions parvenues jusqu’à lui, le président Touzé a versé aux dossiers deux lettres. Le Pr Minkowski consulté par la commission des lois de l’Assemblée nationale lors de l’établissement du projet sur l’avortement, regrette « que dans un certain nombre d’établissements le désir des femmes à disposer d’elles-mêmes ne soit pas pris en charge par ceux qui connaissent techniquement le problème et forcent ainsi catégorie de praticiens dévoués à se faire attaquer sur la place publique ». Pour le Dr Vignoulle, président national des C.I.V.G. les propos du Pr Soutoul s’inscrivent « dans une volonté de reprise en main du C.I.V.G. ».

En délibéré le 5 juin, à 14 h.

Tribunal de Tours//5 juin 1980, 14h

Décision du juge au sujet de l’affaire Soutoul

« Attendu ainsi qu’il est établi que les médecins du centre ont effectivement mis en quarantaine du personnel désigné par l’administration, ont voulu prendre seuls les décisions concernant ce personnel ainsi que les attitudes à adopter vis-à-vis des clientes, dans un état d’esprit de décision collective qui apparaît contraire à la responsabilité individuelle traditionnellement revendiquée par les médecins français qu’ils ont désiré et obtenu que leur service hospitalier ne soit composé que de personnes ayant adopté la même attitude éthique vis-à-vis de l’avortement, ce qui est contraire aux traditions hospitalières françaises, respectueuses des opinions d’une société pluraliste que la preuve de la vérité des propos incriminés a été rapportée sur ces points (…)

Attendu que le personnel médical et paramédical féminin a participé à une manifestation dite « Marche des Femmes » et que les témoins ont confirmé que la presque totalité du personnel du Centre militait pour l’extension de la loi sur l’avortement ;

Attendu que le militant est celui qui combat, qui lutte pour obtenir certains résultats que le militantisme des médecins du centre d’avortement est donc établi (…)

Attendu que le docteur SOUTOUL, dont le service est immédiatement voisin des locaux du centre d’avortements, est chef du service de gynécologie-obstétrique, qu’il est vice-président de la Commission médicale de l’hôpital, médecin conseiller régional de gynécologie pour la Région Centre, président du Comité National pour la régulation des naissances, membre du Conseil Supérieur de la Maternité et du Conseil Supérieur de la Puériculture; qu’il est encore expert national judiciaire; qu’il est justifié qu’il a été appelé en consultation à diverses reprises par les autorités gouvernementales saisies du problème de l’avortement;

Attendu que les déclarations incriminées ont été faites en novembre 1979, à une époque où se préparait le nouvel examen de la loi provisoire du 17 JANVIER 1975 et où un débat passionnel divisait l’opinion publique ;

Attendu qu’il était normal que le Docteur SOUTOUL, compte tenu de ses responsabilités locales et nationales, ne reste pas indifférent au fonctionnement du Centre d’Avortements et exprime publiquement ses inquiétudes ;

Attendu qu’il a déjà été établi que la plupart de ces inquiétudes étaient fondées; qu’en référence des éléments apportés dans l’instance subsidiaire, la mise à l’écart du Centre de Planification du service de gynécologie apparaît comme tout à fait vraisemblable, à raison de la différence d’optique dans l’application de la loi et des problèmes personnels séparant les médecins du centre d’avortements, liés au Planning Familial, et le Docteur RENAUD, Directeur du centre de planification, qui avait rompu avec cette association;

Attendu ainsi que le Docteur SOUTOUL justifie du but légitime poursuivi, qui tendait au respect de la loi et à la dénonciation de l’état d’esprit comme de la pratique du centre d’avortements, qu’il établit qu’il n’a pas menti et n’a pas cherché d’abord à dénigrer, qu’il a prouvé la vérité de la plupart de ses propos ou la haute vraisemblance des autres et n’a pas dénaturé les faits rapportés ; qu’il a démontré sa bonne foi et doit être relaxé des fins de la poursuite ».

***

Entretien mené à Tours

Témoignages de militants de l’ATLAC dans les années 70//26 juin 2023

« Notre idée, c’était de monter un Centre d’Orthogénie Populaire, d’y accumuler les savoirs et savoir-faire pour se passer des médecins. On théorisait la démédicalisation, on voulait abattre le monopole des blouses blanches. De toutes façons, aucun médecin ne s’est investi dans l’asso, même si certains acceptaient de suivre les femmes avortées et que d’autres n’hésitaient pas à nous envoyer leurs patientes qui demandaient des renseignements sur l’avortement. Ils avaient peur des représailles de leurs collègues et de toutes façons, ils n’étaient pas d’accord avec nous. Il faut comprendre que les médecins, ils n’avaient pas du tout l’habitude ni la culture pro de se soumettre à un acte dont ils n’ont pas posé l’indication. Ils étaient nombreux, dont Soutoul, à parler d’avortement de confort et de contraception pour décérébrées en pleine libération sexuelle. Lors d’une rencontre avec Soutoul en octobre 1974, il parlait « de minettes en chaleur irresponsables »… Mais à part ça, les médecins se considèrent toujours comme neutres, objectifs, scientifiques et apolitiques… Mais nous, on y voyait beaucoup de mépris pour les femmes, forcément midinettes, immatures, des gourdes influencées par les magazines qui recourent à l’avortement comme on fait un caprice.

Nous, les femmes que l’on aidait à avorter à Tours ou à rejoindre l’étranger, on les voyait autrement. Plus des trois quarts de celles qui frappaient à la porte de l’ATLAC étaient des urbaines, des ouvrières ou des employées qui étaient confrontées à des soucis d’argent ou de temps disponible. Des femmes qui avaient du mal à accéder à la contraception, qui avaient des problèmes de santé ou qui avaient un mari violent avec lequel elles ne voulaient plus d’enfants. Parler d’avortement de confort, c’est des foutaises. C’est un acte difficile et douloureux pour une femme, si elles avaient pu l’éviter et si elles n’avaient pas été aussi isolées socialement et laissées à leur sort en ce qui concerne la contraception, on n’aurait pas eu besoin de monter l’asso ».

Entretien mené à Tours

Témoignage d’un cadre sup’ ayant travaillé au Centre Olympe de Gouges//juin 2023

« Soutoul, c’est un grand nom de la gynécologie-obstétrique, un pionnier et un intellectuel. Il a passé 10 ans à être sali par des militants. Pourtant, la politique n’a rien à faire à l’hôpital. C’est vrai que le centre s’appelle Olympe de Gouges et qu’on a souhaité rendre le lieu accueillant pour les femmes, toutes les femmes, de toutes les cultures, c’est une sorte d’hommage et de lieu de protection envers la féminité. Il faut arrêter avec ces polémiques qui n’ont pas lieu d’être. La salle Soutoul est une salle de réunion et de formation pour le personnel du Centre, ce n’est pas une salle de soins. C’est en tant que grand spécialiste qu’il a obtenu cet honneur d’avoir une salle à son nom, ça n’a rien à voir avec ses prises de position. D’ailleurs, si vous lisez son bouquin de 1977, vous verrez que c’est du solide, du mesuré, du nuancé, du bon sens et pas des vociférations militantes. Il avait déjà compris la dérive consumériste de l’hôpital, la judiciarisation de la médecine et les limites de laisser des femmes user de l’avortement comme contraception ».

Entretien mené à Tours

Témoignage d’un médecin travaillant au CIVG des années 1990 à 2020 //19 août 2023

« En fait, les tensions au Centre Olympe de Gouges font partie du paysage depuis l’origine. L’obstétrique qui s’occupe des naissances et la gynécologie avec ses pontes de la chirurgie ne voient pas toujours d’un bon œil le service d’orthogénie qui est organisé autour du contrôle des naissances et qui brasse au-delà du médical des questions sociales, de rapport à la sexualité et aux violences conjugales. On y trouve aussi une plus grande diversité de professionnels, dont des psys, des conseillers conjugaux et des travailleurs sociaux, notamment en ce qui concerne la planification familiale. Les cultures entre ces trois services du Centre de Gouges sont assez différentes et du coup, on se mélange assez peu, et cela s’est accéléré avec le Covid et le fort cloisonnement qu’a subi l’hôpital. Ce phénomène, on l’observe dès les études. Je me souviens de ces gynécologues et sages-femmes en formation qui suivaient un cours sur la contraception par des spécialistes de l’orthogénie. Certaines étudiantes ont sorti des layettes et ont commencé à tricoter, montrant ostensiblement leur opposition à ce qui été enseigné ici.

Et ça, on le retrouve plus tard. Des fois on reçoit des femmes qui entendent avorter mais qui arrivent au dernier moment, après avoir longuement hésité car leurs gynéco ou le premier professionnel qu’elles ont croisé ont raconté des horreurs et ont joué la montre pour tenter d’épuiser le délai légal. Cette ambiguïté du Centre Olympe de Gouges, on le trouve dès l’entrée du bâtiment. Cette sculpture d’une femme avec un enfant qui trône face à chaque patiente qui rentre est problématique. Réduire la femme à la maternité, ce n’est pas le bon message, d’autant moins pour des patientes qui viennent se faire avorter.

Tout ça, ça pose un arrière-plan inconscient, et à mon avis, ça explique la crise des vocations et la dévalorisation des praticiens de l’avortement, mal payés, mal vus, mal perçus aussi car leurs actes sont réputés moins nobles et moins techniques que la « vraie médecine » de virtuose, celle des chirurgiens, hautement technologisée. L’orthogénie est clairement le parent pauvre de l’hôpital, toujours en difficulté budgétaire, à la recherche de vacataires pour mener à bien les actes, et surveillée de près par les administrateurs et cadres hospitaliers, devenus tout-puissants avec le passage à la tarification à l’acte. Ils touchent une prime d’intéressement en cas d’économies de matériel, résultat ? Des fois on se retrouve en pénurie et ça peut nuire à la qualité des actes. Un collègue m’a dit une fois que « c’était bien pire en Tchétchénie », on en rigole, mais franchement, ça use ce manque de la plus élémentaire considération.

On n’a pas de supervision psy pour les praticiens, qui en auraient bien besoin pour échanger sur les difficultés ou les cas extrêmes auxquels ils sont confrontés. Par exemple, il y a des commissions psycho-sociales qui se réunissent régulièrement pour évaluer les demandes d’avortement une fois le délai de 14 semaines dépassé et ce jusqu’à 26 semaines. On y voit passer des toxicomanes, des femmes abandonnées par leur conjoint en pleine grossesse, ou victimes de violences, de viols, parfois avec des dénis de grossesse, ce qui est très compliqué psychologiquement. On aurait besoin de parler de ça, ou de ce que l’on voit de dur pendant les actes, mais non, en fait on le fait sur notre temps libre, en payant nous-même des confrères psy (…) Et puis les cadres sont aussi obsédés par la question légale. Ne surtout pas risquer le procès et avoir à sortir de l’argent. Il y a un truc très bureaucratique là-dedans.

C’est vrai qu’on ne doit pas se plaindre, il y a bien pire ailleurs. Je sais qu’à la Flèche ou à Châteauroux, il y a des formes de résistance passive à la loi sur l’avortement, et on se retrouve régulièrement à devoir prendre en charge ces femmes ici. (…)

Oui, je me souviens des cours de Soutoul que j’ai reçus quand j’étais étudiant. Il était très insultant, vulgaire, sexiste, misogyne, particulièrement « blagueur » au sujet des femmes ménopausées. Il y avait même eu une pétition qui avait circulé pour qu’il arrête. Sans succès ».

Entretien mené à Tours

Témoignage off de bénévoles proches du Planning Familial//juillet 2023

« En tout cas, à Tours, le CIVG fonctionne bien, la prise en charge est satisfaisante, les femmes peuvent accéder au droit à l’avortement dans de bonnes conditions. Ce n’est pas du tout le cas dans tout le reste de la région. C’est pour ça, ça n’engage que nous et pas le Planning, mais on ne veut pas trop communiquer, que ça fasse appel d’air et que ça engorge le CIVG de Tours. Il y a quand même du positif, avec la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des avortements, il y a un nouveau service qui se monte d’ailleurs à Vierzon. C’est important car même si le nombre de femmes avortées, notamment jeunes, baisse, le nombre d’avortements reste stable. Et la question qui se pose vraiment, c’est celle de l’accès à l’avortement dans les déserts médicaux. Il y a des femmes qui viennent de loin en bus pour se faire avorter à Tours, ce n’est pas normal ».

Entretien mené à Tours

Témoignage d’une médecin travaillant au CIVG des années 1980 à 2000//28 août 2023

« C’est vrai, Soutoul, il était hyper misogyne, à faire des blagues vraiment douteuses devant les étudiants pendant les cours d’anatomie du vagin, je m’en souviens. D’ailleurs, il était d’abord spécialiste d’anatomie, pas gynécologue de formation. Mais en fait, il est parti vite. En 1982, c’est Jacques Lansac qui l’a remplacé, et là, c’était autre chose. Un catho de gauche, Mitterrand-compatible, beaucoup moins dans la main de Jean Royer et de la droite conservatrice tourangelle. Lansac, ça a été une grande figure de Bretonneau. Très apprécié, un peu paternaliste à l’ancienne, mais très empathique, proche des équipes mais sachant trancher et prendre des décisions. Il faisait confiance aux médecins, il savait donner le bon conseil, tout en se battant pour avoir des sous et améliorer le quotidien. Avec lui, les avortements ont bénéficié d’une amélioration notable : anesthésistes et échographes pour border les actes, et des augmentations de salaires pour les médecins vacataires qui pratiquaient les avortements. Soucieux de se conformer à la loi et à ses progrès, il a rapidement supprimé l’entretien préalable et le délai de réflexion, ça a facilité les choses, rendant l’avortement moins culpabilisant pour les femmes. Des vraies qualités humaines, vous n’avez qu’à demander à tous les gens qui l’ont connu. En fait, cette salle de conférence, c’est plutôt le nom de Lansac qu’elle devrait porter.

Et puis, c’est vrai aussi que sous Lansac, on a connu des progrès techniques. L’IVG médicamenteuse avec le RU 486 jusqu’à 9 semaines de grossesse et la prostaglandine, ça a énormément simplifié les actes, avec une approche moins invasive et qui laisse la femme plus autonome.

Bon, cela étant dit, je suis une praticienne de l’ancienne génération. Je tiens à un rapport humain et direct avec les femmes que j’accompagne. Le risque avec la massification du RU 486, c’est en quelque sorte de refaire de l’avortement un acte presque clandestin, solitaire, isolé, caché. Je pense qu’il est important de pouvoir échanger. Pas pour faire la morale ou refaire du bon vieux entretien préalable, mais juste pour discuter. Ce n’est pas anodin, un avortement, même sous sa forme médicamenteuse. Il peut y avoir des séquelles psy. Je conseille toujours à la femme d’en parler à son conjoint, à ses parents, à ses amis, ne pas garder ça pour elle, parfois par auto-censure ou peur de déranger. Et puis il faut parler de contraception aussi. Je ne suis pas qu’une technicienne, le rapport humain est important, central même, c’est pour ça que le téléavortement, je m’en méfie beaucoup, même si je comprends la logique d’économies derrière. Avec la crise des vocations et le manque de personnel et de moyens, j’imagine qu’il doit y avoir des petits génies au ministère qui se disent qu’il va y avoir moyen de rogner encore un peu sur l’avortement. Un autre type de misogynie, en somme. Pour moi, c’est vraiment ça le danger pour les 20 ans qui viennent, bien plus qu’une remise en question de la loi par les anti-IVG ou un éventuel RN au pouvoir ».

4 commentaires sur “Conflit des mémoires de l’avortement à Tours : faut-il débaptiser la salle Soutoul au CHRU de Tours ?

  1. Beau travail de journaliste, avec une ligne éditoriale claire et de nombreuses informations, vérifiées et recoupées. Avec aussi, ce qui pour moi est particulièrement précieux, le respect d’un principe fondamental menacé : celui du respect du contradictoire. Sans oublier votre écriture, une nraie signature. Merci. Catherine Lison-Croze

    Aimé par 1 personne

  2. Merci Joséphine pour ce travail remarquable. Garder en mémoire les luttes menées contre des idéologies rétrogrades, réactionnaires, qui maintiennent ou ramènent l’autre à l’état « d’objet » est important en ces temps où certaines et certains voudraient supprimer les libertés à autrui. Le corps des femmes leur appartient, ce sentiment n’était pas partagé par Jean-Henri Soutoul qui a méprisé les femmes qui voulaient rester maître de leur destin. Espérons que la direction de l’hôpital comprendra la nécessité de débaptiser cette salle. Espérons aussi que le maire de Tours Emmanuel Denis et l’ensemble des élu-es EELV, Issoumis, Ps sauront aussi s’investir pour ce combat qui est loin d’être insignifiant. Encore merci Joséphine.

    Aimé par 1 personne

  3. Merci Joséphine pour cette enquête documentée, complète et édifiante!!

    Tourangelle, j’ai travaillé à l’hôpital Bretonneau de 2002 à 2009 au bloc opératoire et en maternité, soignante, féministe, militante au Planning Familial 37, j’ignorais tout de ce triste sire Soutoul. Cette silenciation m’interroge. Déni? Malaise? Connivence? Le témoignage du cadre supérieur est particulièrement affligeant, d’autant plus si cette personne est toujours en poste.

    Le travail de mémoire est important et éclaire les luttes d’aujourd’hui. Mon corps, mon choix!

    Le milieu médical et hospitalier reste un monde ultra patriarcal, sexiste, misogyne et totalement hétéronormé. Je suis le témoin quotidien de cette domination qui s’applique aux femmes, qu’elle soient consœurs, soignantes, patientes ou autres salariées. Le pouvoir médical s’apprend et se pratique dans un entre-soi décomplexé et ne touche pas que les femmes. Un exemple concret: la stérilisation masculine. Aujourd’hui, de plus en plus d’hommes recherchent un chirurgien urologue qui accepterait de pratiquer une vasectomie. Gare à celui qui ne serait déjà pas père ou qui ne voudrait pas congeler son sperme (au cas où!?), ou qui aurait la trentaine, la porte lui sera très souvent claquée au nez!

    Le pouvoir du médecin s’inscrit dans la prescription, l’indication et l’ordonnance. La demande et le libre choix du patient.e ne sont pas prioritaires, ainsi les convictions du médecin sont souveraines.

    Ce milieu, ce « corps » médical, ce système se protège. A quand un grand #metoo médico-hospitalier??

    Pour conclure et revenir à votre article, il est tout simplement inacceptable que cette salle continue de porter ce nom, à deux pas de la Maison des Femmes. Mobilisons nous, alertons la municipalité, tous les mouvements progressistes et changeons le nom de la salle.

    Carole Dufour

    J’aime

    1. Bonjour,
      Merci pour votre commentaire !

      La municipalité, la direction du CHRU, la maison des femmes et les groupes féministes locaux sont au courant. Dans la grande tradition tourangelle, il ne se passe rien…

      Bien à vous

      J’aime

Laisser un commentaire